Nucléaire : l’étrange entêtement allemand à vouloir fermer ses centrales<!-- --> | Atlantico.fr
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Une vue de la centrale nucléaire de Gundremmingen, dans le sud de l'Allemagne, le 26 février 2021.
Une vue de la centrale nucléaire de Gundremmingen, dans le sud de l'Allemagne, le 26 février 2021.
©LENNART PREISS / AFP

Energie de demain

Depuis que le massacre de Boutcha a été rendu public, l'Allemagne a payé près de 1,5 milliard de dollars de gaz à la Russie. L’Allemagne maintient pourtant ses objectifs de fermetures de centrales nucléaires en 2022.

Philippe Charlez

Philippe Charlez

Philippe Charlez est ingénieur des Mines de l'École Polytechnique de Mons (Belgique) et Docteur en Physique de l'Institut de Physique du Globe de Paris.

Expert internationalement reconnu en énergie, Charlez est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la transition énergétique dont « Croissance, énergie, climat. Dépasser la quadrature du cercle » paru en Octobre 2017 aux Editions De Boek supérieur et « L’utopie de la croissance verte. Les lois de la thermodynamique sociale » paru en octobre 2021 aux Editions JM Laffont.

Philippe Charlez enseigne à Science Po, Dauphine, l’INSEAD, Mines Paris Tech, l’ISSEP et le Centre International de Formation Européenne. Il est éditorialiste régulier pour Valeurs Actuelles, Contrepoints, Atlantico, Causeur et Opinion Internationale.

Il est l’expert en Questions Energétiques de l’Institut Sapiens.

Pour plus d'informations sur l’auteur consultez www.philippecharlez.com et https://www.youtube.com/energychallenge  

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Atlantico : Depuis le début du conflit ukrainien, l’Allemagne a acheté pour 1,5 milliards de dollars de gaz à la Russie. Quelles sont les conséquences de la fermeture de réacteurs nucléaires en Allemagne et dans quelle mesure cela a-t-il augmenté leur dépendance au gaz russe ?

Philippe Charlez : Le gaz représente 25% du mix énergétique allemand et 60% de ce gaz est importé de Russie via trois gazoducs. L’énergie allemande dépend donc à 15% du gaz russe. En France ce chiffre n’est que de 3%. Ce gaz est utilisé pour produire de la chaleur dans l’habitat (chauffage, eau chaude, cuisson des aliments) et dans l’industrie mais aussi pour fabriquer l’électricité. Et c’est sur ce troisième usage que la demande allemande s’est fortement accrue au cours des dernières années. Pour le comprendre, il faut revenir 20 ans en arrière.

En 2002 le chancelier allemand Gerhard Schröder lançait en grandes pompes l’ « energiewende » avec un double objectif : sortir de la génération électrique nucléaire en vingt ans et évoluer à terme vers un mix 100% renouvelable neutre en carbone. Confirmé par Angela Merkel, c’est surtout après la catastrophe de Fukushima de 2011 que l’Allemagne s’est lancée à corps perdu dans son « tournant énergétique ». Au cours des dix dernières années, elle a investi près de 800 milliards d’euros dans le solaire, l’éolien et la biomasse. Cela a eu un impact très significatif sur la facture énergétique du citoyen allemand qui paye son kWh deux fois plus cher que le français. Quel bilan peut-on faire de cette stratégie aujourd’hui mise à mal par le conflit russo-ukrainien ?

En une quinzaine d’années l’Allemagne a mis en œuvre 115 GW de solaire photovoltaïque et d’éolien (soit le double de la puissance nucléaire française !) qui, en 2019, ont produit 29% de l’électricité. Si l’on y ajoute les 8% de biomasse et les 3% d'hydroélectricité, cela conduit à 40% d’électricité renouvelable. Un record pour le top dix des économies mondiales ! Dans le même temps, le nucléaire est passé de 29% en 2000 à 12% en 2019 tandis que le charbon qui représentait la moitié de l’électricité produite à l’aune du XXIeme siècle, ne comptait plus que pour 29% en 2019. Le pays de Goethe a aussi vu ses émissions de gaz à effet de serre se réduire de 33% depuis l’année de référence 1990.

Plus de renouvelables, moins de nucléaire, moins de charbon et moins d’émissions, les résultats semblent en apparence alignés sur les objectifs initiaux. Pourtant ces résultats cachent en filigrane un cuisant échec comme l’ont récemment pointé P. Geoffron et JP Tran Thiet dans un excellent article publié sur le site de l’Institut Montaigne.

Ainsi quand on analyse finement les données, la principale réduction des GES allemands correspond à la période pré-energiewende 1990-2010 (-23%) alors que pendant l’Energiewende proprement dit (2010-2019) elles n’ont été réduites que de 10%. Durant la période 2010-2015 elles s’étaient même légèrement accrues. En fait, la réduction des GES allemands n’est en rien liée à la mise en œuvre des renouvelables qui ont en partie remplacé le nucléaire (zéro émission ont été remplacées par zéro émission !) mais au déplacement d’une partie de la génération électrique charbonnière vers le gaz naturel. Entre 2015 et 2019, l’Allemagne a ainsi accru de 15% sa génération électrique gazière et donc sa dépendance à la Russie qui est son principal fournisseur.

Quelle est la responsabilité historique des Verts allemands dans cette situation ?

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Les Verts ont promu depuis toujours un utopique mix électrique 100% renouvelable et voulu la sortie du nucléaire. Leur opposition au nucléaire est inscrite dans leur ADN pacifiste des années 1960 : ils n’ont jamais voulu faire la différence entre nucléaire militaire et nucléaire civil. L’odeur du nucléaire est celle de la bombe atomique d’Hiroshima. Leur opposition à l’atome n’est ni climatique ni technique, elle est purement morale.  Quand on sait que le vent souffle en moyenne 22% du temps et que le soleil brille 12% du temps, les renouvelables ne peuvent assurer seuls la production d’électricité. Pire, en hiver aux heures de pointe durant les périodes anticycloniques il n’y a ni vent ni soleil. Les renouvelables demandent donc d’être en permanence supportés par une source pilotable. Il en existe globalement trois : le nucléaire, le gaz et le charbon. Si on supprime le charbon et qu’on refuse le nucléaire il ne reste plus que le gaz. En supportant ce modèle utopique 100% renouvelable, les Verts ont donc mécaniquement provoqué une croissance du gaz naturel. Mais, leur responsabilité ne s’arrête pas là. Les verts allemands se sont aussi opposés à toute exploitation domestique de gaz en Europe (notamment des gaz de schistes) ainsi qu’à la construction de plusieurs terminaux méthaniers sur la Mer Baltique. L’Allemagne ne peut donc aujourd’hui substituer au gaz russe du Gaz Naturel Liquéfié puisqu’elle est dans l’incapacité de le regazéifier. Sa stratégie est donc « mains et poings liés » avec la Russie via notamment les gazoducs Nord Stream 1 (opérationnel depuis 2012) et Nord Stream 2 (terminé mais non certifié à la suite de la guerre russo-ukrainienne). On peut derrière cette stratégie des verts aussi pointer que certaines ONG comme WWF Allemagne ont été financées par Gazprom ce dont Poutine s’était d’ailleurs vanté à de nombreuses reprises. La responsabilité historique des Verts vis-à-vis de la situation actuelle est donc écrasante.

L’Allemagne fermera ses dernières centrales nucléaires avant la fin de l’année. La réouverture de réacteurs fermés pourrait-elle permettre de s’affranchir de cette dépendance ? A quels coûts ?

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Il ne reste plus en Allemagne que deux centrales opérationnelles représentant au total un peu plus de 4 GW. Elles seront fermées fin 2022. Fin décembre 2021 quatre autres GW avaient été définitivement arrêtés. La guerre russo-ukrainienne pose donc légitimement la question de remettre ces réacteurs en activité et de les prolonger au-delà du 31 décembre 2022. Techniquement il n’y a aucune impossibilité mais cela demanderait en revanche une annulation du décret et une autorisation légale d’extension ce qui pose des problèmes juridiques insurmontables vis-à-vis des législations allemandes et européennes. Selon une note publiée par le ministère allemand de l'écologie (dirigé par les Verts) la remise en service de ces réacteurs légalement décommissionnés demanderait de complexes études de risques. Quant aux réacteurs encore en activité et devant être définitivement arrêtés fin 2022, leur maintenance a été relâchée. La poursuite de leur exploitation au-delà de 2022 réclamerait une visité décennale non prévue pour l’instant. Personne ne semblant prêt à prendre cette responsabilité, les derniers réacteurs devraient s’arrêter comme prévu fin de cette année. Inutile de rappeler que l’énergie est gouvernée par le « temps long » et qu’un changement de politique énergétique au gré des évènements est pratiquement impossible. Sauf à ruiner son industrie et à provoquer de graves troubles sociaux l’hiver prochain, l’Allemagne, comme d’autres pays européens, continuera d’importer le gaz russe. Elles n’ont malheureusement pas d’autre choix

La politique énergétique n’est pas seulement une question de coût mais de stratégie long terme. Une décision prise il y a 20 ans se ressent toujours fortement aujourd’hui Sans construction de nouvelles centrales depuis 20 ans, la filière nucléaire française a été démantelée. Même si vous mettez des milliards d’euros sur la table si vous ne trouvez pas les compétences techniques et vos projets seront des fiascos. C’est ce qui est arrivé à l’EPR de Flamanville.

Comme dans toute idéologie, l’une des constantes de l’écologie politique est de rester sourde à la réalité des faits. Un écologiste, qu’il soit Français, Belge ou Allemand ne reconnaîtra jamais la faillite de son modèle. Durant la campagne électorale Yannick Jadot a continué de clamer que l’avenir se trouvait dans un mix 100% renouvelable et dans la sortie du nucléaire. Les verts belges veulent sortir du nucléaire en 2025 car cela a été gravé dans le marbre en 2002. On sait que cette stratégie entraînera une flambée de la demande gazière, une explosion des émissions et un accroissement significatif de la facture d’électricité du citoyen d’outre Quiévrain. Peu importe. Le malade doit mourir dans les règles. Pour un écologiste, accepter le nucléaire c’est un peu comme demander à un musulman de renoncer au Coran !

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