PAC, commerce, Bolkestein, déflation… ? Ce que la France gagne et ce qu'elle perd à faire partie de l'Europe et de la zone euro<!-- --> | Atlantico.fr
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Aujourd'hui, nous avons plus tendance à voir les désavantages de l'Union monétaire que ses bénéfices.
Aujourd'hui, nous avons plus tendance à voir les désavantages de l'Union monétaire que ses bénéfices.
©Reuters

Les + et les -

A l'approche des élections européennes, les nombreux griefs contre l'UE sont encore renforcés. A l'inverse, la situation en Ukraine nous rappelle qu'appartenir à l'Union comporte aussi des avantages.

Atlantico : La France veut davantage de contrôle concernant les travailleurs détachés. Elle espère que les 28 pays membres de l’Union européenne pourront dès lundi 9 décembre, s’entendre afin de renforcer la directive Bolkestein, à Bruxelles. La polémique autour de cette "directive détachement" illustre les difficultés actuelles de la France à faire valoir sa vision de l'Europe. Plus largement, entre la PAC, la solidité financière allemande, la fluidité du commerce intra-européen, et la menace de déflation, quel est le bilan coûts/avantages de la participation de la France au projet européen ?

Nicolas Goetzmann : Il y a deux « Europe », l’Union à 28 et la zone euro à 17, bientôt 18. La première est un succès, la seconde est entachée d’une méthode de gestion de l’euro dénuée de sens et qui est en train de polluer l’ensemble. L’Union à 28, le marché commun, est encore perçu comme une réussite. Politiquement c’est bien le cas, car il s’agit avant tout d’un projet politique. Parmi les 28, 13 sont d’anciennes dictatures qui perçoivent l’Union avant tout comme un verrou de protection pour la démocratie. La France, en tant que moteur de l’Union, peut être fière de cet accomplissement politique.

Economiquement, il y a bien un problème avec l’euro. Non pas en tant que monnaie unique, mais bien dans sa méthode de gestion. La méthode de gestion monétaire, dite de stabilité des prix, produit un résultat dramatique, voilà pourquoi elle est abandonnée partout dans le monde, sauf ici. Cette erreur se paye au prix cher car c’est l’ensemble du projet européen qui est discrédité par le résultat de cette doctrine : le chômage de masse et la stagnation économique.

Il est assez naturel de considérer l’Union comme un projet politique dont les conséquences économiques ont été mal préparées. Car le choc économique que nous traversons laisse planer le doute sur l’intérêt réel du projet, car celui ne semble pas être une source de prospérité. 

François Lafond : En premier lieu, il ne s'agit pas de la directive Bolkestein, mais d'une proposition de la Commission européenne, faite en mars 2012, de réviser une directive datant de 1996 concernant le statut des travailleurs détachés, à savoir un aspect de deux principes structurant du marché intérieur : la libre circulation des travailleurs et la libre prestation de services, en particulier dans les régions transfrontalières. Cette première directive avait été rédigée à l'époque de la Communauté européenne de 15 États membres pour répondre à certaines craintes suite à l'entrée de l'Espagne, du Portugal et de la Grèce au sein de la CE. Avec 28 Etats membres, la Commission a voulu corriger certaines faiblesses de ce texte en raison de la plus grande hétérogénéité sociale des situations constatées et de vérifier son application effective. Puis, l'Assemblée nationale a produit un rapport en mai 2013 à l'occasion de l'examen de cette directive avant que le ministre du Travail ne prenne position au Conseil des ministres de l'Union européenne. Or le Conseil des ministres peine à se mettre d'accord (vote à la majorité qualifiée) pour adopter cette nouvelle directive et aujourd'hui (lundi), nous devrions en savoir plus. Cela concerne entre 220 000 et 280 000 travailleurs non français détachés dans notre pays, comme nous avons 170 000 français détachés dans d'autres pays de l'Union.

Pour ce qui est des autres sujets mentionnés dans votre question, il ne faut pas tout mélanger. La France est largement bénéficiaire de la PAC et ce depuis son origine, la solidité économique allemande est récente et peut rapidement évoluer dans un sens moins favorable (la démographie est un élément important) et la déflation (faible croissance plutôt) est surtout le résultat de politiques nationales, de l'augmentation de dettes souveraines, de budget non équilibré en France depuis trente ans, d'absence de réformes structurelles et d'adaptation à la mondialisation... L'Europe n'est pas le problème mais demeure la solution pour pouvoir préparer notre futur et espérer peser encore dans un monde en pleine évolution.

Qu'est ce que la France perd concrètement dans sa participation au projet européen aussi bien en termes de souveraineté qu'en termes économiques ?

Nicolas Goetzmann En termes de souveraineté, la perte du pouvoir monétaire est pour le moment totale. Mais cela a été validé par le référendum de Maastricht en septembre 92, il est donc difficile de crier au scandale. Ensuite sur le plan budgétaire, le transfert de souveraineté est partiel pour le moment mais il suit son cours. Le pacte budgétaire signé en 2012 est le dernier apport à ce processus et donne une plus grande capacité coercitive à la Commission en cas de non-respect des règles par les Etats membres. Etant donné que le pouvoir monétaire et le pouvoir budgétaire sont liés par nature, soit nous aurons une totale perte de souveraineté nationale sur ces points avec le fédéralisme, soit nous aurons un retour en arrière. Mais la période actuelle ne peut être vue que comme une période de transition, et le manque de cohérence qui y est attaché actuellement n’est pas sans lien avec la crise que nous connaissons. Pour que le système soit viable le budgétaire doit être attaché au monétaire, soit au niveau européen, soit au niveau national.

François Lafond : La France doit accepter de composer avec ses partenaires, de faire des compromis et de ne pas nécessairement obtenir le maximum de ce qu'elle aurait souhaité faire ou obtenir. Comme nos partenaires européens font de même. Pour être concret, la France doit accepter de réduire ses déficits publics, de mettre ses comptes publics en ordre, de recalibrer, redimensionner certains acquis sociaux (travailler plus ou mieux ? Plus longtemps ?), favoriser l'entrée des jeunes sur le marché du travail en libéralisant certains secteurs protégés, favoriser la concurrence dans des domaines jusqu'à présent monopolistiques.

Mais il ne s'agit pas de perdre ou de gagner. Il s'agit de produire un "ensemble commun", de trouver des solutions communes, capable de faire face aux Etats-Unis, à la Chine, à la Russie notamment et de pouvoir préserver ce que nous considérons comme essentiels comme valeurs et comme intérêts définis d'un commun accord. Un partage de souveraineté bien compris dans le domaine économique est mieux qu'une perte totale de maitrise des événements. Comment relancer notre économie ? En fermant nos frontières ? Surement pas. La Corée du Nord a fait son choix, et pour quels résultats ? En sortant de l'Euro ? Pour avoir une dette déjà à 95% de notre PIB, libellée en Euro, croitre instantanément et atteindre plus de 100% et devoir emprunter davantage pour rembourser davantage ? Pour devoir payer immédiatement toutes nos importations, dont le pétrole et donc l'essence, plus chères ? Ou en agissant de concert avec nos partenaires européens, pour nous adapter au monde qui vient, par étape si nécessaire, et construire un continent européen, post-national mais qui reprenne une bonne partie de notre diversité.

Ces concessions sont-elles compensées par des gains importants ? Lesquels ?

Nicolas Goetzmann La lutte contre les monopoles, contre les situations de rente (qui se souvient de Air Inter ?), la libre circulation des personnes, l’absence de droits de douane, les normes alimentaires, les normes de qualité de production, la protection de l’environnement etc. Autant de réels avantages qui paraissent invisibles en raison de la crise et qui sont souvent minimisés.

L’Europe politique est une réussite, mais les dirigeants, dans leur volonté d’élargissement démocratique, ont un peu oublié leur base. Et la base n’est pas contente. La crise a mis en évidence une incapacité de réaction rapide face aux événements, la lenteur et l’imperfection du pouvoir au niveau européen. Il y a un vide démocratique laissé par cette expansion rapide, insuffisamment préparée, et ayant rendu toute prise de décision impossible.

La monnaie unique, si l’on met de côté la politique monétaire, est également un succès. Elle est le véritable achèvement de l'Union, et un important facteur de développement car elle permet la fluidité du marché commun, et la confiance réciproque des différents acteurs partageants une même monnaie. Par contre la politique monétaire menée est une catastrophe, elle est le fruit qui est en train de contaminer tout le panier.

François Lafond : Pour l'instant, l'euro continue de nous protéger des turbulences internationales. Même si son taux reste élevé par rapport aux autres monnaies et que cela peut nous désavantager dans certains de nos échanges. Mais cela veut donc dire que notre zone euro est dans un état qui inspire confiance aux investisseurs internationaux. Loin de l'éclatement comme certains ne cessaient de le professer il y a peu encore...

Ainsi, nos efforts actuels pour réduire la dette publique et les réformes que nous tentons de faire, au rythme décidé par le président de la République, permettent à la France d'emprunter encore avec des taux d'intérêt très faibles. Nous pourrions aller plus vite pour réduire la dépense publique, et gagner plus rapidement de la compétitivité, mais même avec le gouvernement précédent, les réformes auraient pu être plus significatives. Avec nos partenaires européens, nous sommes aussi sur la bonne voie pour mettre en place une Union bancaire, avec des mécanismes de surveillance et la BCE comme point focal, et des mécanismes de résolution communs qui permettront de ne pas nous retrouver dans la même situation de crise bancaire qu'il y a trois ans.

Une meilleure coordination ou, quand c'est possible, une plus grande intégration européenne dans les domaines budgétaires, fiscaux et sociaux complèteront l'actuelle politique monétaire menée intelligemment par la BCE. Une manière de renforcer la zone euro et de nous garantir une stabilité utile pour retrouver la croissance économique et nous permettre de résoudre le chômage.

Nous avons aujourd'hui davantage tendance à voir les désavantages de l'Union monétaire que ses bénéfices. La crise nous fait-elle perdre de vue les acquis de l'Union européenne ? Quels sont-ils ?

François Lafond : Les acquis de l'Union européenne sont très nombreux, mais certains d'entre eux ne sont plus vécus comme étant importants. Et pourtant, difficile de ne pas commencer par la paix et un certain niveau de développement, un espace de droits et de liberté garantis et protégés par des institutions uniques, un marché intérieur qui pourrait être perfectionné mais qui existe et qui fait de l'Union européenne la première puissance commerciale au monde, la libre circulation des personnes au sein de l'espace Schengen, des travailleurs au sein de l'Union (y compris des bulgares et des roumains à partir du 1er janvier 2014), une monnaie commune au sein de la zone euro, un élargissement qui a rendu la liberté à une centaine de millions d'Européens, une politique de voisinage (en dépit de l'épisode ukrainien et arménien) attractive, la première politique de développement et de coopération au monde, etc.

La monnaie unique, qui est aujourd'hui remise en cause, nous protège-t-elle malgré tout des dévaluations ?

Nicolas GoetzmannElle nous protège d’une compétition des changes, c’est une certitude. Mais c’est justement cette incapacité d’ajustement de la monnaie à la réalité économique de l’ensemble qui fragilise l’Europe. Contrairement à une idée reçue, les membres du G20 n’attendent qu’une chose, c’est que l’Europe agisse sur sa politique monétaire. Car agir sur la monnaie a d’abord un effet sur le marché intérieur et la zone euro est un marché de 330 millions de consommateurs. Ce marché est indispensable à la croissance mondiale. La relance du marché intérieur par la voie monétaire est la solution apportée à la crise notamment par les Etats-Unis. Et le résultat se fait sentir largement, la croissance vient d’être révisée à la hausse à 3.6% pour le dernier trimestre, alors que le chômage atteint 7.00%.

Bien évidemment l’absence de zone euro aurait engendré une succession de dévaluations au sein des pays européens pendant la crise, et ce, de façon désordonnée. La monnaie unique est en ce sens un bienfait. Mais elle est devenue insupportable pour nombre d’états en raison de sa rigidité. La politique monétaire européenne n’est que la simple réédition de l’erreur monétaire des années 30, ou l’attachement au bloc or était la règle. L’euro d’aujourd’hui est un quasi retour à l’étalon or qui empêche tout ajustement.

Alors que le déséquilibre entre l'Allemagne et l'Europe du Sud est de plus en plus criant et que les nouveaux entrants déstabilisent encore plus la construction européenne, comment rééquilibrer cette dernière ?

Nicolas Goetzmann La première réforme est celle de la BCE, il s’agit de modifier le mandat monétaire et d’y inclure la recherche du plein emploi. Ce qui permettra une forte relance de l’activité intérieure et donnera l’opportunité aux gouvernements de pratiquer des réformes budgétaire ambitieuses. De toute façon, les pays du nord ne cèderont pas sur la monnaie si des garanties sérieuses ne sont pas données sur les réformes budgétaires.

Si cela est effectivement mis en place, les gains de compétitivité, la baisse des impôts, la réduction des déficits et du niveau de dette seront envisageables. Ce qui permettra de faire reculer les tensions sociales. Seul un retour de la prospérité peut donner un second souffle à l’Europe. Il appartient aux partis politiques d’aborder les élections européennes avec un projet ambitieux pour pouvoir contrer la vague contestataire. Cela nécessite un travail de refondation, un travail de remise en question car le statu quo est sans doute la pire des solutions.

François Lafond : Nous pourrions reformuler votre question ainsi : l'Allemagne continue d'être le premier pays exportateur au monde, et jouit d'une santé économique enviable alors que certains pays de l'Europe du Sud, malgré les transferts de solidarité effectués depuis des années dans le cadre des fonds structurels, peinent encore à moderniser leurs économies. Pour poursuivre cet effort de convergence au niveau européen et parce que les gouvernements sont soumis à des contraintes politiques locales fortes, les institutions européennes, avec le Parlement européen, sont en mesure d'offrir certaines garanties aussi bien aux investisseurs internationaux que de proposer à ces Etats membres, des décisions cherchant à mettre davantage l'accent sur le long terme. De ce fait, les mécanismes de solidarité sembleront justes aussi bien aux prêteurs que compréhensibles aux bénéficiaires. De la même façon, la Commission européenne continuera de proposer aux Etats membres de mettre en place des mesures toujours plus convergentes en matière fiscale (au niveau des entreprises comme pour les TVA notamment) et des politiques d'immigration aux critères d'appréciation et d'application toujours plus similaires au sein des 28 pour éviter les distorsions. Aux Etats membres de le décider donc ensemble, avec le parlement européen et d'y consacrer effectivement les moyens budgétaires nécessaires : renforçons Frontex en charge du contrôle de nos frontières communes. La Commission européenne se chargera de veiller de son côté à l'exécution des décisions, avec la comitologie (les experts des Etats membres). Arrêtons de penser que l'Europe est loin de la France. Nous y participons à tous les niveaux !

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