9 mois ferme pour avoir comparé Taubira à un singe : une sévérité sans précédent (surtout en la comparant à ce qui vaut la même peine par ailleurs)<!-- --> | Atlantico.fr
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Anne-Sophie Leclère, ex-tête de liste FN aux municipales à Rethel.
Anne-Sophie Leclère, ex-tête de liste FN aux municipales à Rethel.
©Capture d'écran

Deux poids deux mesures

Anne-Sophie Leclère, ex-tête de liste FN aux municipales à Rethel, dans les Ardennes, a été condamnée mardi par le tribunal de grande instance de Cayenne à neuf mois de prison ferme et cinq ans d'inéligibilité, assortie d'une amende de 50 000 euros. Elle avait assumé un photomontage diffusé sur son compte Facebook, sur lequel la garde des Sceaux Christiane Taubira était assimilée à un singe. Le TGI de Cayenne a par ailleurs condamné le FN à 30 000 euros d'amende.

Jean-Michel  Scharr

Jean-Michel Scharr

Jean-Michel Scharr est avocat à la Cour, spécialisé en droit des victimes et droit des personnes.

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Gérald Pandelon

Avocat à la Cour d'appel de Paris et à la Cour Pénale Internationale de la Haye, Gérald Pandelon est docteur en droit pénal et docteur en sciences politiques, discipline qu'il a enseignée pendant 15 ans. Gérald Pandelon est Président de l'Association française des professionnels de la justice et du droit (AJPD). Diplômé de Sciences-Po, il est également chargé d'enseignement. Il est l'auteur de L'aveu en matière pénale ; publié aux éditions Valensin (2015), La face cachée de la justice (Editions Valensin, 2016), Que sais-je sur le métier d'avocat en France (PUF, 2017) et La France des caïds (Max Milo, 2020). 

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Atlantico : Au regard des faits reprochés, cette décision est-elle logique ? A quoi s'expose-t-on juridiquement pour des propos xénophobes ? Quelles sont les condamnations dans ces cas là ?

Jean-Michel Scharr : La réaction judiciaire doit être proportionnée à ce qu’on a l’habitude de voir dans les tribunaux. La sanction pour cette ancienne candidate FN est disproportionnée. En général les propos xénophobes et racistes sont sanctionnés par une peine de prison avec sursis comprise entre deux mois et quatre mois maximum. En 25 ans de pratique, je n’ai jamais vu de condamnation supérieure. Les propos xénophobes et racistes entraînent par ailleurs une amende proportionnée aux revenus mais cette amende n’est pas très haute : entre 800 et 1200 euros en moyenne, 5000 euros maximum. L’amende payée par le FN est une aberration juridique : je vois mal comment on peut condamner pénalement une personnalité morale.

Gérald Pandelon : C’est une décision sévère notamment parce que le casier judiciaire de la personne mise en cause ne porte trace d'aucune condamnation. Des faits similaires sont sanctionnés par une peine comprise entre trois mois et six mois de prison avec sursis et par des peines de 5000 euros d’amende si la personne n’est pas en état de récidive. Je me souviens d’une personne coupable de propos injurieux et racistes alors qu’elle était en récidive légale et elle a écopé d’une peine de prison avec sursis. Avec de surcroit une condamnation à 50 000 euros d’amende, c’est quasiment une première dans l’histoire pénale française s'agissant d'un primodélinquant. L’amende pour le FN n'est par ailleurs pas réellement justifiée car le parti n’a pas à être considéré comme obligatoirement  responsable et solidaire des agissements et en plus il y a un flou juridique au niveau du statut  départageant le FN et le RBM (Rassemblement bleu marine). 

A quel type de condamnation s’expose-t-on quand on hurle "Mort aux Juifs" devant une synagogue comme cela a été le cas lors des manifestations pro-palestiniennes à Paris ce dimanche selon plusieurs témoignages ?

Jean-Michel Scharr : On peut être condamné à de la prison ferme notamment pour des propos antisémites s’ils sont considérés comme des troubles à l’ordre public. La condamnation à la prison ferme est théoriquement faisable mais il faut que les propos xénophobes soient réitérés et je ne l’ai jamais rencontré.

Gérald Pandelon : Ce type de propos est considéré comme injurieux, à caractère raciste et diffamatoire. Tout dépend si la personne est en état de récidive et s’il y a des circonstances aggravantes : si elle n’a jamais été condamnée elle écopera d’une peine avec sursis comprise entre trois mois et six mois. Des propos antisémites peuvent être considérés comme des troubles à l’ordre public seulement s’ils s’accompagnent de dégradations de biens par exemple. 

Quels types de faits entraînent généralement une condamnation à neuf mois de prison ferme ? 

Jean-Michel Scharr : Il faut déjà dire qu’il n’a pas été ordonné de mandat de dépôt dans le cas de l’ex-candidate FN, sans doute par conscience que la peine est importante. Anne-Sophie Leclère a été condamnée mais elle est libre pour le moment. Il appartiendra au procureur de la République d’exécuter la décision. Pour avoir pris neuf mois de prison ferme il faut en avoir fait beaucoup car on ne met pas en prison à n’importe quel titre. On est généralement condamné à des peines similaires lors de violences réitérées sur une personne vulnérable ou sur son conjoint, ou encore pour trafic de stupéfiant important. J’ai récemment vu le cas d’une personne qui conduisait alors que son permis avait été récemment retiré. Il était sous l’emprise d’alcool et a causé un accident routier très grave. Il a été condamné à neuf mois de prison ferme.

Quelles sont les décisions de justice récentes qui ont condamné le prévenu à des peines inférieures alors que les faits étaients pourtant graves ? On sait que cinq hommes ont été récemment relaxés dans une affaire d’agressions sexuelles répétées commises sur une jeune femme handicapée mentale en Charente…

Jean-Michel Scharr : Autre exemple il y a trois semaines où un homme avait été condamné avec sursis pour des faits de violence sur son épouse. Il était placé sous contrôle judiciaire et a récidivé. Il a été condamné à la fois pour violence et pour violation de contrôle judiciaire à 4 mois de prison ferme.

Gérald Pandelon : Il faut déjà rappeler que Jean-Marie Le Pen a été condamné à chaque fois à des peines bien inférieures pour ses propos alors qu’il était en état de récidive. J’ai le cas récent d’un homme poursuivi pour des propos injurieux sur une personne dépositaire de l’ordre public et qui a porté atteinte à un magasin. Il était en récidive  pour les mêmes faits commis quatre auparavant. Il a pris six mois ferme et 1000 euros d’amende. On peut aussi évoquer le cas d’un autre homme qui a eu trois poursuites pénales en deux ans d’intervalle : la première pour des faits très graves de séquestration avec violence, la deuxième pour menace avec armes un an après et la troisième pour des propos injurieux et racistes. Jugé pour ses trois faits il a écopé d’un an de prison avec sursis sans amende. 

Le fait que ce soit la garde des Sceaux qui ait été visée par les propos xénophobes d’Anne-Sophie Leclère a-t-il pu jouer en défaveur de l’ancienne candidate FN ?

Jean-Michel Scharr : Oui clairement et nécessairement car c’est la ministre de la Justice. Elle a une haute fonction politique, elle incarne l’exécutif et le Tribunal de Grande Instance de Cayenne a décidé de marquer le coup. Il faut toutefois que la sanction soit proportionnelle sinon elle perd de son sens. Là, cette décision peut apparaître comme paradoxale alors que le gouvernement veut limiter l’enfermement carcéral. Je pense que des travaux d’intérêt général auraient été plus opportuns. 

Gérald Pandelon : C’est une décision empreinte de politique. Le parquet est hiérarchisé et tout en haut de l’échelle c’est la garde des Sceaux. Je suppose que des instructions ont été données au parquet. Si elles l’ont été de façon écrite ça peut être versé au dossier mais si c’est oral le substitut du procureur va tenir compte. Entre une personne du FN et sa carrière juridique, le substitut du procureur qui est relativement jeune fera vite son choix…

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