Nouvelle défaite pour les travaillistes tendance gauche radicale au Royaume-Uni : une leçon pour la gauche du PS ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Jeremy Corbyn, chef du "Labor"
Jeremy Corbyn, chef du "Labor"
©REUTERS/Stefan Wermuth

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En dépit de la victoire de Sadiq Khan à la mairie de Londres, le parti travailliste britannique enregistre un nouveau recul au cours des dernières élections régionales et municipales, ce dont ferait bien de s'inquiéter la gauche de la gauche française.

Bruno Bernard

Bruno Bernard

Anciennement Arthur Young.
Ancien conseiller politique à l'Ambassade de Grande-Bretagne à Paris, Bruno Bernard est aujourd'hui directeur-adjoint de cabinet à la mairie du IXème arrondissement de Paris.

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Atlantico : Les résultats des élections régionales et municipales au Royaume-Uni révèlent un nouveau recul du parti travailliste de Jeremy Corbyn. Doit-on interpréter ces résultats comme une remise en cause/contestation de sa ligne politique très à gauche actuellement ?

Bruno Bernard : Depuis l'arrivée de Jeremy Corbyn, le Labour n'a pas réussi à gagner de nouveaux électeurs, ni à convaincre de sa capacité à se remettre de sa défaite de 2015. On observe cela en Ecosse, au Pays de Galle, mais aussi en Angleterre même si les résultats sont moins mauvais que dans les deux autres pays. Bien qu'ayant réussi à sauver quelques meubles en Angleterre, le Labour n'a pas réussi à se remettre dans le droit chemin en dépit de l'affaiblissement, en face, du gouvernement très affaibli et très divisé sur la question du Brexit. Or, le problème, c'est que le parti travailliste est tout aussi divisé sur le sujet également. La ligne Corbyn apparaît donc aujourd'hui en échec.

On peut dire que la ligne gauchisante de Corbyn est l'une des explications quant au fait que le Labour n'ait pas réussi à capter de nouveaux électeurs. Il ne faut pas oublier que dès la victoire d'Ed Miliband contre son frère David à la tête du parti travailliste, on avait déjà dit que c'était un coup de barre à gauche. La défaite face à David Cameron aux dernières élections législatives était aussi une manière de remettre en cause ce coup de barre à gauche pour faire peur au sein du parti travailliste. Or, pour une majorité d'adhérents, cela semble avoir été l'inverse : il fallait mettre la barre encore plus à gauche. C'est là où l'on voit un décalage profond, à mon sens, entre les adhérents et les votants qui ont élu Monsieur Corbyn, et les électeurs qui sont souvent plus modérés que les militants, que se soit à droite ou à gauche. La ligne défendue par Corbyn, si elle fait plaisir à ses militants, et peut-être aux membres du parti travailliste, ne convient pas aujourd'hui suffisamment aux électeurs pour apparaître comme un parti de gouvernement crédible. 

Cette ligne politique est largement adoptée en France par une partie du PS incarnée notamment par les frondeurs, mais aussi par l'extrême-gauche à travers la figure de Jean-Luc Mélenchon. Quelles leçons pourraient et devraient tirer ces acteurs politiques des résultats des dernières élections au Royaume-Uni ? En sont-ils capables ? 

Ils seraient effectivement bien avisés de regarder attentivement ce qu'une tentative "in vivo"/live de gauchisation d'un grand parti de gouvernement, comme le Labour, peut faire à ce parti. J'espère pour eux que cela leur permettra de voir les résultats de cette tentation qu'ils affectionnent depuis l'élection de François Hollande. Pourtant, ils devraient comprendre qu'eux-mêmes ne sont pas majoritaires dans le pays malgré les impressions qu'ils peuvent avoir. Il ne faut quand même pas oublier que Martine Aubry a été défaite par François Hollande et que la gauche a complètement disparu des Hauts de France. Ils doivent donc se poser la question suivante : suivons-nous une ligne crédible pour reprendre le pouvoir - avec peut-être une coalition à gauche - ou maintenons-nous le cap sur une ligne autodestructice marquée par une course au "plus dur que moi tu meurs" ? A mon sens, et selon les résultats britanniques, il semblerait que ce soit la deuxième réponse qui l'emporte. Jean-Luc Mélenchon se satisferait grandement de faire tomber François Hollande ou n'importe quel candidat du PS bien qu'il n'ait pas d'alternative crédible au gouvernement à proposer. On a d'ailleurs du mal à comprendre la teneur de sa ligne : elle n'est ni vraiment communiste, ni vraiment socialo-écologiste, ni libérale-libertaire. Il essaye d'être un peu l'attrape-tout de la contestation de gauche qui, à mon sens, ne représente pas du tout une majorité dans ce pays. 

Le problème entre les acteurs précédemment cités, c'est qu'ils sont incapables de se parler entre eux. Ils feront chacun une analyse, dans leur coin, des résultats britanniques. Et puis, on n'a jamais vu les résultats d'une élection étrangère avoir une quelconque répercussion en France. Les partis français ont toujours la prétention d'avoir la vérité révélée. Ceux qui voudront voir midi à leur porte diront que Corbyn, grâce à sa stratégie tout à gauche et de pureté intellectuelle gauchisante, a réussi à sauver les meubles, du moins en Angleterre. Les autres en face diront qu'il n'a pas réussi à se réinstaller comme un parti de gouvernement crédible.

Il faut bien distinguer les frondeurs de Jean-Luc Mélenchon. Ce dernier sera très content de faire tomber François Hollande alors que les frondeurs sont plus partagés sur ce point car ils savent très bien que si François Hollande et consort perdent les élections l'année prochaine, un certain nombre ne reviendront pas. 

L'élan de gauchisation que connaît le PS actuellement, parallèlement au phénomène de centrisation incarné par Emmanuel Macron, ne serait-il pas un risque électoral supplémentaire pour 2017 ? 

Si le PS n'arrive pas à produire un candidat qui réussise cette synthèse, un peu à la Hollande d'une certaine manière - quelqu'un de labellisé comme étant plutôt "centro-compatible", social-démocrate, qui irait sur sa gauche, ou quelqu'un de très à gauche qui irait ensuite vers la sociale-démocratie - il n'y a aucune chance pour le parti. Visiblement, c'est un peu ce que tente de faire Hollande : d'un côté, nous avons Macron et Valls qui incarnent les ailes droites du parti, et de l'autre nous avons les repoussoirs comme Mélenchon et consort, et les quelques frondeurs qui restent. Hollande a toujours essayé de faire cette synthèse au sein du PS. Curieusement, le seul pour qui cela semble marcher, c'est Emmanuel Macron, qui est l'inverse de la gauchisation du PS. Sur une primaire ouverte comme en 2011, Macron aurait de vrais chances de l'emporter.

Aujourd'hui, on assiste à une radicalisation dans les partis politiques qui, à mon sens, correspond aussi au fait que les partis politiques deviennent à la fois moins utiles et moins représentatifs. De ce fait, je pense que la gauchisation de certains au PS répond à un petit moment de panique, avec l'impression de ne plus avoir ce candidat central, ni ce rôle central, d'être écartelé entre Mélenchon et Macron. A cela s'ajoute l'absence de candidats pour le PS dans le cas où Hollande déciderait de ne pas se représenter. Il n'y a aucun recours : Martine Aubry a complètement disparu, Valls est trop proche de Hollande. 

Dans le contexte politique actuel en France, quelles sont encore les chances de survie de cette ligne politique gauchiste ? 

Le gauchisme a visiblement quelques beaux jours encore devant lui, comme on le voit avec le mouvement Nuit Debout. Cette capacité d'existence et de nuisance est toujours présente. Le gauchisme, comme l'Histoire l'a révélé, sera toujours content de ne pas être au pouvoir. Il sera donc ravi de provoquer la chute du gouvernement socialiste considéré comme un gouvernement social-traître. A partir de là, il y a toujours un avenir : avant, c'était Besancenot, aujourd'hui c'est Mélenchon. Ce sont des personnalités qui peuvent monter jusqu'à 12-13% de l'électorat, qui est d'ailleurs assez composite et pas forcément très populaire. Il y a donc un avenir, mais certainement pas en tant que parti de gouvernement. 

Propos recueillis par Thomas Sila

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