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Nouvelle guerre en vue aux frontières de l'UE : l'Ukraine est-elle sur le point d'exploser ?
©Reuters

THE DAILY BEAST

D'innombrables signaux annoncent une nouvelle guerre, depuis des mouvements de troupes jusqu'à la « malédiction russe du mois d'août ». Mais cette fois, il y a peut-être plus de fumée que de feu.

Michael Weiss

Michael Weiss

Michael Weiss est journaliste pour The Daily Beast.

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Copyright The Daily Best - auteur Michael Weiss

La semaine dernière, le FSB,  l'organisation qui a succédé au KGB, déclarait qu'il avait déjoué "des attaques terroristes" en Crimée le week-end précédent. Selon le service de sécurité, un agent du FSB avait été tué dans un échange de tirs avec des saboteurs le samedi soir près de la ville d'Armyansk occupée par les Russes, une ville proche de la frontière ukrainienne.

Le rapport affirme que plusieurs Russes et Ukrainiens ont été arrêtés et qu'un cache d'explosifs et d'armes a été découvert. Selon le FSB, une partie de l'armement, qui comprenait des engins explosifs improvisés et des mines magnétiques, appartient aux unités des forces spéciales ukrainiennes. Un Ukrainien de Zaporijia — un certain Yevgeny Panov,  qui serait un agent de la principale Direction du renseignement du ministère ukrainien de la Défense (GUR) — a été arrêté et serait censé avouer à ses ravisseurs.

Le dimanche soir, le FSB affirmait que les forces spéciales ukrainiennes avaient tenté par deux fois de franchir la frontière, couvertes par des « tirs massifs » des troupes et des véhicules blindés. Un soldat russe aurait été tué. Cette information, bien que non vérifiée de façon indépendante, suit les rumeurs qui circulaient la semaine dernière à propos de militaires russes patrouillant dans le nord de la Crimée, des témoins auraient entendu des tirs sporadiques. Une « source informée » a raconté au site russe Rosbalt, qu'un affrontement avait eu lieu à la frontière le dimanche soir, probablement les évènements que le FSB présente désormais comme une 'incursion terroriste de commandos ukrainiens'. Kiev nie tous combats à la frontière ou incursions en Crimée sous occupation russe. Mais Vladimir Poutine est furieux ou fait semblant de l'être. Il dit que « Kiev ne cherche pas à se diriger vers des négociations, mais se dirige vers la terreur. Du côté russe, en faisant face à ces attaques terroristes en Crimée, deux soldats sont morts, nous ne pouvons pas laisser passer cela ».

La guerre en Ukraine a été pendant la majeure partie l'année « pré-congelée mais prête à être enfournée », comme Ben Nimmo — l'ancien attaché de presse de l'OTAN — le disait, avec des flambées de violence et des provocations régulières  mais ne conduisant pas à une déflagration à grande échelle. Cela a cependant changé ces dernières semaines, avec des rumeurs en Ukraine et au sein de la presse étrangère sur les derniers stades de la préparation d'un autre affrontement majeur, vu l'activité militaire inhabituelle en Crimée.

Sur la péninsule, les activistes tatars ont noté que le matériel militaire russe était déplacé vers les villes du nord de Dzhankoy et Armyansk, près de la frontière avec le territoire contrôlé par l'Ukraine. Des vidéos vérifiables ont émergé qui montrent d'importantes grandes quantités de matériel militaire russe déplacées dans le sud de la Crimée. Des colonnes de véhicules blindés, d'ambulances militaires, de camions citernes, de véhicules de signalisation et de génie ont été vues dans la ville portuaire de Kerch — qui gère les arrivées de ferry en provenance de Russie.

Ils ont également été repérés à Simferopol, la capitale régionale de Crimée, et à proximité d'un camp d'entraînement militaire près de la ville méridionale de Féodosie. À Sébastopol, le service criméen de RFE/RL a filmé la corvette Mirazh — tire-missiles de classe Nanuchka — mouillée dans la baie. Par ailleurs, c'est le Mirazh qui avait coulé un bateau géorgien de patrouille côtière il y a huit ans. Selon le reportage, des points de contrôle ont été mis en place autour de la péninsule. À un barrage à l'extérieur de Simferopol, le reportage décrit des agents de circulation et des troupes du ministère de l'Intérieur russes arrêtant des bus, vérifiant les papiers des conducteurs et regardant à travers les vitres les passagers. Selon certains témoignages de Crimée du Nord, les services Internet avaient été coupés, et ne devaient pas être rétablis avant le 10 août.

Dzhankoy et Armyansk, étaient parmi les zones sans services, ce qui poussent à soupçonner que les communications ont été délibérément coupées par le régime d'occupation pour des raisons encore inconnues. Oleh Slobodyan, conseiller du chef du Service national des frontières d'Ukraine, a rapporté que les gardes-frontières avaient bien observé un « niveau élevé de l'activité des forces armées russes près de la frontière administrative. À six reprises, nous avons observé des vols d'hélicoptères militaires russes et, une fois, un véhicule aérien sans pilote. » Oleh Slobodyan a ajouté que les troupes russes avaient utilisé des projecteurs pour éclairer les positions ukrainiennes.

En réaction, l'Ukraine a déployé des troupes supplémentaires et du matériel militaire dans la région de Kherson, proche de la frontière administrative avec la Crimée. Ajoutant à l'inquiétude, l'administration de la ville de Kertch avait affiché une brève annonce, demandant aux touristes d'éviter de se rendre en Crimée pendant quelques jours. Selon l'annonce, le ferry Kertch est surchargé de touristes, qui pourraient arriver pour des vacances mais avec des accompagnateurs moins désirés, à savoir le gang de motards les loups de nuit —les propres Hells Angels de Poutine qui ont joué un rôle symbolique en 2014 jusqu'à l'annexion en traversant la péninsule pour une vague d'agitprop anti-Maidan. Le week-end précédent, d'énormes files d'attente se seraient formées aux points de passage à la frontière tandis que les forces d'occupation fermaient l'un des trois points de contrôle. Mais le lundi matin, toutes les routes étaient censées être ouvertes à la circulation à nouveau. Dans le Donbass, les provinces de Donetsk et Louhansk dans l'est de l'Ukraine, où une autre incursion militaire russe a été beaucoup plus sanglante qu'en Crimée, la situation s'est également tendue, juillet devenant le mois le plus meurtrier en presque un an de guerre.

L'administration du président ukrainien Petro Porochenko a compté 42 soldats tués et 181 blessés. La violence est en recrudescence principalement dans le sud de la région, près de la ville de Starohnativka, un point clé durant la campagne de l'été dernier, mais la majorité des attaques ont lieu autour de plusieurs autres points, l'objectif alternant entre eux. Il y a quelques jours Shyrokyne, sur la côte est de la mer d'Azov Mariupol, a subi des bombardements particulièrement intenses, l'armée ukrainienne déclarant plus de 200 obus en une seule soirée. Les combats font également rage tous les soirs autour de plusieurs autres points chauds, principalement Novotroitske, sur l'autoroute entre Mariupol et Donetsk ; Maryinka et Krasnohorivka, à l'ouest de la capitale régionale détenue par les séparatistes ; Avdiivka — au nord ; Zaitseve et Luhanske, au nord et à l'est de Horlivka.

L'artillerie lourde et des mortiers sont en action tous les jours, et il y a aussi des signalements — confirmés par des journalistes et l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), qui a une mission de surveillance sur le terrain chargée d'enregistrer les violations du cessez-le feu — d'utilisation de roquettes Grad  terriblement destructrices. L'artillerie et les roquettes tombent non seulement sur l'armée ukrainienne, mais sur les civils des deux côtés de la ligne de front, faisant au moins un blessé par jour et plusieurs morts par semaine.

Les signaux envoyés par les responsables ukrainiens sont mitigés. Il y a deux semaines, le colonel Andriy Lysenko — porte-parole militaire de l'administration présidentielle ukrainienne — déclarait que les forces armées ukrainiennes attendaient à tout moment une nouvelle offensive, peut-être la semaine suivante. Andriy Lysenko disait qu'on pouvait voir du matériel militaire lourd manœuvrer sur l'ensemble de la ligne de front. En revanche, Anton Gerashchenko, député et conseiller de ministre de l'Intérieur Arsen Avakov, déclarait aux journalistes : « Je peux dire ouvertement que nous ne prévoyons pas de guerre ou d'attaque de la Fédération de Russie sur l'Ukraine dans un avenir proche. Vladimir Poutine a réalisé que la poursuite de l'occupation militaire de l'Ukraine n'entraine pas les résultats qu'il escomptait. La stratégie de Vladimir Poutine repose sur la négociation du retour du Donbass à condition que l'Ukraine abandonne toutes les tentatives de reprendre la Crimée ».

Les renseignements militaires ukrainiens — que le FSB accuse maintenant de préparer un sabotage — sont plutôt optimistes concernant les mouvements dans la Crimée occupée. Le porte-parole du GUR ukrainien Vadim Skibitsky a déclaré au Ukrainska Pravda que les mouvements observés en Crimée étaient des préparations à l'exercice Kavkaz-2016, un exercice annuel dans le district militaire du sud de la Russie. Cela correspondrait aux convois qui se dirigeaient vers le camp d'entraînement près de Féodosie. Vadim Skibitsky a cependant noté que ces préparations pouvaient servir à dissimuler une mobilisation avant des attaques, les mêmes exercices avaient eu lieu à la veille de la guerre de l'été 2008 entre la Russie et la Géorgie. Vadim Skibitsky a également dit que des troupes avaient été déployées dans la zone Dzhankoy, mais que cela était une rotation planifiée. Ces rotations d'unités ont lieu tous les six mois, a-il précisé.

Cette analyse serait confirmée par l'unité de véhicules blindés qui a été filmée se dirigeant vers Kertch. Dr. Igor Soutiaguine — expert militaire russe au Royal United Services Institute, basé à Londres — a dit au Daily Beast qu'il avait reconnu l'insigne de la 127ème Brigade de reconnaissance, unité formée l'an dernier à Sébastopol. Alors que se passe réellement ? Bien que le Donbass ait certainement enregistré un niveau plus soutenu de violence et de mort le mois dernier, il est difficile d'évaluer si un « moment décisif » arrive dans cette guerre. Cette année, nous avons vu les troupes ukrainiennes enregistrer des avances marginales pas loin de tous les lieux mentionnés ci-dessus. Nous avons constaté des déploiements accrus d'armes antiaériennes des forces russes, et une nouvelle volonté d'abattre les drones de l'OSCE avec. Nous avons même des récits qui indiquent que la Russie a introduit des drones armés, qui ont mené plusieurs attaques contre des positions ukrainiennes derrière les lignes, mais qui n'ont pas été repérés depuis plusieurs mois. La surtension actuelle et la constante des violences indiquent-elles ce qui va se produire, ou tout simplement une nouvelle vague de combats qui s'atténuera comme les précédentes ? Et de quelles options dispose Vladimir Poutine pour ne pas « laisser passer » la mort de deux soldats russes ? Sur l'autre front avec la Crimée, le mouvement des troupes et du matériel russes est certainement une démonstration dangereuse de force, qui s'ajoute à la pression sur les forces ukrainiennes dans le cas d'une offensive russe tous azimuts. Mais il est encore peu probable que la Russie tente d'envahir la partie continentale de l'Ukraine par cet isthme. Il serait difficile pour la Russie d'organiser une invasion — avec un unique petit pont de terre reliant la péninsule au continent et quelques passages à niveau dans les lagunes de la Syvach — sans l'appui sérieux de la puissance aérienne et maritime. La Russie est déjà engagée depuis près d'un an dans une campagne — principalement aérienne — en Syrie, où les rebelles soutenus par les Turcs ont récemment brisé le siège — qui durait depuis un an — de la partie orientale d'Alep malgré ses intenses sorties pour le maintenir. En outre, plusieurs unités d'élite impliquées dans la prise de contrôle de la Crimée en 2014, comme la 810ème Brigade Marine, sont passées de Sébastopol à la Syrie. Seraient-elles maintenant rappelées à leur base ? Un assaut amphibie en Ukraine à partir de la péninsule — des véhicules blindés équipés de tubas ont été filmés en mouvement— serait une autre possibilité, mais l'armée ukrainienne a disposé de près de deux ans et demi pour renforcer la frontière. Cependant, Moscou n'a nul besoin d'envahir l'Ukraine à nouveau pour lui causer du tort. Ces manœuvres militaires en Crimée, et les récits du FSB sur les suspicions de « terrorisme » comptent toujours comme une forme de guerre psychologique visant à nuire à l'économie ukrainienne déjà mal au point, et peut-être aussi à pousser Kiev à commettre une erreur qui pourrait lui coûter davantage. Le pire serait de réagir à une provocation de telle manière que la Russie puisse plausiblement se présenter comme la victime plutôt que l'agresseur. Les Russes ont largement fait usage d’opérations psychiques tout au long du conflit, de concert avec une campagne de propagande massive ; comme l'envoi de SMS à des quartiers entiers la veille d'une bataille, semant la panique et la confusion, ou la diffusion de vidéos HD de prisonniers ukrainiens victimes de violence puis leurs cadavres profanés. Le mois d'août est aussi le plus cruel de l'histoire russe. C'est en août 2014 que les forces régulières russes ont monté une invasion à grande échelle du Donbass pour soutenir leurs mandataires en difficulté. Avant cela, du le début de la Première Guerre mondiale en 1914, au coup d'État manqué à Moscou en 1991, à la crise financière de 1998, au début de la seconde guerre tchétchène en 1999, à l'accident du sous-marin du Koursk en 2000, à la guerre de l'été 2008 avec la Géorgie, aux dizaines d'attaques terroristes et catastrophes naturelles, de nombreux Russes croient en une « malédiction d'août » ; et on se demande si la superstition peut céder la place à prophétie auto-réalisatrice. Est-il possible, par exemple, avec toute cette anxiété, de concevoir des commandants ukrainiens sur-réagissant à des mouvements de troupes à la frontière de Crimée ou des bombardements du Donbass. (Après tout, les Géorgiens ont fait cette erreur de calcul en Ossétie du Sud et en Abkhazie.) Les forces soutenues par les Russes pourraient toujours monter des "représailles" ou accorder au Kremlin l'occasion de crier à « l'agression » ukrainienne et d'entrer en guerre sous prétexte de légitime défense ou "d'urgence humanitaire", peut-être même de déployer unilatéralement des forces « de maintien de la paix ». La situation géopolitique actuelle ne présage rien de bon pour l'Ukraine. La plupart des défenseurs les plus vigoureux de Kiev ne sont plus en poste comme les anciens ministres des Affaires étrangères suédois et polonais — Carl Bildt et Radek Sikorski — ou sont nommés à d'autres poste, comme l'infatigable ambassadeur américain en Ukraine, Geoffrey Pyatt. L'Europe semble à la fois épuisée par la lenteur des réformes de Kiev et fait face à des préoccupations plus grandes et plus immédiates, telles que la crise des migrants, la montée de l'extrême droite au sein de ses propres frontières, le terrorisme djihadiste, le Brexit et la possibilité d'autres sorties de l'UE. Des rapprochements avec Moscou se produisent partout, d'Ankara, à Londres, à Washington ; du moins en ce qui concerne la Syrie. (Le commandant en chef boiteux — dont le prédécesseur fut chargé de la crise géorgienne quelques mois à peine avant la fin de son second mandat — ne semble pas vouloir quitter ses fonctions sur une confrontation avec son homologue russe.) À Bruxelles, le désir passer l'éponge et de lever les sanctions sur les fonctionnaires et les institutions russes afin de revenir à un statu quo antérieur aux échanges commerciaux et aux investissements étrangers direct se ressent profondément. Dans cette atmosphère de désillusion, un certain candidat à la présidence américaine — qui flatte ouvertement Poutine — a laissé entendre que la reconnaissance de la Crimée comme territoire de la Fédération de Russie (parce qu'il a entendu dire que les Criméens le désirent) et la levée de toutes les sanctions économiques pourraient faire partie des objectifs de politique étrangère de son gouvernement.

Avec les Jeux Olympiques toujours en cours à Rio, et Donald Trump toujours à la télévision, qui remarquerait une autre petite guerre rapide en Europe ?

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