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Panne de l’ascenseur social : pourquoi on ferait mieux de s’occuper de celle du “monte-charge” français ?
©KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Déclassement

Pays développé, mûr économiquement, la France peine toutefois à offrir des opportunités d’ascension sociale aux catégories sociales les plus démunies. Les Gilets jaunes ont peut-être le sentiment d’être dans une impasse, dans l’impossibilité d’améliorer leurs conditions d’existence, l’un des enjeux de l’ascension sociale, précisément.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Comment expliquer le fait que dans un pays en maturité en termes de développement économique et politique, l’ascenseur social fonctionne moins bien ?


Michel Ruimy : En France, l’ascenseur social n’est peut-être pas tout à fait en panne mais il fonctionne beaucoup moins bien qu’auparavant. A priori, il n’est pas bloqué. À la fin des années 1970, un peu moins de 60% des hommes des quadras et quinquas n’appartenaient pas à la même catégorie sociale que leur père contre 65% au milieu des années 2000. 
Mais, cette hausse de la mobilité ne rime pas pour autant avec ascension sociale car elle est, en grande partie, liée à l’évolution structurelle de la population active : baisse du nombre d’agriculteurs, et de celle, plus récente, du nombre d’ouvriers avec le déclin de l’industrie au profit de la part des professions intermédiaires ou des employés. La progression ou le déclassement social d’un individu est ainsi une notion relative.
C’est pourquoi il faut se concentrer sur la « mobilité sociale nette » c’est-à-dire à une notion équivalente de l’égalité des chances d’accéder à une position sociale, quelles que soient les transformations de l’emploi. Cette mobilité sociale nette s’est réduite. Ce ralentissement a commencé avec la crise de 1993 et s’est renforcé depuis. Certains travaux montrent que ce sont les individus les plus favorisés qui s’en sortent le mieux : la plupart des enfants de cadres supérieurs sont eux-mêmes cadres supérieurs contre moins de 10% pour les enfants d’ouvriers. D’autre part, un peu moins de 20% des enfants d’agriculteurs restent dans le métier faute de débouchés et deviennent dans 1 cas sur 2, employés ou ouvriers. Nous sommes bien là dans l’immobilité sociale.
En outre, l’homogamie sociale peut également être un facteur important d’explication du manque d’efficacité de l’ascenseur social en France et des inégalités de revenus. Il arrive régulièrement que les personnes se mettent en couple avec d’autres personnes de même origine sociale, de profession ou de diplôme similaire, ce qui n’accroît pas nécessairement les chances de mobilité sociale ou professionnelle.
Ce déterminisme renvoie au système éducatif qui est une énorme machine à reproduction sociale : les filières élitistes sont socialement fermées et l’importance des revenus des parents sur la réussite scolaire s’accroît. D’après l’OCDE, la France est l’un des pays où le milieu social influe le plus sur le niveau scolaire, bien plus qu’en Allemagne, aux Etats-Unis ou en Espagne ! 
Il faut ajouter à cela, le déclassement des diplômes. Les jeunes diplômés des grandes écoles sont encore pas ou peu concernés, mais c’est une dure réalité pour les autres : les « bac + 5 » chassent les « bac + 3 », qui prennent la place des « bac » et ainsi de suite. Résultat : les jeunes acceptent des postes pour lesquels ils sont surdiplômés. 
Si la mobilité sociale est l’un des piliers de la cohésion sociale et de la démocratie, il y a vraiment de quoi s’inquiéter car la France connaît de sérieuses difficultés pour permettre aux individus de gravir les échelons socioprofessionnels. Même si les chances de monter dans la structure sociale se sont améliorées mécaniquement pour tout le monde, les inégalités des chances se sont, elles, quasiment maintenues entre les différentes origines sociales. Même si les politiques publiques peuvent contribuer à limiter les inégalités notamment lors des crises économiques, le diplôme est un facteur d’inégalités et l’origine sociale reste déterminante en France. Cet effet s’avère beaucoup plus déterminant que l’origine migratoire, le sexe ou l’âge de l’individu. 

Si l’ascenseur est en panne, pourquoi ne pas utiliser le « monte-charge » ? Si les opportunités d’ascension sont bloquées pour l'individu, l’Etat ne devrait-il pas faire en sorte d’améliorer les conditions de vie des plus démunis, comme vecteur d’une ascension « forcée » ou « aidée ?


L’école, perçue comme un moyen de parvenir à une position plus élevée que celle dont on est issu, agirait, pour certains, comme un « ascenseur social ». Or, pour les moins chanceux, il serait aujourd’hui en panne. Les marches de la réussite n’ont de sens que lorsqu’on les gravit car l’inégalité des chances ne s’est pas réduite. Bien au contraire, elle semble même s’amplifier, notamment au sommet de la hiérarchie scolaire, au sein des grandes écoles. 
La course aux diplômes suscite de nouvelles stratégies au sein des classes moyennes et supérieures, obnubilées par la réussite de leurs enfants. Celles-ci surinvestissent les questions relatives notamment au choix de la zone de résidence, à l’établissement scolaire, à la classe, aux options, aux activités extrascolaires… 
Il serait plus juste de parler d’« escalier social ». Certains auront sans doute plus de « marches » à gravir, et il leur faudra sans doute plus d’efforts pour arriver au même niveau que ceux qui partiraient d’étages plus élevés. Cela ne leur est pas impossible, les exemples ne manquent pas d’autant que favoriser la réussite et développer les connaissances ne sont pas antinomiques. Le rôle de l’éducation est d’apprendre aux enfants à vivre leur vie c’est-à-dire développer leur esprit et leur apprendre à appréhender la réalité, leur enseigner l’essentiel de la connaissance développée par le passé et leur donner les moyens d’acquérir de plus amples connaissances par leur propre effort. 
De nos jours, rares sont les personnes qui renoncent à leur ticket pour les sommets. L’aspiration à la réussite prend les apparences d’une fuite en avant. C’est compréhensible car, pour certains, l’époque est tellement désespérée, l’avenir si sombre, que chacun souhaite - pour soi-même ou sa progéniture - l’assurance d’une planche de salut. Si l’Etat doit venir en aide aux moins favorisés, chacun doit comprendre, aussi, dès le plus jeune âge, devant les difficultés budgétaires du pays, qu’il doit se prendre en charge et ne plus être un « assisté ». Aujourd’hui, un nouveau contrat social doit émerger, qui doit déterminer ce qui relève de l’assurance et ce qui relève de la solidarité. 
Aucun ascenseur social ne donnera jamais les moyens, et encore moins l’envie, de continuer à « monter » une fois sorti. L’ascension sociale aujourd’hui n’est pas un paisible voyage, mais une dure lutte contre soi-même et les autres même si, comme l’a écrit Henri Miller dans Vertiges à 80°, « ce sont les petites choses qui comptent - pas la renommée, ni le succès, ni la fortune. En haut de l’échelle la place est rare, tandis qu’en bas on est des foules à tenir ensemble sans se bousculer et sans personne pour vous emmerder ». 
Le pouvoir d’achat contraint grignote de fait cette marge financière qui pourrait être le vecteur de l’ascension sociale. 

N’y a-t-il pas des efforts à faire pour alléger le poids de ce pouvoir d’achat contraint sur les ménages via l’action politique ?

L’absence de mobilité sociale en bas de l’échelle peut saper les fondements du développement économique en excluant les moins aisés des bénéfices d’un ensemble d’opportunités en matière d’éducation, d’accès à l’information, d’investissement… tandis qu’en haut de l’échelle, elle favorise des effets de rente pour les plus aisés et leur descendance. Elle affecte également le bien-être et la satisfaction de la vie, ce qui a des conséquences sur la participation à la vie sociale, l’insertion dans des réseaux relationnels… Au moment où les différentes aides sociales sont jugées inefficaces et trop coûteuses, elle nourrit, enfin, le sentiment, parmi les moins aisés, que leur voix ne compte pas, alimentant la défiance envers les gouvernants et les tentations populistes.
Aussi, plus que le pouvoir d’achat, l’Etat devrait accroître ses investissements publics dans le secteur de la santé car les inégalités sociales de santé apparaissent comme un frein important à la mobilité sociale. Il peut également lutter contre les inégalités dans le domaine de la protection sociale en amortissant notamment les pertes de revenus liés aux problèmes de santé, au chômage… Les politiques assurant un meilleur équilibre entre travail et vie familiale, et par conséquent favorisant l’investissement des parents dans l’éducation des enfants, devraient être encouragées. Or, la tendance générale à la précarisation de la situation des salariés, et plus particulièrement des « travailleurs pauvres », qui cumulent souvent plusieurs « petits » travails, ne va pas dans ce sens.
Par ailleurs, afin de rééquilibrer les opportunités d’ascension sociale, il conviendrait, en matière fiscale, de limiter la concentration des richesses, les possibilités d’évasion fiscale et surtout concevoir des systèmes fiscaux progressifs en réduisant les exemptions.
Il est facile de constater que les politiques actuellement menées ne vont pas dans ce sens, le système fiscal français abandonnant toute forme de progressivité, déjà largement mise à mal, pour s’acheminer, au mieux, vers la proportionnalité. Il n’est pas certain que de telles recommandations soient reprises largement tant elles touchent aux intérêts des plus aisés.

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