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Faut-il interdire
les chansons en breton ?
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Zone franche

Nolwenn Leroy chante en breton et ça défrise le Nouvel Obs, à qui ça rappelle Maurras (qui était pourtant de Martigues).

Hugues Serraf

Hugues Serraf

Hugues Serraf est écrivain et journaliste. Son dernier roman : La vie, au fond, Intervalles, 2022

 

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Il y a quelques années dans Libération, la vision d’un Montmartre « débarrassé de toute sa polysémie ethnique, sociale, sexuelle et culturelle » par Jean-Pierre Jeunet avait fait dire à Serge Kaganski qu’Amélie Poulain était le clip idéal d’un discours de Jean-Marie Le Pen.

C’était très con, mais c’était formulé presque gentiment et le réalisateur s’en sortait avec le bénéfice du doute : pas volontairement, pas irrémédiablement pétainiste, certes, mais juste « vieillot », « étriqué », « fleurant bon le terroir », « démagogique » et « réactionnaire ».

Plus bête que méchante, quoi, cette représentation d’un Paris sépia où d’aucuns avaient naïvement respiré le parfum d’un Carné ou d’un Prévert mais où le critique ne flairait plus que leurs relents…

Il y a quelques jours dans le Nouvel Obs, l’album Bretonne de Nolwenn Leroy était descendu en flamme par Fabrice Pliskin mais la gentillesse condescendante s’était manifestement fait la malle. Car ce coup-ci, les soupçons sont devenus des preuves et si Le Pen n’est pas directement cité (était-ce d’ailleurs nécessaire, dans un numéro intégralement consacré à la montée du Front national ?), la liste des chefs d’accusation suffit à renvoyer la chanteuse à son tropisme « souchien ».

Vote FN et ventes d'albums : l'association d'idées qui tue

D’abord, l’album se vend bien. Et un disque à 500 000 exemplaires quand l’extrême droite est à plus de 15%, pas la peine de vous faire un dessin : ceux qui achètent le premier votent nécessairement pour la seconde. C’est que « cette Finistérienne au pedigree de vieille roche », cette « duchesse de Bretagne » au patronyme « si peu républicain » ne trompe personne ― ni la France moisie qui se vautre avec délice dans cette débauche de celtitude, ni Pliskin qui l’observe avec effroi.

« Nolwenn Leroy, droite dans ses sabots, s'enivre de cadastre, d'ancrage et de toponymie », décrète-t-il après examen de la pochette d’un disque où « l’ancienne gagnante de la Star’Ac » (pouah !) s’exhibe en « bigouden comme la preuve de sa bretonnante traçabilité ». Tiens, même une chanson intitulée « Je ne serai jamais ta parisienne » apporte de l’eau au moulin du procès en sorcellerie anti-Lumières et hurle sa « fin de non-recevoir à l’expérience jacobine ».

Car que cherche-t-elle vraiment à nous dire, cette « fille de footballeur », cette « panthéiste » ? Mais qu’elle incarne la « France rurale (…) des terroirs et des territoires » comme l'autre maurrassien de l’UMP, enfin, vous êtes bouchés ou quoi ! C'est pourtant clair !

A vrai dire, il doit penser que nous le sommes bien un peu, le Pliskin, puisqu’il en rajoute encore une louche, opposant la « race idéaliste » de la pauvre chanteuse qui n’en peut mais au « bitume et à la plume » du rappeur Booba des Hauts-de-Seine ; son fichu de « gâteuse hors-sol » à celui de Diam’s (il se porterait mieux dans l’opinion) ; ses sniffs de « bouse mouillée » à « l'universalisme de Yannick Noah »...

Là où Kaganski était juste à côté de la plaque, interprétait vainement les entrailles d'un poulet, Pliskin est méchant, cruel, brouillon, donneur de leçons sans objet. Il n’en loupe pas une. Même la Bretagne, il la comprend mieux que cette Celte d’occasion poussée en Auvergne et dont l’accent de Brest « est digne de Shakira ». C’est qu’il a lu Renan, lui, et qu’il sait bien que le Breton, le vrai, est « tout le contraire du sarkozyste », tout le contraire de la Bretagne de Nolwenn, « celle de Bolloré, Pinault et Leclerc ».

Mais tout ça pour quoi, en fait ?

Et tout ça à propos de quoi, en fait ? A propos d’une petite nana plutôt sympa, plutôt mignonne, sorte de Kate Bush gauloise (aïe, qu’ai-je dit !) qui chante Tri Martolod, Les Prisons de Nantes et Greensleeves (qui sont, comme chacun sait, autant d’hymnes à la gloire de l’Occident triomphant), passe son temps à expliquer qu’elle s’intéresse à toutes les cultures et a probablement plus de chansons de Diam’s dans son iPod que Pliskin de morceaux de Booba dans le sien.

Moi, son papier, tout ce qu’il m’a donné envie de faire à part écrire le mien, c’est de courir acheter l’album en question histoire d'aider Nolwenn à accrocher le million d’ex. Eh oui, nous les Bretons fans de fest-noz, on est comme ça. Têtus. Enfin, je veux dire nous les juifs bretons fans de fest-noz, pour être plus précis. Et même, les juifs bretons de Marseille d'origine russo-hispano-algérienne fans de fest-noz, si Pliskin peut concevoir une chose pareille.

Hum, je me demande ce qu’ils en penseraient, Maurras et Renan, de mon « pedigree de vieille roche » à moi.

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