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Obésité et diabète : pourquoi une seule session de chicha est plus dangereuse qu’un paquet entier de cigarettes.
©Anthony Lanzilote / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

La chicha, vecteur d’obésité ?

Une étude iranienne dont les résultats ont été publiés dans la revue " Diabetology and Metabolic Syndrome" tend à démontrer que fumer la chicha favoriserait l'apparition du diabète de type 2 et aurait un lien avec l'obésité.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico: Selon des experts de la Brighton and Sussex Medical School, les effets négatifs de la pratique seraient au moins équivalents au fait de fumer un paquet de cigarette. Comment expliquer ces surprenants résultats ?

Stéphane Gayet : Il est utile de préciser au préalable en quoi consiste le fait de fumer la chicha.

La chicha ou narguilé : la pipe à la mode dans le foyer de laquelle on peut fumer des produits bien différents

Le mot « chicha » est un terme de l’arabe égyptien, lui-même probablement tiré d’un mot persan qui signifie « verre ». La chicha est une pipe à eau originaire d'Égypte, de Turquie et des pays du Maghreb. D’autres noms sont également utilisés selon les régions, comme le houka ou le narguilé. Il existe des chichas de différentes tailles ; les petites chichas sont individuelles, tandis que les grandes chichas peuvent être fumées à plusieurs. Le principe est toujours le même : le « tabac à chicha » est placé dans un foyer ou godet dont on aspire la fumée à l’aide d’un conduit ou tuyau qui passe à travers un réservoir d’eau. La fumée se rafraîchit en traversant l’eau et celle-ci retient une partie des substances qu’elle contient : l’eau joue de ce fait le rôle d’un filtre et se charge en particules. En outre, l’eau peut être parfumée et contribuer alors à l’arôme de la fumée aspirée. Le réservoir d’eau d’une chicha peut être en verre, en céramique (terre cuite, faïence, porcelaine) ou encore en métal. La matière du foyer ou godet est également variable (bois, métal…). Quant au tuyau, il peut être complètement rigide, complètement souple ou assez souvent comporter un segment rigide et un segment souple (il y a de toute façon deux segments : l’un va du foyer au réservoir d’eau, l’autre du réservoir d’eau à l’embout buccal).

Quelles sont les raisons de l’engouement récent pour la chicha qui provient surtout des pays du Maghreb ?

Elles sont multiples. Elles tiennent à l’objet lui-même, au contexte dans lequel on fume la chicha, aux perceptions que l’on a lorsque l’on aspire sa fumée et aux effets sur le corps et le cerveau de cette fumée.

La chicha est toujours un objet artistique. Certaines chichas sont tellement décorées, jolies et originales que ce sont des œuvres d’art. Une élégante chicha est du plus bel effet sur une étagère ou un meuble bas. Posséder une chicha ouvragée, la faire admirer et la fumer ont un côté esthétique indéniable. Fumer la chicha peut être une activité individuelle, mais c’est souvent une activité de couple ou de petit groupe. Dans les pays du Maghreb, il existe des bars à chicha où l’on se retrouve pour fumer ensemble le « tabac à chicha » savamment préparé que l’on choisit et achète sur place. En cela, fumer la chicha est une activité aussi conviviale que prendre un repas savoureux ou déguster un bon vin. C’est peut-être une forme de substitut de l’alcool pour les personnes qui se l’interdisent. Il est frappant, lorsque l’on déambule à travers la médina de Tunis, de voir tous ces couples d’adolescents fumer tranquillement la chicha sous les porches des maisons dans les étroites ruelles au charme saisissant. Cette convivialité de la chicha est particulière : elle tient à l’objet, au fait que l’on peut le partager et à la désinhibition et au bien-être que procure le fait de la fumer. Les perceptions que l’on a en fumant la chicha sont tout à fait différentes de celles de la pipe sèche. Il faut aspirer assez fort, le gargouillement est insolite et a un côté amusant, la fumée rafraîchie par l’eau est à la fois plus froide et humide, ce qui lui donne une douceur bien particulière (elle est moins âcre que la fumée de pipe) à laquelle se mêlent les arômes incorporés au tabac et à l’eau. Et puis il y a les effets de cette fumée : il est évident qu’il y a de la nicotine dans la fumée de chicha – substance à la fois tranquillisante et psychostimulante -, mais aussi bien d’autres produits qui agissent sur notre psychisme ainsi que notre corps.

C’est tout cela, le charme de la chicha : à la fois un art de vivre et une addiction appréciée et efficace vis-à-vis du stress. La chicha fascine même les plus jeunes d’entre nous, mais cette séduction qu’elle exerce cache sa toxicité.

Le « tabac à chicha » et les zones d’ombre de sa composition qui est variable, parfois un peu secrète

Le « tabac à chicha » utilisé dans ces pipes à eau est également appelé « tabamel », terme sans doute lié au fait que cette substance fait penser à du caramel. En réalité, sa teneur en tabac est le plus souvent un peu inférieure à 30 %. Les feuilles de tabac participent à la combustion du « tabac à chicha » dans le foyer, mais elles ne suffisent pas étant donné cette proportion de 30 % et doivent être aidées en cela par des charbons ; elles apportent la nicotine qui est la substance psychoactive et addictive du tabagisme classique. En plus du tabac qui est le dénominateur commun de tous les « tabacs à chicha », divers ingrédients forment cette substance. La texture particulière du produit est liée à une importante proportion de mélasse – matière brune épaisse, visqueuse et fortement sucrée, sorte de concentré de sirop – qui constitue de l’ordre de 70 % de l’ensemble. Le reste du produit est formé d’arômes de fruits : noix de coco, réglisse, fruits rouges…, les fabricants rivalisent d'imagination pour proposer des saveurs originales et des parfums subtils. En réalité, ayant échappé pendant de longues années à toute réglementation, le « tabamel » a une composition qui varie parfois beaucoup. On peut ainsi y trouver toutes sortes de substances plus ou moins nocives.

Quelles sont les particularités de la fumée de chicha sur le plan de sa composition et de ses effets?

La fumée de chicha est plus riche en monoxyde de carbone (CO) que celle du tabac pur. En effet, plus une combustion est complète et moins elle génère de CO et de goudrons ; or, la complétude de la combustion augmente avec la température. Étant donné que la combustion des charbons utilisés ainsi que celle du « tabamel » se font à une température plus basse que dans une cigarette, la fumée de chicha contient davantage de CO et de goudrons.

De fait, des mesures de teneur en CO effectuées chez des fumeurs de chicha après une séance de 45 minutes révèlent un taux dans leurs voies aériennes entre 45 et 70 ppm - ppm: «partie par million», qui est une unité permettant d’exprimer la concentration d’une substance dans un fluide gazeux ou liquide; c’est plus clair avec les fluides mono composés comme l’eau: une concentration de 1 ppm de plomb dans l’eau équivaut à une molécule de plomb parmi un million de molécules d’eau -, ce qui correspond à une consommation de 45 à 70 cigarettes en une heure (pour situer les choses, il faut savoir que les parkings souterrains sont évacués lorsque le niveau de pollution en CO atteint 35 ppm).

Certes, le « tabamel » ne contient qu’un peu plus d’un quart de tabac et l’eau filtre une partie non négligeable de la nicotine - ce qui explique que la concentration en nicotine de la fumée de chicha soit beaucoup plus faible que celle de la fumée de cigarette -, mais la quantité de fumée inhalée avec une séance de chicha est beaucoup plus importante qu’avec une seule cigarette. Aussi, fumer une chicha finit par procurer autant de nicotine que fumer une ou deux cigarettes.

Sur le plan des risques sanitaires, il faut encore ajouter que l’utilisation collective de l’embout expose aux risques de transmission de microorganismes pathogènes, tels que les virus de l’hépatite B, de l'herpès, de la mononucléose infectieuse, de la grippe et des gastroentérites aiguës virales, le bacille tuberculeux, le streptocoque A ou encore le méningocoque et pour ne citer que les plus fréquents.

Alors, comment fumer la chicha favorise-t-il la surcharge pondérale et le diabète de type 2?

Le tabagisme classique est reconnu comme perturbateur du métabolisme du glucose et des graisses. C’est essentiellement la nicotine qui semble en cause, son mode d’action est complexe. Il en résulte que le tabagisme peut contribuer à une surcharge pondérale et à l’installation d’un diabète de type 2.

Ce qui est vrai du tabagisme classique l’est aussi de la fumée de chicha. On suppose en outre que d’autres toxines - non présentes dans la fumée de tabac, mais liées à tous les constituants du « tabamel » - peuvent favoriser une inflammation chronique de certains tissus à l’origine d’une résistance de ces tissus à l’action de l’insuline, phénomène primordial dans le mécanisme du diabète de type 2.

De plus, il ne faut pas oublier que le « tabamel » est fortement sucré. Parmi les sucres de fruits, le fructose est un sucre simple (monosaccharide) qui est facilement absorbé sans dépense d’énergie. On peut dès lors émettre l’hypothèse qu’une partie du fructose pouvant se retrouver dans la fumée de chicha soit absorbée par les muqueuses digestives, ce qui peut participer à la prise de poids (ce sont en effet les sucres plus que les graisses qui font prendre du poids).

Enfin, il est probable que l’activité qui consiste à fumer la chicha s’accompagne d’une augmentation du risque de prendre du poids et de développer un diabète de type 2 : réduction de l’activité physique et augmentation de la ration glucidique, c’est-à-dire de la consommation de sucres.

Peut-être faut-il aussi associer à ces risques le mode de vie des personnes qui fument une chicha et tous les facteurs extérieurs ?

Il n’est pas exagéré de dire que fumer la chicha est une sorte de toxicomanie, comme le tabagisme, la consommation régulière d’alcool et celle de substances psychoactives illicites couramment appelées « drogues ». Elle s’inscrit qu’on le veuille ou non dans une forme de marginalisation, certes bénigne, mais qui peut constituer la porte d’entrée à d’autres pratiques plus nocives.

La moyenne d’âge des fumeurs de chicha est plus jeune que celle de toute autre consommation de tabac et de cannabis. Une enquête menée à Paris en 2007 par l’association « Paris sans tabac » a montré que 50 % des jeunes de 16 ans et 70 % des adolescents de 18 ans avaient déjà essayé la chicha.

Cette nouvelle manière de consommer le tabac, nettement imprégnée de convivialité et d’évasion, est actuellement une indiscutable forte tendance chez les adolescents, ce qui inquiète le monde de la santé. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) affirme que fumer la chicha représente un risque sanitaire sérieux, aussi bien pour le fumeur actif que pour les personnes exposées à la fumée de chicha (fumeurs passifs).

De plus, dans ce contexte de l’adolescence, il est probable que le fait de fumer la chicha de façon plus ou moins régulière s’associe non rarement à un mode de vie qui s’écarte des recommandations sanitaires, en particulier sur le plan des habitudes alimentaires, ce qui peut amplement majorer le risque de surcharge pondérale et de diabète de type 2. Car d’une part une séance de chicha peut être accompagnée d’une ingestion de sucres, d’autre part cette séance peut occuper un espace de temps qui empiète sur le temps consacré à l’exercice physique.

Cette étude vient-elle définitivement enterrer l'idée entretenue que la chicha est sans risques ?

Il est certain que fumer la chicha est une activité porteuse de risques. Il n’est plus possible, compte tenu de ce que nous savons aujourd’hui, de considérer qu’il s’agit d’une consommation anodine que l’on peut regarder les adolescents pratiquer sans aucune appréhension. C’est bel et bien une addiction moderne, juvénile et toxique. Il faut s’en inquiéter et se mobiliser pour effectuer de l’information et de la prévention. C’est très sérieux et le temps presse.

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