Ni prosélytisme, ni provocation chez les hijabeuses ? L'étrange aveuglement du Conseil d'Etat <!-- --> | Atlantico.fr
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Le Conseil d'Etat rendra sa décision jeudi sur le port du hijab dans le football féminin.
Le Conseil d'Etat rendra sa décision jeudi sur le port du hijab dans le football féminin.
©KARIM SAHIB / AFP

Il n'est pas aveugle...

Le Conseil d'Etat rendra sa décision jeudi sur le port du hijab dans le football féminin, une perspective qui a déclenché une avalanche de réactions politiques, la droite et l'extrême droite appelant le gouvernement à légiférer pour prohiber les signes religieux dans le sport.

Naëm Bestandji

Naëm Bestandji

Écrivain/essayiste, Naëm Bestandji est un laïque et féministe engagé. Il a longtemps travaillé dans le domaine socio-culturel auprès des enfants et adolescents des quartiers populaires. Il y a toujours vécu et a été très tôt confronté à la montée de l'intégrisme religieux.

Il a publié de nombreux articles sur l’islamisme politique.

Son site internet : https://www.naembestandji.fr/

Il est l’auteur d’un essai remarqué, pour tout comprendre sur le sexisme politique du voile : « Le linceul du féminisme – Caresser l’islamisme dans le sens du voile » (éditions Séramis, novembre 2021).

Voir la bio »

Atlantico : Quel est le contexte de ce recours des Hijabeuses devant le Conseil d’État ?

Naëm Bestandji : La fonction première du voile, dont le hijâb est une des formes, est l’infériorisation des femmes. Elles sont considérées comme des objets sexuels, coupables par nature de tenter les hommes. Elles doivent donc se dissimuler sous un linceul pour ne pas les exciter sexuellement. Le voile est l’accessoire vestimentaire le plus misogyne de l’histoire de l’Humanité. Les islamistes sont sexuellement si obsédés qu’ils ont fait du voile leur outil politique, identitaire et prosélyte. « Pas besoin de parler, le voile le fait pour nous » comme le disent des prédicateurs. La femme musulmane est ainsi désignée comme « porte-étendard de notre religion ». Cela permet d’inverser la réalité du voile. De dégradant pour les femmes, il devient valorisant pour « les musulmanes ». C’est une des raisons qui explique pourquoi certaines deviennent militantes de leur propre servitude patriarcale. Les « Hijabeuses » en sont le parfait exemple.

Ce recours au Conseil d'État remonte à novembre 2021. Au-delà d’être misogyne, le voile étant aussi un outil identitaire, politique et prosélyte comme dit plus haut, ce recours s'inscrit dans un ensemble d'offensives politiques liées au sexisme du voile. La plupart sont indépendantes les unes des autres, toutes mues par la même idéologie propagée par les mêmes prédicateurs radicaux : l’islamisme. Mais certaines de ses offensives sont orchestrées par l'association Alliance Citoyenne. Cette association est à l'origine de différentes actions, notamment le burqini à Grenoble et les offensives contre des salles de sport de la région Rhône-Alpes pour y imposer le faux « libre choix » du port du hijab. Dans la foulée, Alliance citoyenne investit le terrain du football en janvier 2020 pour accuser de discrimination la Fédération Française de Football. Pour ce « passage à l’action », elle revendique clairement sur sa page Facebook son lien avec le CCIF (dissout en novembre 2020). Ainsi, dès le départ et comme pour le burqini, elle reprend la rhétorique victimaire de l’islamisme politique pour réclamer un privilège (arborer sur les terrains un signe interdit par l’article 1 des statuts de la Fédération) et accuser la FFF de discriminer la discrimination sexiste du voile…

Quelques mois plus tard, l’association annonce la création du collectif « Les Hijabeuses ». Cette création n’est donc pas à l’initiative de joueuses voilées. Elle a été orchestrée par Alliance citoyenne. Que ce soit dans les piscines municipales, les salles de sport ou le foot, l’objectif de l’association est d’imposer le « libre choix » du voile dans tous les domaines de la société. Le sport n’est qu’une étape, choisie pour être la première. Cela s'inscrit dans un contexte plus large, à savoir la montée de l'islamisme politique, toujours grâce à l’instrumentalisation patriarcale du corps des femmes qui sert de support (abaya, voile à l’école, remise en cause de la loi de 2004, revendications du voile en entreprise, mode « pudique », etc).

Il est à noter qu’Alliance Citoyenne n'est pas une association islamiste mais d'extrême gauche. Elle accueille en son sein des militantes islamistes et est partenaire de groupes islamistes, mais elle n’est pas islamiste elle-même. Elle est le cas le plus abouti de l’alliance entre une partie de la gauche et de l’extrême droite musulmane. Des militantes de l’association sont influencées par des prédicateurs masculins qui véhiculent une image rétrograde des femmes à travers une interprétation extrémiste de l'Islam. Avec l'avènement d'Internet et des réseaux sociaux, le nombre de prédicateurs islamistes 2.0 a considérablement augmenté. Beaucoup d'entre eux sont français et ont grandi en France, contrairement à la génération précédente. Ils connaissent donc la culture française et l’utilisent pour convaincre des jeunes femmes de se voiler. Quelques-unes ont été approchées par Alliance Citoyenne pour qu’elles intègrent l’association.

L'islamisme politique réussit à avancer non seulement en raison de son efficace propagande en direction des musulmans, mais aussi parce que son discours parvient à convaincre une partie de la gauche, essentiellement située à l’extrême gauche. Alliance Citoyenne fait partie de cette extrême gauche qui a créé une sorte de cordon sanitaire pour protéger et défendre l'islamisme. Son action contre les piscines municipales de Grenoble et contre la FFF le montre : l’islamisme politique a moins besoin d’agir directement aujourd’hui, une partie de la gauche s’en charge. Sans cette alliance avec une partie de la gauche, les offensives de l'islamisme seraient bien moins efficaces et la saisine du Conseil d'État n'aurait probablement jamais eu lieu.

Le rapporteur public a  estimé qu’il n'y a ni prosélytisme ni provocation pour le port du hijab dans le foot. Que penser de cette déclaration ? 

Il affirme cela, alors que toutes les sources prouvent le contraire. C’est un des éléments que je souligne dans mon livre : l'existence de deux formes d'ignorance. Tout d'abord, il y a l'ignorance sincère d’une personne qui ne connaît tout simplement pas le sujet. Elle va alors s’appuyer sur ses propres références personnelles, culturelles, par exemple sa connaissance de la culture laïque, judéo-chrétienne française, pour comprendre l'islam et les musulmans. Or, l’islam et sa dérive islamiste ne sont pas comparables avec d’autres référents car les histoires et les évolutions sont différentes. Par exemple, les gens font souvent la comparaison entre le voile et la croix qui n'ont pourtant strictement rien en commun.

Ensuite, il y a l'ignorance volontaire d’une personne qui décide délibérément de ne rien savoir : « je ne suis pas musulman, je suis même athée. Je n’y connais rien à l’islam et ce n’est pas mon affaire. Tout ce que je prône c’est la tolérance ». Cette ignorance assumée de ce qu’est l'islamisme, notamment de son outil sexiste et politique qu’est le voile, entraîne une certaine complaisance et une vision orientaliste des musulmans. Les discours islamistes renforcent cette vision en affirmant que les femmes musulmanes doivent être voilées. Le rapporteur public n’hésite alors pas à comparer le port du voile à la « croix de Malte » sur les maillots des joueurs d’Auxerre (que personne n’a jamais remarqué). Cette comparaison ne tient pas compte de l'histoire et de la signification culturelle spécifique qui n’a plus rien de religieuse. De même, tendre les mains paumes vers le haut lors d’un match pour remercier Allah ou faire un signe de croix qui ne durent qu’une fraction de seconde ne sont pas comparables au port d’un accessoire prosélyte et misogyne de plusieurs dizaines de centimètres de long brandi pendant 90 minutes. Le rapporteur public témoigne d’une grande complaisance.

Cette méconnaissance du rapporteur public l’amène à défendre une discrimination sur les terrains de football. Tout d'abord, le voile discrimine les femmes des hommes. Aucun homme n’a jamais revendiqué le « libre choix » de se dissimuler sous un voile, car cet accessoire est une injonction faite uniquement aux femmes pour marquer leur infériorité. C'est donc une discrimination évidente. De plus, le voile crée une discrimination entre les femmes elles-mêmes, en désignant celles qui seraient « pudiques » de celles qui le seraient pas, les « bonnes musulmanes » de celles qui le seraient moins. Cela ne repose donc pas sur des critères de performances sportives, mais sur des critères moraux issus du patriarcat. Le rapporteur public ne tient pas compte de cette réalité.

Enfin, si l'on suit le raisonnement du rapporteur public, il faudrait abroger totalement l'article un de la FFF, qui interdit tous les signes syndicaux, politiques, etc. Il n'y a aucune raison que des fanatiques religieuses soient autorisées à afficher sur leur tête le symbole de leur idéologie et du « syndicat des femmes voilées » (comme elles aiment le dire), alors que les autres joueurs, hommes ou femmes, n’ont pas le droit d’aller sur le terrain avec un bonnet géant portant un message politique, le logo d’un syndicat ou un accessoire qui appelle à discriminer une partie de l’humanité (comme c’est le cas du voile pour les femmes). Cette différence de traitement constitue une discrimination.

Dans quelle mesure est-ce qu’il y a une volonté politique de certains de rendre le voile consubstantiel à l'islam alors que nombre de musulmans ne le considèrent pas comme une prescription religieuse ?

Il est important de comprendre qu'en Islam, il n'y a pas de signes religieux tels qu'ils existent dans d'autres religions. Le prophète Mohamed a voulu faire cette distinction. L'Islam rejette toute forme d'idolâtrie et de fétichisme, que ce soit sous forme de statues, d'images ou autres. Seul Dieu peut être adoré. On doit s'attacher à lui, pas à un vêtement. Les musulmans critiquent les chrétiens pour leur adoration de statues dans les églises ou de la croix. Les musulmans progressistes considèrent à juste titre que le voile n'est pas une prescription religieuse mais un héritage culturel sexiste et patriarcal. Si le voile ne fait pas l’unanimité chez tous les musulmans, il fait l’unanimité chez tous les islamistes. 

C’est pour cela que la laïcité, dont la loi de 1905, n'est pas directement concernée par cette question. Cependant, les islamistes octroient au voile un emballage religieux pour convaincre les récalcitrantes et brandir la « liberté religieuse » aux non-musulmans. Là, la laïcité intervient comme bouclier. Mais le premier terrain du voile est l'inégalité des sexes, la discrimination des femmes. Or, les islamistes veulent absolument maintenir le débat sur le terrain de la liberté religieuse, favorable à leur avancée notamment grâce à la stratégie victimaire. C’est exactement ce qui se passe avec les Hijabeuses. En ramenant le hijab sur son véritable terrain, celui de l'inégalité des sexes, le voile devient alors le talon d'Achille de l'islamisme. C'est là que réside tout l'enjeu. C’est ce que je démontre dans mon livre. C'est pourquoi les Hijabeuses martèlent à la fois la liberté religieuse tout en utilisant des slogans marketing et la rhétorique d'inversion pour détourner et instrumentaliser le féminisme. Prenons par exemple leur slogan « mon corps, mon choix », emprunté aux luttes féministes. Pour les Hijabeuses, la phrase n'est pas complète. La voici dans son entier : « mon corps, mon choix… de me soumettre au patriarcat ». Endoctrinées par les prédicateurs islamistes, elles affirment que le voile est une injonction divine, une obligation imposée par Dieu. C’est d’ailleurs bien pour ça, et par la crainte de montrer ses cheveux à des hommes, que Founé Diawara (leader des Hijabeuses) avait déclaré qu’elle « n’a pas la possibilité de l’enlever ». Elles ne décident donc pas de ce qu'elles font de leur corps ni du choix de leurs vêtements. Elles décident d’en transférer le contrôle à Dieu. Ce n'est plus elles qui décident comment s'habiller, mais Dieu qui décide à leur place. Et qui parle au nom de Dieu ? Les hommes qui prescrivent le port du voile…

Que sait-on des relais et soutiens de cette association ? 

Alliance citoyenne cherche à établir des partenariats. Dès sa création, elle a créé des liens avec des associations religieuses de diverses religions. Pour l’islam, elle s’est attachée à en tisser avec les Frères musulmans. Puis, lors des premières offensives burqini, elle a cherché le soutien des associations féministes, comme le Planning familial. Mais, face au tollé notamment grâce à mes alertes, cela n'a pas très bien fonctionné. La plupart des grandes associations féministes ne soutiennent pas Alliance citoyenne. Elle cherche alors d'autres options, telles que des associations plus petites se revendiquant « féministes intersectionnelles ». Mais ce n’est pas suffisant. Par conséquent, elle cherche des alliés partout. Bien que ses actions soient nationales, elle regarde aussi du côté européen, étant donné la complaisance remarquable des institutions européennes envers l'islamisme politique grâce au lobbying des Frères musulmans.

Il y a également eu un changement de stratégie de communication au sein de l'Alliance citoyenne, mais aussi dans d'autres organisations comme Lallab. Au départ, leurs actions étaient à la fois dissimulées, tel que le lobbying auprès des institutions, tout en organisant des actions publiques et des manifestations pour attirer l'attention des médias et de l'opinion. Mais depuis quelques mois, elles ont adopté une approche plus discrète. Par exemple, le compte Twitter et Instagram des Hijabeuses était inactif depuis des mois. De même, l'Alliance Citoyenne s’est nettement calmée. Elles ont compris que le clash, l’affrontement public et direct, sont contre-productifs. Elles veulent à présent agir plus discrètement. Leurs revendications continuent donc de progresser sans créer la moindre vague. Même le comportement des hijabeuses devant le Conseil d’État est bien plus mesuré qu’auparavant. Ce changement dans la communication est payant.

Toutes ces offensives de l’extrême droite musulmane, soutenues par une partie de la gauche, ont aussi pour conséquence de favoriser l'extrême droite nationaliste, ses discours identitaires et racistes. J’observe une corrélation entre l’aveuglement d'une partie de la gauche face à l'islamisme et la montée de l'extrême droite nationaliste. Certains musulmans et ex-musulmans, effrayés par l'avancée de l'islamisme et constatant le soutien de certains membres de la gauche, se tournent vers l'extrême droite nationaliste. Cela crée une polarisation entre l'extrême droite musulmane et l'extrême droite nationaliste qui se nourrissent l’une de l’autre. 

Les actions menées par Alliance citoyenne et l’islamisme politique renforcent cette polarisation. Si le Conseil d'État adopte une position alignée sur celle du rapporteur public, cela aura des conséquences néfastes sur la cohésion nationale. Il est crucial de protéger les joueuses musulmanes, surtout les plus jeunes, qui ne portent pas le voile et résistent à cette pression. Il faut prioriser leur protection et ne pas céder aux revendications d’un groupe de bigotes fanatiques endoctrinées par des prédicateurs obsédés sexuels. C’est leur incapacité psychologique à retirer leur voile pour les quelques minutes d’un match qui doit être interrogé, pas un règlement égalitaire applicable à toutes et à tous sans distinction. L'objectif doit être de garantir l'égalité entre les femmes et les hommes, et entre les filles musulmanes et les autres joueuses sur les terrains de sport. C’est pour cela qu’au-delà de son côté prosélyte, le voile, symbole qui nie cette égalité et affirme l’infériorisation d’une partie de l’Humanité en raison de son sexe, doit être exclu des clubs et des terrains de sport.

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