Offensive sur Palmyre et Ramadi : la coalition arabo-occidentale a-t-elle d’ores et déjà échoué à enrayer les califoutraques ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'Etat islamique revendique la prise de Ramadi.
L'Etat islamique revendique la prise de Ramadi.
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Prises stratégiques

L'actualité de ce week-end a été mouvementée sur le front contre l'Etat islamique. Si ces derniers ont pu être repoussés à Palmyre en Syrie pour le moment, ils revendiquent néanmoins la prise de Ramadi.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico :  La coalition arabo-occidentale, si elle parvient à régner dans les airs, est-elle vraiment efficace pour enrayer l'avancée des djihadistes ?

Alain Rodier :Daech a été obligé de changer sa tactique en raison des frappes aériennes. Il n'est plus question de présenter des objectifs trop visibles à l'aviation de la coalition. En conséquence, les regroupements de forces trop importants sont proscrits et les colonnes de 4X4 parcourant les pistes en plein jour deviennent l'exception. Les mouvements se font de nuit et les combattants se mêlent aux populations civiles par souci de discrétion. En plus, ces dernières servent de bouclier humain. Cela ne les empêche pas de mener des offensives là où la supériorité au sol leur est acquise. C'est le cas à Ramadi car la province al-Anbar située au sud-ouest de l'Irak est, depuis fin 2013/début 2014 aux mains des djihadistes-salafistes appuyés par les tribus sunnites locales ainsi que par des membres de l'ancien parti Baas(1) de feu le président Saddam Hussein. Ne subsistaient que des îlots de résistance de forces gouvernementales. Par contre, si Palmyre est située en bordure d'une région déjà contrôlée par le "califat", La ville est toujours âprement défendue par les forces fidèles à Damas.

En effet, en plus d'être un carrefour stratégique important qui permettrait une continuité territoriale à l' "Etat Islamique" installé à cheval sur la Syrie et l'Irak, la présence d'un site archéologique (situé au sud de la ville) inscrit au patrimoine de l'Humanité par l'UNESCO en fait une ville symbole pour le régime. Des renforts ont été envoyés en urgence et, appuyés par l'aviation, ils ont réussi à reprendre les quartiers nord de la ville qui avaient été infiltrés par les activistes de Daech. Mais la bataille est loin d'être terminée. Et pendant ce temps là, la coalition regarde avec appréhension pour la préservation du site archéologique, mais sans trop se soucier des dizaines de civils, femmes et enfants, qui ont été assassinés par Daech lors de son entrée dans la ville.

Quelles rôle joue-t-elle concrètement, et quels sont ses objectifs qu'elle peut se fixer de manière réaliste ?

La coalition internationale a, dans un premier temps "bloqué" la progression de Daech et obligé le mouvement à adopter une position défensive. Certaines régions ont été reconquises. En fait, il convient plutôt de dire que les forces de Daech se sont repliées en bon ordre sur des positions plus favorables et ont refusé les affrontements directs, ce qui a permis de préserver ses combattants. Kobané a constitué une exception mais, une fois que Daech s'est rendu compte que la ville serait très coûteuse à conquérir, ordre a été donné aux combattant de se replier quelques kilomètres en arrière. Depuis, ce "front" ne bouge plus.

Cette coalition a commencé en août 2014. Quel bilan peut-on faire des pertes et gains territoriaux du "Califat" ?

Les Américains ont clamé que Daech avait perdu 30% du terrain qu'il avait conquis depuis le début 2014. Même si ce n'est pas entièrement faux, c'est peu réaliste. Daech ne tient pas des régions entières mais ses axes et les agglomérations. Les cartes présentées sont souvent trompeuses. La seule grande ville sunnite reprise est Tikrit.

La prise de Ramadi représente-t-elle une victoire stratégique ? Quelle est sa valeur militairement parlant ?

Ramadi est la capitale de la province d'al-Anbar déjà aux mains de Daech. Cette ville est située à 110 kilomètres à l'ouest de Bagdad. Comme ailleurs, cela permet aux forces deDaech de constituer une menace potentielle. En effet, ses forces peuvent lancer des offensives à tout moment mais le problème est de savoir où et quand ? En réalité ce sont les forces de la coalition qui sont sur la défensive et l'initiative est du côté d'al-Baghdadi.

De quoi les alliés au sol manquent-ils pour constituer une véritable force d'opposition à l'Etat islamique, voire pour récupérer les territoires perdus ?

En Irak, le seul succès au sol a été emporté à Tikrit grâce aux milices chiites soutenues par Téhéran. Certes, l'armée régulière et les forces de police étaient là, mais plus en appui qu'en troupes d'assaut. Ce sont les miliciens chiites qui montraient le plus de "mordant" qui ont conquis les derniers mètres. Les Américains ont fait semblant de ne pas voir ce qui leur a permis d'appuyer les forces au sol par des bombardements. Le problème réside qu'en dehors de Tikrit, les forces kurdes ou chiites, ne veulent pas s'engager en régions majoritairement peuplées de sunnites de manière à ne pas s'embourber dans un conflit sans fin. Ce ne sont plus les moyens qui manquent mais la volonté. Cela dit, leur prudence est justifiée car la réaction des populations sunnites pourrait être redoutable. Or, il commence à apparraître des dissensions entre DAECH et des tribus locale.L'option d'une implosion est à retenir même si cela doit prendre du temps.

En Syrie, la situation est différente dans la mesure où le plus grand danger pour le régime en place est désormais Al-Qaida "canal historique" qui a su s'allier sa branche militaire locale, le Front al-Nosra, avec des groupes rebelles dans la coalition "Jaish al-Fatah" (l'armée de la conquête) pour s'emparer du nord-ouest (Idlib et Jisr al-Choughour). Al-Qaida est aussi à l'offensive dans le sud-ouest du pays en bordure du Liban, du Golan et de la Jordanie (dont le Front al-Nosra tient tous les postes frontière). Les forces légalistes sont épaulées directement par le Hezbollah libanais qui combat désormais sous ses propres couleurs et plus sous le drapeau syrien et par les pasdaran iraniens. Le combat à mort se déroule dans ces régions. A noter que Jaish al-Fatah est désormais soutenu directement par la Turquie et l'Arabie saoudite malgré la présence confirmée d'Al-Qaida "canal historique" dans ses rangs. L'offensive de DAECH contre Palmyre vient distraire des effectifs de l'armée syrienne qui se trouve désormais engagée sur plusieurs front simultanément. Plus que jamais, la Syrie est le théâtre d'une bataille indirecte entre Téhéran et Riyad (pour l'instant appuyé par Ankara) qui vient s'ajouter à celle qui se déroule au Yémen.

1. Le général irakien al-Douri, l'ancien "roi de trèfle" et chef du parti Baas qui a été donné pour mort il y a quelques semaines par Bagdad est réapparu dans une déclaration audio. C'est aussi le cas d'al-Baghdadi qui avait été annoncé comme "gravement blessé". Comme quoi il convient de se méfier des déclarations des uns et des autres. La rumeur court que des désaccords seraient survenue entre les deux hommes. Affaire à suivre.

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