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Non, Sarkozy n'a pas été élu maire de Neuilly en profitant de l'hospitalisation de Charles Pasqua : "Nicolas a su saisir cette opportunité inattendue. Je n’avais pas une envie torride d’y aller"
©Reuters

Bonnes feuilles

Ce récit explore sa longue carrière politique, entre ombre et lumière, de l’engagement gaulliste à la litanie des affaires qui aura occupé la fin de sa vie publique. Les racines corses, Chirac, le SAC, Malik Oussekine… L’homme d’État, enfin, se livre sur lui-même, sa vie au côté de son épouse, la disparition de son fils, ses regrets. Du Pasqua parlé dans le texte, parfois abrupt, souvent tendre. Extrait de "Le serment de Bastia, de Charles Pasqua avec Jean-François Achilli, aux éditions Fayard 1/2

Jean-François  Achilli

Jean-François Achilli

Jean-François Achilli est journaliste politique à France Inter. Depuis septembre 2011, il anime l'émission Radio France politique.

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Charles Pasqua

Charles Pasqua

Charles Pasqua, résistant, fidèle parmi les fidèles du général de Gaulle, député puis sénateur des Hauts-de-Seine, fut l’homme-clef du RPR et deux fois ministre de l'Intérieur. Il n’aura pu voir la publication de cet ouvrage très personnel.

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Achille Peretti disparaît à l’âge de soixante-douze ans. Cet Ajaccien aura accompli bien des choses dans sa vie. Au début de la guerre, je n’étais qu’un petit garçon quand il a créé le premier réseau de résistance et de renseignements de la police. Puis il a protégé de Gaulle à Paris le 26 août 1944, quand les coups de feu ont éclaté aux abords de Notre-Dame, au lendemain du célèbre discours « Paris outragé, Paris brisé, Paris martyrisé mais Paris libéré ».

Achille Peretti a également été le mentor d’un petit jeune qui en veut et que j’ai pris moi-même sous mon aile : Nicolas Sarkozy, ambitieux et sans doute promis à un bel avenir. Il lui a offert à vingt-deux ans son premier mandat de conseiller municipal ; c’était en 1977. Cinq ans plus tard, Nicolas a épousé une Corse, Marie-Dominique Culioli, sa première épouse, qui lui donnera deux garçons, Pierre et Jean. J’ai été moi-même le témoin de leur mariage.

Patrick Balkany, un peu secoué, raccroche et appelle immédiatement son ami Nicolas, qui vient le rejoindre sans perdre de temps. Le corps d’Achille Peretti a été ramené à son domicile neuilléen et installé dans sa chambre à coucher. Les deux compères s’y rendent et y croisent la fille du défunt, à laquelle ils présentent leurs condoléances. Après s’être recueillis un instant, Patrick et Nicolas téléphonent chez moi et tombent sur Jeanne, qui leur explique que je suis hospitalisé à la clinique Hartmann de Neuilly pour y être opéré le lendemain à l’aube.

Voilà le duo qui débarque dans ma chambre. Je suis en pyjama, sous tranquillisants, je m’apprête à dormir. J’apprends la triste nouvelle, adossé à mon oreiller. Les deux échangent un regard. Balkany se lance, avec sa voix traînante :

« Charles, nous pensons, Nicolas et moi, que vous devez vous présenter comme successeur d’Achille.

— Comme maire de Neuilly ? Ô pauvre ami… »

Je vis cela comme un double drame personnel : non seulement j’aimais beaucoup Achille, c’est une perte, mais en plus, je sais que je n’ai au fond de moi ni la vocation ni l’envie d’être maire.

Les deux me contraignent à m’habiller. Je fais appeler le médecin de garde et décide d’annuler mon intervention chirurgicale. Nous voilà partis chez moi. Ma femme ne cache pas sa surprise de me voir rentrer sans avoir été opéré.

J’appelle aussitôt Jacques Chirac, qui n’a pas l’air très au point sur les procédures en cas de décès d’un maire :

« Bon, Charles, il faut immédiatement convoquer les électeurs de Neuilly.

— Mais non, Jacques. Ce ne seront pas des élections générales ! Ça va se jouer à l’intérieur du conseil municipal.

— Ah bon, d’accord. En tous les cas, il n’y a pas à hésiter, il faut que tu y ailles. C’est pour toi ! »

Je raccroche, me tourne vers les deux jeunes loups et leur annonce la couleur. Nicolas veut, sans attendre, faire la tournée des popotes. Ils semblent très remontés et me proposent de sonder les élus : il s’agit de voir sur qui on peut compter, et de préparer les choses au plus vite. Je leur donne le feu vert.

Au fur et à mesure qu’il effectue sa tournée, Sarkozy se rend compte qu’il n’y a peut-être pas de majorité pour moi au conseil. Cela s’annonce très tangent. Et puis, il a sans doute une idée derrière la tête. Pendant qu’il démarche un à un chacun des quarante-neuf conseillers, j’effectue ma propre petite enquête auprès de quelques dignitaires municipaux : tous sont plus ou moins partisans d’être candidats eux-mêmes !

Les jours passent. Je réalise que je n’ai vraiment pas la fibre locale, ni envie de régler en permanence toutes ces querelles de clocher et de personnes. J’ai déjà décliné la mairie de Marseille que l’on m’a apportée sur un plateau. J’ai en revanche apprécié mon premier passage comme président du conseil général des Hauts-de-Seine, parce que, là, vous pouvez vraiment vous occuper des problèmes à grande échelle et faire évoluer les choses. Mais alors, la mairie, comment dire… Et puis, je me dis aussi que Neuilly, ce n’est pas mon truc. J’ai déjà conquis la circonscription de Levallois-Perret, fief du PCF, avec ses cités ouvrières, une commune plus proche de ma fibre populaire. Mais Neuilly-sur-Seine et ses banquiers, ce n’est pas mon combat. Même si j’y vis, je ne m’y sens pas tout à fait chez moi.

Finalement, un certain nombre de Neuilléens pensent que, parmi les différentes options, pourquoi ne serait-ce pas Nicolas ? Il saisit sa chance et vient me le dire avec beaucoup de précaution, en m’expliquant longuement que mon nom ne fait pas l’unanimité.

Le jour du vote, le 29 avril, quinze jours seulement après la disparition d’Achille, l’ambiance est assez tendue à la mairie. Le suspense est réel.

Nicolas est élu avec une courte majorité face au centriste Louis-Charles Bary. Toute sa famille est présente. Il vient me remercier.

Tout le monde dira qu’il m’a volé cette élection. Je vais rétablir une ou deux vérités à ce sujet, parce que, en réalité, s’il y avait bien quelqu’un qui voulait absolument être candidat, c’était lui.

Je crois qu’au départ il n’a pas eu cette idée, et que c’est un peu moi qui la lui ai donnée. Si j’avais voulu m’opposer à Sarkozy, il n’aurait pas été élu. J’aurais probablement pu l’être. Ou, alors, ça aurait foutu un tel bordel que personne de notre camp ne serait passé, et ce serait peut-être un giscardien qui aurait pris Neuilly. Nicolas a su saisir cette opportunité inattendue. Je n’avais pas une envie torride d’y aller, mais se faire doubler par un jeunot n’est pas non plus agréable.

Nicolas a beaucoup de qualités. Il est dynamique, entreprenant et courageux. Maintenant, il est d’une ambition forcenée. Mais, enfin, il est loin d’être nul.

Peut-être qu’il n’y arrivera pas en 2017, mais les autres ne font pas le poids. Ils vont tout faire pour le flinguer. Lui aussi éprouvera, à ce moment-là, le traitement qu’il a infligé à d’autres.

Extrait de "Le serment de Bastia, de Charles Pasqua avec Jean-François Achilli, publié aux éditions Fayard, septembre 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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