Oui, il faut abaisser à 16 ans l’âge du droit de vote<!-- --> | Atlantico.fr
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vote élections jeunes 16 ans 18 ans
vote élections jeunes 16 ans  18 ans
©PATRICK HERTZOG / AFP

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Les députés d’Europe démocratie solidarité (EDS) viennent de lancer une pétition co-signée par plusieurs figures politiques afin de donner le droit de vote aux jeunes dès 16 ans. Une proposition de loi visant à ramener le droit de vote en France de 18 à 16 ans devrait être présentée devant l’Assemblée nationale le 8 octobre prochain.

Michel Fize

Michel Fize

Michel Fize est un sociologue, ancien chercheur au CNRS, écrivain, ancien conseiller régional d'Ile de France, ardent défenseur de la cause animale.

Il est l'auteur d'une quarantaine d'ouvrages dont La Démocratie familiale (Presses de la Renaissance, 1990), Le Livre noir de la jeunesse (Presses de la Renaissance, 2007), L'Individualisme démocratique (L'Oeuvre, 2010), Jeunesses à l'abandon (Mimésis, 2016), La Crise morale de la France et des Français (Mimésis, 2017). Son dernier livre : De l'abîme à l'espoir (Mimésis, 2021)

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Il y a 60 ans, en 1956, le PC dirigé par Maurice Thorez, se battait pour le droit de vote à 18 ans. Presque vingt ans plus, en 1974, le président Giscard d’Estaing, en abaissant à 18 ans l’âge de la majorité civile à 18 ans, faisait indirectement droit à la demande communiste.

A nouveau vingt ans plus tard, en 1994, alors membre du Comité pour la Consultation nationale des jeunes, qui avait été installée après les manifestations contre le CIP, je proposais aux autres membres de notre groupe le droit de vote à 16 ans (pour les élections locales), mesure qu’ils acceptaient, non sans résistance pour certains d’entre eux. Cette mesure devenait ainsi la proposition 80 de notre Rapport au gouvernement – proposition que le Premier ministre Edouard Balladur rejetait aussitôt, en raison, estimait-il, de son « risque d’inconstitutionnalité ». Je reformulais donc cette mesure, cinq ans plus tard, dans un article du magazine Lien social, puis, en 2002, dans un livre Le Deuxième Homme (Presses de la Renaissance). La même année, Lionel Jospin, candidat PS à l’élection présidentielle, se prononçait en faveur du « droit de vote à 17 ans » (une initiative toute personnelle, qui n’était alors soutenue ni par le PS ni par le MJS). Christiane Taubira, candidate des Radicaux de gauche, défendait au même moment un abaissement de la majorité à 17 ans, tout comme Noël Mamère, candidat des Verts. En 2013, Dominique Bertinotti, ministre de le Famille du président Hollande, se déclarait, après m’avoir auditionné, favorable au droit de vote à 16 ans pour les élections locales.

Aujourd’hui, l’Assemblée nationale s’apprête à débattre d’une proposition de loi tendant à reconnaître aux jeunes le droit de vote dès 16 ans. 1,5 million de garçons et filles de 16-17 ans sont concernés par cette mesure. Rappelons que ce droit existe déjà en Autriche, pour toutes les élections, depuis 2007, ainsi qu’en Suisse dans certains cantons, mais pour les élections communales et cantonales, en Allemagne dans certains Länders, depuis 1996. Rappelons qu’en Ecosse on est majeur à 16 ans.

Pourquoi 16 ans, et pas 15 ou 17 ?

Il faut savoir que la société française fonctionne par seuils d’âge, reconnaissant progressivement une pleine citoyenneté aux Français. A 10 ans par exemple, il est possible de voir des films interdits aux jeunes enfants, de prendre place sur le siège-avant conducteur d’une automobile. A12 ans, l’on peut ouvrir un livret-jeune dans une banque, à 13 ans avoir un compte sur le réseau social facebook. A 14 ans, l’on peut conduire un cyclomoteur ou occuper, durant la moitié des vacances scolaires, un travail jugé « non-pénible ». A 15 ans, l’on acquiert la majorité sexuelle (sous certaines conditions cependant : les relations sont interdites aux adultes ayant autorité sur le toujours mineur civil) et les jeunes filles peuvent se faire prescrire la pilule du lendemain.

Venons-en à l’âge de 16 ans, retenu par les signataires de la proposition de loi pour pouvoir s’exprimer dans les urnes (mesure défendue par des organisations syndicales lycéennes comme l’UNL et par certains leaders politiques comme Jean-Luc Mélenchon).

16 ans est un âge significatif. Rappelons les droits qu’ils possèdent déjà, qui dessinent ce que j’ai nommé naguère une espèce de « majorité sociale » : droit de signer un premier contrat de travail ; droit d’adhérer au syndicat professionnel de son choix ; droit, depuis 2010, de faire un service civique (16-25 ans) ; droit de devenir sapeur-pompier volontaire ; droit d’ouvrir un compte bancaire personnel ; droit de disposer d’une carte vitale personnelle ; droit, depuis 2011, de diriger une association (avec autorisation parentale néanmoins) ; droit de suivre des cours de conduite accompagnée ; droit d’être emprisonné ; droit de quitter l’école (fin théorique de l’obligation scolaire) ; droit (de fait) de créer une start up. Signalons qu’un an plus tard, à 17 ans, l’on peut cette fois s’engager dans l’armée, s’inscrire au concours de gardien de la paix ou passer le BAFA (brevet de formation aux aptitudes d’animateur). D’autres mesures sociales pourraient du reste être reconnues aux jeunes de 16 ans, comme celles de diriger totalement librement une association ou de pouvoir recevoir la part d’allocations familiales qui revient à ces jeunes dès lors qu’ils ne vivent plus sous le toit familial, n’ont pas ou peu de ressources, mais ont un projet professionnel validé. 

Pourquoi avoir peur du droit de vote dès 16 ans ? Faut-il rappeler qu’au Moyen Age les garçons étaient majeurs à 14 ans, les filles à 12, tout en conservant l’appui de leur famille (au XVI è siècle, cette majorité sera toutefois élevée à 25 ans). Garçons et filles majeurs de l’époque pouvaient donc se marier sans l’autorisation de leurs parents.

Il est cependant des opposants à ce droit : les jeunes de 16 ans eux-mêmes, qui brandissent alors l’argument de l’« influençabilité » (un sondage effectué en 2013 indiquait que seuls 22 % des 18-24 ans soutenaient la proposition de l’abaissement du droit de vote :  28 % à gauche, 10 % à droite). Comme ils n’ont pas ou pas beaucoup de connaissances politiques, les jeunes en question prétendent, déçus, qu’ils risquent de voter comme leurs parents (36 % des 16 ans pensaient ainsi en 2016). Beaucoup, qui peuvent être tant adultes que jeunes, font donc de l’apprentissage en classe des idées et faits politiques un préalable à tout changement du droit électoral. Autrement dit, avec un tel raisonnement, aussi longtemps que les jeunes n’accèderont pas à ces connaissances, ils n’auront pas le droit d’exprimer leur point de vue. N’est-ce pas comme si l’on disait à un enfant : tant que tu ne sauras pas parler français, il te sera défendu de chercher à parler cette langue (pas de balbutiement), tant qu’on ne t’aura pas enseigné à marcher, tu ne devras pas marcher ?

Cette hésitation à adhérer à la proposition parlementaire mise bientôt en discussion traduit de la part des jeunes un manque cruel de confiance de soi. Rappelons que si l’on avait écouté lesdits jeunes, en 1974 la majorité civile n’aurait jamais été abaissée de 21 à 18 ans. Du côté des adultes, le refus du changement du droit électoral s’appuie sur l’« idée » d’un prétendu « manque de maturité » psychologique des 15-17 ans. De nombreux psychiatres ou pédopsychiatres spécialistes de l’adolescence, pour rejeter la mesure, brandissent ou ont brandi naguère cet argument comme Christian Flavigny, pédopsychiatre à l’hôpital de la Salpêtrière, à Paris, estimant qu’à 16 ans « tous les jeunes ne sont pas prêts psychiquement à prendre place dans la vie publique », que, par ailleurs, ce n’est pas bien de définir un nouveau droit si on ne définit pas en même temps un nouveau devoir. Et l’éminent spécialiste de conclure que les jeunes n’ont qu’un seul droit : celui de rester sous la coupe de leurs parents.

L’opposition à la réforme repose encore sur l’idée d’une manipulation politique possible des 16-17 ans. Il y a quelques années, ne disait-on pas que ces jeunes voteraient en masse pour l’ex-Front national ? Pure supputation ! On peut au contraire penser que ces jeunes comme leurs aînés de 18-25 ans se répartiraient à peu près également sur tout l’échiquier politique. S’agissant de l’abstention, l’on peut pareillement penser que les 16-17 ans ne seraient pas plus alléchés par l’offre politique actuelle que leurs aînés adultes.

Les jeunes doivent être assurés que leur vote servira à quelque chose, et d’abord à changer leur quotidien. Comme leurs aînés, ils attendent d’être mieux associés aux décisions politiques, et pas seulement consultés. Coconstruire la décision publique, n’est-ce pas après tout le sens même d’une vraie démocratie ?

Michel FIZE, sociologue, ancien conseiller jeunesse au Cabinet de la Ministre de la Jeunesse et des Sports en 1997-1998, auteur du Livre noir de la Jeunesse (Presses de la Renaissance, 2007) et de Jeunesses à l’abandon (Ed. Mimésis, 2016)

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