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Emmanuel Macron voeux 2021 bilan année pandémie crise sanitaire mise en scène
Emmanuel Macron voeux 2021 bilan année pandémie crise sanitaire mise en scène
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Voeux d'Emmanuel Macron

Le chef de l'Etat s'est adressé aux Français lors des traditionnels voeux. Edouard Husson décrypte les codes derrière cet exercice périlleux pour Emmanuel Macron, après une année 2020 marquée par la pandémie de Covid-19 et la crise économique.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Tout dans la mise en scène

Ah, si seulement le président de la République pouvait mettre la même énergie à bien gouverner qu’à préparer la mise en scène de ses interventions télévisées ! Tout était étudié, ce 31 décembre; Emmanuel Macron voulait vous donner l’impression qu’il était assis avec vous, en train de prendre l’apéritif. Bon, ça faisait plutôt salon de la grande bourgeoisie, avec la table basse en verre; mais tout devait laisser penser que l’homme en face de vous était maître de ses nerfs, du temps et de la situation. La diction était volontairement un peu plus lente que d’habitude. Après avoir un peu beaucoup parlé en 2020, après avoir été quelque peu maladroit dans la mise en scène comme chef de guerre, voilà que le président jouait l’homme apaisé, confiant. Et puis le mot à ancrer dans le cerveau de ses interlocuteurs, c’était « espoir ». Là encore, il fallait suivre à la lettre la feuille de route des communicants, ne pas trop le répéter au début puis en placer une rafale à la fin. 

Il y a bien eu quelques couacs, sans doute imperceptibles pour le plus grand nombre. Ainsi l’obstination à expliquer que le Brexit a reposé sur le mensonge et la propagande.  Drôle d’entrée en matière avant de proclamer que les Britanniques doivent rester nos amis et nos alliés. Ou bien l’obscurantisme et le complotisme de ceux qui ne voudront pas se faire vacciner. Peu convaincant quand on parle ensuite de ceux qui « souhaiteront » se faire vacciner. Mais on vous dira que c’était bien peu de choses par rapport au message d’espoir, à l’évocation de ces Français ordinaires qui ont fait tenir le pays pendant la crise du COVID 19 - oh, il y aura bien des esprits chagrins, à gauche, pour faire remarquer qu’il n’y a eu aucun prénom « issu de la diversité »; mais il faut bien préparer 2022 et rassurer la droite. C’est d’ailleurs à la droite, qui doit le faire réélire dans dix-huit mois, que le président s’adressait. Peut-être même à la droite de la droite. Un esprit facétieux aura remarqué que le président avait évoqué « la France de 2030 » et ajouté « tel est notre cap ». Or Marion Maréchal, il y a quelques semaines, en lançant son centre d’analyse appelé « CAP », a dit qu’elle travaillait pour aider à la construction la France de 2030. Notre président est attentif au moindre détail. 

Le calme avant la tempête? 

Il y a bien une faille dans ce discours, et elle est énorme. La mise en scène dit tout d’ailleurs: un représentant de la « France d’en haut » s’adresse, essentiellement, à cette France d’en haut qui l’a élu une première fois et dont il doit tenir autant que possible les électeurs s’il veut être réélu. C’est d’abord la « droite d’en haut », qu’il faut séduire. De ce point de vue, la tactique n’a pas changé depuis les voeux 2020. Et il faudra bien, un jour prochain, faire une offensive vers le centre-gauche et la « gauche d’en haut ».  Mais il aurait sans doute été malvenu d’évoquer le référendum sur l’environnement et faire du « en même temps » pour un discours des voeux. Surtout que le président a beaucoup versé dans ce défaut dans un entretien récent à l’Express. Chaque chose en son temps. Pour autant, cette maîtrise apparente, ce jupitérisme apaisé ne réussissent pas à dissimuler que président a oublié de traiter l’essentiel des problèmes de notre pays. L’évocation un peu laborieuse d’un professeur de Marseille se faisant former à l’enseignement de la laïcité après l’assassinat de Samuel Paty, est très loin du compte pour nous expliquer comment l’Etat va s’y prendre, en 2021, pour commencer à lutter contre l’islamisation amorcée de l’école publique. Au moment où le président parlait, il y avait des émeutes dans des banlieues, dont aucun média n’aura parlé. Le président a fait allusion à l’effort fait pour la recherche française - la loi de financement exceptionnel récemment votée - mais rien sur le fait que ce n’est pas dans notre pays qu’un vaccin contre le COVID 19 a été inventé; rien sur l’inadaptation de notre système de formation à la nouvelle révolution industrielle. Rien sur le manque de productivité du pays. Rien sur le scandale des scandales: aucun effort n’a été demandé aux fonctionnaires en termes de salaire tandis que le secteur privé était mis au chômage partiel et ses salariés touchaient 16% de salaire en moins. Rien sur les centaines restaurants qui font faillite, boucs émissaires de la catastrophique gestion gouvernementale de la crise du COVID. Emmanuel Macron n’a cessé de répéter comme la France était unie, devait être solidaire. Mais on ne décrète pas l’unité nationale quand elle n’est pas là. 

La mise en scène lisse et toute de maîtrise affichée des voeux du président Macron était sans doute le calme avant une nouvelle tempête. La vertu, si l’on ose dire, des deux confinements en 2020, est d’avoir procuré un répit au président de la République après dix-huit mois agités, de l’affaire Benalla au fiasco des retraites. Tout à sa construction d’un récit pour 2022, le président ne s’est peut-être pas rendu compte qu’il sortait, en fait, d’une phase de calme relatif, avant le retour des troubles. 

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