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Nouveau locataire à la Maison Blanche : pourquoi nous sommes entrés de plain-pied dans une nouvelle ère de l’histoire occidentale
©REUTERS/Rick Wilking

Débâcle

Alors que pendant les Trentes Glorieuses régnait l'illusion que croissance économique et démocratie s'auto-nourrissaient, le monde occidental est entré dans une économie "ordinaire" et les taux de croissance y sont faibles voire négatifs. Cette contrainte économique limite l'action gouvernementale et la mise en oeuvre de politiques sociales ambitieuses. Une réalité dont les responsables politiques comme les électeurs doivent désormais tenir compte.

Raul  Magni Berton

Raul Magni Berton

Raul Magni Berton est professeur de sciences politiques. Il a enseigné à Paris, Montréal et Bordeaux et enseigne depuis 2009 à l’Institut d’Études politiques de Grenoble. Spécialiste de politique comparée, il travaille sur les régimes, les élections et l’opinion publique, surtout dans les pays européens. Il a publié plusieurs livres et articles dont Démocraties libérales (Economica, 2012) et Que pensent les penseurs ? (PUG, 2015).

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UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Atlantico : La campagne électorale américaine a été celle du rejet par les électeurs des discours traditionnels des deux grands partis, qui associaient ouverture, mondialisation, liberté d'entreprendre et prospérité. Alors que les Trente Glorieuses ont reposé sur l'illusion que démocratie et richesse (croissance économique) se nourrissaient mutuellement, dans quelle mesure l'élection américaine marque-t-elle l'entrée dans une nouvelle ère politique ? 

Jean-Paul Betbèze : Le rejet politique a surtout été celui de politiques qui n’arrivaient pas à formuler un projet pour la société américaine dans son ensemble. Le slogan d’Hillary Clinton, Stronger Together, menait à la question : pour quoi faire ? Et celui de Donald Trump, Make America Great Again, avait un côté nostalgique non pas de l’économie, puisque les Etats-Unis sont sortis de la "crise" si l’on prend le PIB ou le taux de chômage, mais bien de leur hégémonie passée. Or, le retour à l’ancienne Pax Americana est impossible, avec le succès même de la globalisation, dont la Chine est la grande gagnante. Par rapport au projet d’Hillary Clinton, il faut dire "Pour quoi faire ?" en liaison avec la révolution de la communication et de l’intelligence.

La période passée a été celle où la croissance régulière s’est faite autour de la diffusion des biens durables du ménage, de l’automobile, de la maison et du crédit. Cette évolution d’une demande prévisible a suscité la montée de grandes unités de production de biens et de services, permettant au système démocratique de fonctionner convenablement. Ce n’est pas une illusion, mais une construction qui s’est renforcée, étendue et sans doute trop complexifiée, au point d’être moins efficace et surtout moins visible. Aujourd’hui, quand une décision politique est prise, on connaît de moins en moins ses effets. Il n’est pas sûr, dans ce cas, que les élections américaines vont aider. Les politiques ont promis, mais le Congrès peut bloquer. Il sera alors de plus en plus difficile de réunir un peuple qui a été autant "antagonisé". Nous vivons une crise du projet social, correspondant à la révolution technologique en cours.

Raul Magni-Berton : Aux Etats-Unis comme en Europe, durant les Trente Glorieuses, outre la croissance, tous les pays avaient une marge de manœuvre économique extrêmement forte car les politiques menées étaient plutôt protectionnistes et chaque pays avait sa propre monnaie et un fort contrôle sur son économie.

L'ouverture des frontières, qui est un phénomène progressif (au début du siècle dernier jusqu'aux années 1930, il y avait déjà eu une dynamique d'ouverture des frontières), réduit les enjeux de toutes les élections. En effet, un grand nombre de politiques deviennent infaisables ou inefficientes au niveau national. 

Le fait que l'enjeu des élections devienne plus faible a deux effets : d'une part, une montée de la demande pour plus de contrôle et de souveraineté sur la politique, et d'autre part, dans la mesure où pour les électeurs les enjeux politiques diminuent avec la mondialisation, l'abstention est en hausse, et les scores cumulés des principaux partis de gouvernement diminuent un peu partout.

Concrètement, que peut changer, du côté des politiques menées comme du côté des demandes des électeurs, la prise de conscience que nous sommes entrés dans une économie "ordinaire" et que nous ne renouerons probablement jamais avec les taux de croissance post-Seconde Guerre mondiale ?

Jean-Paul Betbèze : La thèse de Levinson selon laquelle nous entrons dans une "économie ordinaire" me semble complètement erronée (Marc Levinson : An Extraordinary Time : The End of the Postwar Boom and the Return of the Ordinary Economy). Nous vivons une période de mutation économique et sociale qui, par son ampleur et sa vitesse, est sans exemple historique. Il est vrai que la période d’après-guerre, celle de la grande croissance ou bien du rêve américain généralisé, a permis un développement économique et social dans le monde développé avec la montée des dépenses de transfert et des programmes sociaux. Aujourd’hui, avec une croissance qui ralentit, les promesses électorales, elles, n’ont pas ralenti ! C’est bien pour cela que les élections s’engagent dans des dépenses et des déficits croissants dans l’espoir que l’économie procurera ensuite des ressources suffisantes pour combler l’écart. Mais c’est de moins en moins vrai. Le politique n’arrive pas à intégrer ce qu’apportera la nouvelle économie. Il fait donc de "vieilles promesses" qui ne correspondent plus aux conditions actuelles de production et moins encore de demande. Il y a donc à la fois creusement des déficits budgétaires, insatisfactions et gâchis. 

Nous ne savons pas bien mesurer la croissance par le PIB, et moins encore aujourd’hui. Une économie plus efficace en utilisant les nouvelles technologies nous permettrait plus de satisfaction, moins de pollution, sans pour autant avoir plus de PIB traditionnel. Ne pas renouer avec les anciens taux de croissance n’est donc pas un drame si nous sommes plus productifs, plus compétitifs et plus précis pour répondre aux nouvelles demandes, notamment celles des populations vieillissantes.

Raul Magni-Berton : Dans le monde occidental, la croissance se stabilise sur des taux faibles ou négatifs, selon les cas. Nous ne renouerons effectivement probablement jamais avec les niveaux de croissance que l'on a connus auparavant, mais cela ne signifie pas que l'Occident est entré dans une crise économique chronique. Il est certain que la conception de la politique sociale qui existait auparavant ne peut plus s'appliquer : toutes les politiques keynésiennes menées misaient sur la croissance de demain pour rembourser les dettes d'aujourd'hui. Ce n'est désormais plus possible. Or, nos systèmes politiques démocratiques continuent de produire des dettes. Ils doivent s'adapter. 

En revanche, si le monde occidental a des taux de croissance qui sont faibles, la richesse, en termes absolus, est plus élevée qu'au moment des Trente Glorieuses. Il y a encore donc beaucoup de marges pour des politiques redistributives, mais à condition qu'elles ne creusent pas la dette. Il faut comprendre que la redistribution n'est pas synonyme de dette. 

L'une des causes de la défiance des électeurs vis-à-vis de la démocratie réside dans le décalage entre les promesses faites par les candidats lorsqu'ils sont en campagne et les difficultés à les tenir une fois qu'ils sont au pouvoir, du fait de contraintes économiques qui limitent le champ de l'action gouvernementale. Dans quelle mesure une campagne électorale plus "sincère" permettrait-elle de faciliter l'exercice du pouvoir ? Quelles autres solutions peut-on envisager pour restaurer la confiance de la population dans la démocratie ? 

Jean-Paul Betbèze : Le drame actuel des responsables politiques est de faire des promesses qu’ils auront d’extrêmes difficultés à tenir, d’autant que le temps leur est compté. Le (la) Président(e) américain(e) est élu(e) pour quatre ans, mais au bout de deux ans il y a des élections de mi-parcours au Congrès et la troisième année se préparent les nouvelles élections ! 

Le risque actuel est la concurrence entre les systèmes politiques et démocratiques, même avec leurs défauts et les systèmes autoritaires (Chine au premier plan). La difficulté qu’il y a pour les pays émergents à continuer à croître rapidement est à l’origine de leurs problèmes politiques, faute de trouver des appuis suffisants de puissances plus avancées et démocratiques. C’est alors qu’ils ont tendance à devenir autoritaires. C’est la responsabilité des démocraties de les aider davantage. Il ne s’agit pas ici d’impérialisme mais de diffusion des technologies et des connaissances qui permettront de développer un nouveau système économique, social et politique. Nous vivons, au plan technologique, une révolution de l’intelligence. Comme toujours dans l’histoire, la société n’est pas au diapason. Elle freine, s’inquiète, voire désire aller en arrière. Nous n’allons pas dans une "économie ordinaire" mais dans une économie extraordinaire. Encore cinquante ans, elle sera "ordinaire" !

Raul Magni-Berton : La sincérité, je ne suis pas sûr… C'est une théorie intéressante mais cela reste une théorie. Le fait que les candidats "mentent" dans leurs programmes n'est pas nouveau. Une campagne électorale est une compétition et le but est de gagner l'élection : celui qui est sincère, ou trop pessimiste sur les conséquences que sa politique aura, réduit ses chances de l'emporter. 

Par ailleurs, si les systèmes politiques démocratiques produisent une méfiance, c'est aussi - et surtout - parce que les partis politiques ont vu leur base militante se réduire considérablement et qu'ils sont devenus autonomes financièrement (car ils ont trouvé le moyen d'avoir des financements publics et n'ont plus besoin du soutien financier des populations). En tenant compte de l'abstention, on s'aperçoit que les partis politiques - même le parti majoritaire - représentent une petite minorité du pays. Sans militants, ni électeurs, le système politique devient oligarchique et il est compréhensible qu'il soit rejeté. 

Pour restaurer la confiance, deux aspects me semblent fondamentaux : premièrement, lutter contre la dérive oligarchique du système ; deuxièmement, essayer de garder la mainmise des électeurs sur les décisions qui les concernent. La Suisse est à ce titre un exemple pour les pays occidentaux : toute décision au niveau international est toujours soumise à un référendum, ce qui donne aux électeurs l'impression de contrôler leur destin. Ce système très fédéral repose sur des procédures fortes de démocratie directe. Il me semble que la solution à la débâcle démocratique que connaissent la plupart des pays occidentaux se trouve en Suisse. Il nous faudrait donc changer de Constitution, de système politique et passer à la démocratie directe.

Si les responsables politiques continuent d'être perçus comme  incompétents ou malhonnêtes, quelles pourraient en être les conséquences politiques ? Peut-on envisager un effacement de la démocratie, au profit d'un régime plus autoritaire ?

Raul Magni-Berton : Il y a effectivement un risque de dérive autoritaire. La démocratie directe dont je viens de parler repose sur deux principes : la démocratie et la souveraineté. Or, la souveraineté peut exister sans la démocratie. Il est possible qu'émerge un leader charismatique qui prône une souveraineté sans démocratie. 

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