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Nicolas Baverez : “L’élection présidentielle de 2017 est la dernière occasion de réformer notre pays de manière pacifique et démocratique”
©Reuters

Entretien

En dépit des difficultés économiques, politiques et sociales que connaît actuellement la France, l'élection présidentielle de 2017 pourrait constituer une chance de porter un coup d'arrêt aux populismes et d'engager le redressement du pays.

Nicolas Baverez

Nicolas Baverez

Nicolas Baverez est docteur en histoire et agrégé de sciences sociales. Un temps éditorialiste pour Les Echos et Le Monde, il analyse aujourd'hui la politique économique et internationale pour Le Point.

Il est l'auteur de Lettres béninoises et de Chroniques du déni français aux Editions Albin Michel.

 
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Atlantico : Quels sont ces dénis que vous évoquez dans votre dernier livre, Chroniques du déni français (voir ici), et quels sont les schémas mentaux qui les provoquent chez nous ?

Nicolas Baverez : La chute de la France est paradoxale compte tenu de ses atouts. Elle s’explique par un double déni de la classe politique, c’est-à-dire le refus de prendre en compte le réel.

Le premier déni porte sur la situation de la France dont nos dirigeants continuent à vanter la richesse et le statut de grande puissance. Or la volonté de maintenir à tout prix le modèle d’économie administrée hérité des Trente Glorieuses a conduit à une catastrophe économique et sociale. Avec une croissance qui plafonne à 1,1 %, 6,6 millions de chômeurs, 15 % d’exclus, un déficit commercial de 48 milliards d’euros, un déficit et une dette publics de 3,3 et 98 % du PIB, la France a décroché des pays développés et de la zone euro qu’elle tire désormais vers le bas. Par ailleurs, sous François Hollande, la crise économique et sociale s’est élargie en fragmentation de la société et en ébranlement de la paix civile sous les coups du terrorisme islamique. Du même coup, la France, en dehors du domaine militaire, s’est vue marginalisée en Europe et dans le monde, dont les principaux dirigeants font d’Angela Merkel leur seul interlocuteur pour débattre de l’avenir de notre continent.

Le second déni touche le monde du XXIème siècle. La France a refusé de s’adapter à l’après-Guerre-froide, à la mondialisation et à la révolution numérique. Elle a choisi de participer à la monnaie unique sans en tirer aucune conséquence sur la régulation de son économie qui ne peut plus s’ajuster par l’inflation et la dévaluation. Aujourd’hui, nous assistons à une spectaculaire remontée des risques financiers, avec la hausse des taux d’intérêt, mais aussi stratégiques. Le djihadisme, les démocratures chinoise, russe et turque, les frappes cybernétiques sur les entreprises, les forces de sécurité, les institutions et les scrutins ciblent directement les démocraties. Or celles-ci sont minées et divisées par les populismes, comme l’ont montré le Brexit et l’élection de Donald Trump.

Face aux chocs et aux surprises stratégiques, le choix décisif se joue entre la réforme et la démagogie. Le déni refuse le réel pour se rassurer à bon compte, en confondant ce qui est avec ce que l’on souhaite. La démagogie déchaîne les passions collectives au service d’hommes prétendument forts, qui flattent les pulsions nationalistes, protectionnistes ou xénophobes. Ils martèlent pour répondre à des problèmes complexes de pseudo solutions simplistes qui se révèlent ruineuses pour les peuples. Entre le déni et la démagogie, il y a la réforme. Elle doit s’appuyer sur un constat précis de la situation de la France et du monde pour moderniser notre pays et lui permettre de reprendre la maîtrise de son destin au lieu de le subir.

Si le livre fait le constat d'une France en déclin, vous évoquez également une France des possibles et le caractère décisif de la prochaine élection. Qui, selon vous, est le plus à même aujourd'hui d'emmener le pays dans la modernité et la mondialisation ?

L’élection présidentielle de 2017 est décisive pour la France comme pour l’Europe et les démocraties. Elle constitue la dernière occasion de réformer notre pays de manière pacifique et démocratique. Après le Brexit et l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis, nombreux sont ceux qui pensent que la France sera le prochain domino à tomber entre les mains des populistes, c’est-à-dire du Front national. Cette situation critique est en même temps notre chance. D’abord, la France dispose encore d’atouts majeurs - sa démographie, ses entrepreneurs et ses cerveaux, son épargne, ses pôles d’excellence publics et privés, ses infrastructures, ses universités, sa diplomatie et sa défense, sa culture, son patrimoine, sa civilisation et son mode de vie - qui peuvent lui permettre de rebondir très vite si elle les valorise au lieu de les détruire. Ensuite, les remèdes aux maux français sont parfaitement connus. Il faut reconstruire une offre compétitive, inventer une flexi-sécurité du travail, réorganiser le système éducatif, diminuer les dépenses publiques et rétablir la paix civile. Au total, le regard du monde pourrait s’inverser très vite et devenir positif sur notre pays si la France donnait en 2017 un coup d’arrêt aux populismes et engageait son redressement.

En France comme aux Pays-Bas, en Italie ou en Allemagne, l’élection oppose les réformistes et les populistes. Les forces populistes, réunies à gauche autour de Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon, à droite autour de Marine Le Pen, rassemblent près de 55 % des intentions de vote. Mais elles sont loin d’avoir gagné l'élection. Les forces réformistes s’organisent autour d’Emmanuel Macron pour la social-démocratie et de François Fillon pour la droite modérée. Emmanuel Macron fait campagne sur son charisme en se présentant comme un homme providentiel, ce qui n’est pas sans danger. Dans le moment critique qu’affronte la France, il ne suffit pas d’être en marche, il faut savoir où l’on va, avec qui et pour quoi faire. François Fillon dispose, à l’inverse, d’un projet solide de redressement, mais il faut qu’il en fasse la pédagogie auprès des Français et qu’il réponde au doute qui s’est installé sur sa capacité non seulement à être élu mais à être le président du renouveau français.

Vous citez le général de Gaulle lorsqu'il disait "La France ne fait des réformes qu'à l'occasion des révolutions". Selon vous, sommes-nous actuellement en pleine révolution ?

La France présente une exception historique, avec un profil très heurté qui alterne les phases de déclin et de rattrapage brillant. Elle a régulièrement manqué les changements de donne du capitalisme et du système géopolitique à la fin du XIXème siècle, dans les années 1930, puis depuis la décennie 1980. Mais elle a su également se moderniser à marche forcée durant la Belle Epoque, les années 1920 ou les Trente Glorieuses. Au prix cependant de fréquents changements de régime et d’un effondrement politique et militaire tragique en juin 1940. 

Le général de Gaulle décrit parfaitement l’enjeu de l’élection présidentielle de 2017. En l’absence d’un changement profond de modèle économique et social et d’une refondation de la nation, la France va droit au défaut sur le plan financier et à la guerre civile au plan politique. Et son basculement dans le chaos provoquerait l’éclatement de l’euro, du grand marché et de l’Union européenne. La responsabilité des électeurs français est donc immense.    

L'une des causes de notre situation actuelle vient du fait que tout le monde n'ait pas profité de la mondialisation de la même manière. En quoi les inégalités de revenus sont un enjeu majeur aujourd'hui et quelle est la réponse "libérale" à apporter à ce problème ?

La mondialisation a fait sortir de pauvreté 1,2 milliard d’hommes en un quart de siècle, ce qui constitue un progrès humain et moral sans précédent dans l’Histoire. Elle a réduit de deux tiers les écarts de richesse entre les pays. Mais il est vrai qu’elle a entraîné une aggravation des inégalités à l’intérieur des nations et déstabilisé les classes moyennes des pays développés.  

La mondialisation, comme la révolution numérique, est porteuse d’immenses chances. Mais elle doit être pilotée. Au plan international, avec la définition des cadres et de règles, aux antipodes de la stratégie nihiliste de l’administration Trump qui détruit les traités de commerce, les alliances et les institutions multilatérales qui stabilisaient l’ordre mondial. Au plan national, en s’assurant que la croissance est inclusive et en engageant un gigantesque effort d’investissement, d’éducation et de formation pour accompagner la société ouverte et le basculement dans l’ère numérique. Une attention particulière mérite d’être portée à la jeunesse dont il faut favoriser, à l’image d’Erasmus pour les étudiants, l’intégration dans la société et le marché du travail. L’intervention publique est d’autant plus efficace qu’elle prend appui sur les mécanismes de marché et la société civile, au lieu de prétendre se substituer à eux ou les placer sous tutelle.   

Selon vous, la France est l'homme malade de la décomposition de l'Europe, tout en ayant une part de responsabilité dans cette décomposition. Quel peut être le rôle de la France pour sauver le projet européen ? 

La France a fait beaucoup de mal à l’Europe en l’affaiblissant pas sa crise économique et sociale en devenant un foyer d’exportation de la démagogie, en déséquilibrant le couple franco-allemand. Et ce, au moment précis où les chocs politiques se multipliaient sur le continent - de l’intervention russe en Ukraine au Brexit, en passant par les attentats islamistes et les vagues de migrants - et où les fondements du projet européen - résistance à l’Union soviétique et garantie de sécurité illimitée des Etats-Unis - s’effondraient.

La France peut beaucoup pour la refondation de l’Europe. L’élection de 2017 peut devenir le socle de la résistance au populisme. Le redressement économique de notre pays serait un signal positif majeur pour les investisseurs du monde entier, tout en permettant de remettre en route le couple franco-allemand. Surtout, 2017 peut se transformer en une formidable chance pour l’Europe si le cycle électoral qui se déroule en France, mais aussi aux Pays-Bas, en Italie et en Allemagne, renforce le camp des réformistes.

Au moment où le Royaume-Uni et les Etats-Unis cèdent aux passions nationalistes, protectionnistes et xénophobes, l’Union peut faire valoir des atouts et des réussites exceptionnels : un grand marché de 510 millions d’habitants, une monnaie unique, un Etat de droit efficace, une génération Erasmus. Si nous ajoutons une Union européenne pour la sécurité qui assure la protection de la population, des infrastructures vitales et des frontières, l’Europe s’affirme potentiellement comme la région la plus attractive du globe.

La France a, dans le domaine de la sécurité, un rôle déterminant à jouer. Après le Brexit, elle demeure la seule nation européenne à disposer d’un siège de membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU, à mettre en œuvre la dissuasion nucléaire, à aligner une capacité de projection de forces et d’entrée en premier sur un théâtre d’opération complexe. Les capacités stratégiques de la France et son autonomie de décision constituent un facteur de rééquilibrage du statut de notre pays et un actif pour l’Europe. Cela confère aussi à notre pays une responsabilité éminente, qui justifie d’assurer la cohérence entre les missions et les moyens de la défense en portant son budget à 2 % du PIB en 2022.

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