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Anatomie d’un argument : les laboratoires ont-ils vraiment tant d’argent à gagner à la proposition de rendre 11 vacins obligatoires ?
©Reuters

Industrie pharmaceutique et santé publique

La ministre de la Santé Agnès Buzyn dit réfléchir à rendre obligatoires 11 vaccins. Certains politiques ont réagi en posant la question de l'intérêt pour les laboratoires pharmaceutiques, dont la ministre est proche.

Claude Le Pen

Claude Le Pen

Claude Le Pen est un économiste français, professeur à l'université Paris-Dauphine où il dirige le master d’économie de la santé. Il est président du Collège des économistes de la santé.

 
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Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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La ministre de la santé envisage de rendre onze vaccins obligatoires contre 3 aujourd'hui. Michèle Rivasi, eurodéputée écologiste, s'interroge sur le cadeau fait aux laboratoires pharmaceutiques. Dans quelle mesure rendre ces vaccins obligatoires constitue-t-il un enjeu plus économique que sanitaire ? 

Claude Le Pen : Voir cette mesure comme un cadeau fait à l’industrie c’est prendre le problème par le petit bout de lorgnette ; c’est confondre causes et conséquences. Cette décision qui, en réalité, n’est guère surprenante est en partie motivée par des raisons techniques : le vaccin DTP contre les trois maladies « obligatoires » (diphtérie, tétanos, polio) n’est pas disponible en France et pour maintenir la couverture obligatoire contre ces trois maladies, la ministre n’avait d’autres choix que d’étendre l’obligation aux vaccinations « recommandées » par le calendrier vaccinal qui sont incluses avec le DTP dans des vaccins « combos » à valences multiples. Il est vrai que cela va à l’encontre d’une tendance consistant à formuler des « recommandations » plus que des obligations. Certaines vaccinations historiques – le BCG contre la tuberculose par exemple – ne sont plus obligatoires et le « calendrier vaccinal » a été réformé pour le rendre plus simple, plus lisible et moins contraignant.  Mais face aux campagnes anti-vaccins et au dénigrement relayé par certains réseaux sociaux, le retour à l’obligation est apparu comme nécessaire.  C’était l’une des conclusions de la « consultation citoyenne », commandée par Marisol Touraine, dont le rapport a été rendu en Novembre dernier : « L’élargissement du caractère obligatoire de la vaccination, assorti de conditions précises, est requis à titre temporaire pour reconquérir la confiance des citoyens au service de l’intérêt collectif ». Agnès Buzin suit finalement cette suggestion en optant pour une obligation élargie limitée à une période de 8 à 10 ans Le  jury, composé de professionnels de la santé et de citoyens ordinaires, a écarté l’option d’une levée totale des obligations comme l’ont fait certains pays où la politique vaccinale recueille une forte adhésion. Mais en France où elle fait débat depuis quelques années, la levée de l’obligation pourrait par des effets désastreux de santé publique. On le voit avec la recrudescence de la coqueluche. C’est également le cas de l’Italie qui, le mois dernier, a rendu de nouveau obligatoire la vaccination contre ces mêmes 11 maladies !

Sur le plan économique il faut savoir que le marché des vaccins est un tout petit marché représentant moins de 1,5% du marché pharmaceutique remboursable ville-hôpital et même moins de 1% si on enlève les vaccins non concernés par la mesure comme la grippe, la rage ou la fièvre typhoïde… Ce marché étant en outre partagé entre 4 entreprises, les retombées économiques seront très faibles. C’est une décision courageuse qui aura un impact sur la santé publique mais peu sur le CA de l’industrie !

Stéphane Gayet : La France a réussi à imposer des prix bas pour un très grand nombre de médicaments, en comparaison aux prix pratiqués dans d’autres pays européens et hors de la Communauté européenne. En revanche, elle est, il faut le reconnaître, un pays à très forte consommation pharmaceutique. Toujours est-il que la baisse des prix des médicaments et le développement des génériques ont permis de réaliser 1,7 milliard d’euros d’économies ces dernières années.

Parmi l’ensemble des médicaments, les vaccins sont peu coûteux. Le prix des vaccins est compris en moyenne entre 20 € et 40 €, ce qui est bas eu égard au service rendu. Les vaccins sont les médicaments dont les rapport bénéfices sur risques et bénéfices sur coût sont de très loin les plus élevés. C'est en grande partie grâce à la vaccination que la variole, la poliomyélite antérieure aiguë, la diphtérie, le tétanos, la rougeole, la rubéole, la coqueluche, l'hépatite virale B, la méningite à méningocoque ou encore la fièvre jaune ont beaucoup régressé, sans parler des maladies animales comme la rage et la maladie de Carré. Il faut être soit mal renseigné soit de mauvaise foi pour contester cela.

Prenons quelques exemples (ce sont les coûts d’une injection) : le vaccin grippal a un prix d’environ 15 € ; le vaccin diphtérie-tétanos-poliomyélite (DT polio) d’environ 20 € ; le vaccin rougeole-oreillons-rubéole (ROR) d’environ 25 € ; le vaccin hépatite B d’environ 35 € ; le vaccin diphtérie-tétanos-poliomyélite-coqueluche d’environ 40 €. Or, presque toutes ces maladies peuvent atteindre très gravement la santé ou même entraîner la mort. La pression exercée par le pouvoir exécutif et législatif sur les laboratoires pharmaceutiques pour qu’ils réduisent leurs marges sur les vaccins est telle que les vaccins les moins intéressants à produire finissent par faire l’objet de pénuries.

En contraste avec le prix des vaccins, le prix de certains médicaments approche ou dépasse parfois largement le seuil de 1000 €. Les médicaments les plus coûteux sont certains antiviraux récents comme le dernier contre l’hépatite C (prix exorbitant), les médicaments contre la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA), les médicaments anticancéreux, les antirhumatismaux récents, les antidiabétiques comme les insulines récentes ou encore les statines anticholestérol. Lorsqu’il s’agit de médicaments encore sous brevet (pas de générique possible), les marges financières sont importantes et la plupart de ces produits innovants et concernant des pathologies graves voient leur consommation augmenter rapidement d’année en année.

Pour en revenir au projet de rendre obligatoires 11 vaccins chez les enfants, cela constituerait un coût annuel d’un peu plus de 100 millions d’euros. Or, la rougeole est en nette progression depuis 2011 en raison d’un recul de la vaccination. Cette maladie virale très contagieuse peut pourtant tuer ou laisser de graves séquelles notamment neurologiques. On peut faire le même raisonnement avec les autres maladies ciblées par ce projet. En somme, si le coût financier de la mesure proposée est important, le bénéfice sanitaire est très largement favorable, même en prenant en compte l’indemnisation d’éventuelles victimes d’effets secondaires graves attribuables avec certitude au vaccin.

Quelle est la part de parents qui ne font pas ces 11 vaccins que la ministre de la santé souhaite rendre obligatoire ?

Claude Le Pen : La couverture vaccinale pour les vaccins obligatoires du nourrisson (DTP) et pour certains vaccins « recommandés » (coqueluche, méningites à haemophilus influenzae b, voire même hépatite B) a longtemps été très élevée en France. De l’ordre de 90% et plus, niveau considéré comme satisfaisant.  Mais depuis 4/5  ans, on assiste à une baisse régulière de cette couverture que l’Institut national de veille sanitaire, devenu Santé Publique France, estime à 5% par an environ. Cette baisse touche toutes les catégories de vaccins et elle est même supérieure pour les vaccins de l’adulte notamment celui de la grippe qui a chuté de 11 à 9 millions de doses lors de l’épisode H1N1 de 2009 (-20%) sans avoir depuis retrouvé son niveau initial.  C’est cette érosion de la couverture qui inquiète à juste titre les responsables de la santé publique.

Stéphane Gayet : La dernière estimation disponible des taux de couverture vaccinale date de 2014. Les données proviennent des certificats de santé du 24e mois pour les nourrissons, de l'échantillon généraliste des bénéficiaires de l'assurance maladie (suivi de 600 000 assurés pendant 20 ans), ainsi que des enquêtes scolaires triennales pour les enfants de 6 ans (grande section de maternelle) à 15 ans (classe de 3e).

Diphtérie-tétanos-poliomyélite (seuls vaccins déjà obligatoires) : L'analyse des données vaccinales des enfants âgés de 24 mois, nés en 2010, ayant reçu un schéma complet (3 doses en primo-vaccination et un rappel, suivant le calendrier vaccinal en vigueur en 2012-2013), indique une couverture vaccinale de 91 %.

Coqueluche et Haemophilus influenzae de type b : Les couvertures vaccinales sont respectivement de 91 et 89 %, identiques à celles relevées lors d'une précédente enquête chez les enfants âgés de 2 ans, nés en 2008.

Rougeole-oreillons-rubéole (ROR) : La vaccination à deux doses est recommandée en population générale chez tous les enfants avant l'âge de 24 mois et chez les personnes nées depuis 1980, quels que soient les antécédents vis-à-vis des trois maladies. Il y a des recommandations particulières lors d'exposition à un cas de rougeole ou d'oreillons. Chez les enfants âgés de 24 mois nés en 2012, la couverture vaccinale à deux doses reste insuffisante (72 %), alors qu'une épidémie de rougeole avec la notification de plus de 23 000 cas est survenue en France de 2008 à 2012. Les autorités sanitaires ont pourtant diffusé des messages incitant à vérifier le statut vaccinal des personnes âgées de plus de 12 mois et nées depuis 1980. Toutefois, on observe une tendance à l'augmentation du taux d'enfants ayant reçu une seule dose : 90,5 % dans la cohorte d'enfants nés en 2012, 89 % pour ceux nés en 2008. Chez les adolescents âgés de 15 ans, la couverture à deux doses était de 70 % en 2008-2009, en l'absence de données plus récentes.

Hépatite virale B : En population générale, la couverture vaccinale des enfants âgés de 24 mois a fortement progressé ces dernières années. Elle atteint 78 %, alors qu'elle n'était que de 47 % dans la cohorte des enfants nés en 2008. En revanche, malgré sa progression, la couverture vaccinale des enfants de 6 ans est insuffisante : elle est de 51 %, au lieu de 38 % lors de l'enquête réalisée en 2005-2006 dans la même classe d'âge. Elle est de 43 % chez les adolescents âgés de 15 ans, mais selon la seule valeur disponible datant de l'enquête triennale précédente, réalisée en milieu scolaire en 2008-2009.

Infections invasives (sévères) à pneumocoque : Cette vaccination est recommandée avec le vaccin polyosidique conjugué à 13 valences chez tous les enfants de moins de 2 ans selon un schéma à 3 doses. Des recommandations particulières s'appliquent également aux personnes souffrant d'une maladie chronique ou d'immunodépression. La couverture vaccinale mesurée ici est celle observée chez les enfants de moins de deux ans. En 2014, la couverture vaccinale a augmenté pour atteindre 89 % (schéma complet) ou 97 % (une dose). L'année précédente (cohorte d'enfants nés en 2011), les chiffres correspondants étaient de 86 % et 96 %.

Méningocoque C : La vaccination est recommandée en France depuis 2010 chez tous les nourrissons de 12 à 24 mois, avec un rattrapage des personnes âgées de 2 ans à 24 ans révolus. Le caractère récent de cette recommandation explique que les couvertures vaccinales sont disponibles depuis peu de temps. Elles atteignent 57,6 % chez les enfants âgés de 1 à 4 ans, 31,7 % chez les 5-14 ans et seulement 10,5 % chez les adolescents ou jeunes adultes âgés de 15 à 24 ans. Au vu de l'épidémiologie des infections invasives à méningocoque C, les adolescents et les jeunes adultes devraient pourtant être vaccinés en priorité, 23 % des cas ayant été rapportés dans cette classe d'âge.

En somme, si les taux de couverture vaccinale progressent bien pour certaines maladies, grâce à tous les efforts accomplis dans le cadre d’une politique de santé déterminée à une vaccination systématique vis-à-vis de ces maladies cibles, ils restent encore nettement insuffisants, si l’on se fixe comme objectif le taux de 95 %. D’où le projet de rendre 11 vaccinations obligatoires au lieu des 3 actuelles.

Parmi ces 11 vaccins, quels sont ceux qui sont vraiment important pour la santé de l'enfant et ceux qui peuvent représenter un risque ?

Stéphane Gayet : Les huit maladies autres que la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite sont la coqueluche, les infections à Haemophilus influenzae de type b, la rougeole, les oreillons, la rubéole, l’hépatite B, les infections invasives (sévères) à pneumocoque et les infections à méningocoque.

Est-il nécessaire de rappeler les épidémies meurtrières ou très handicapantes de diphtérie et de poliomyélite antérieure aiguë ? Faut-il préciser que le tétanos est une maladie très grave liée à la contamination d’une plaie par une bactérie de l’environnement tellurique (sol contaminé par des matières fécales animales) ?

La coqueluche est une maladie bactérienne très contagieuse et particulièrement dangereuse chez les nourrissons qu’elle peut handicaper à vie sur le plan respiratoire ou même tuer. Haemophilus influenzae de type b est une bactérie responsable d’épiglottites aiguës et de méningoencéphalites aiguës chez le petit enfant, infections sévères pouvant laisser de lourdes séquelles ou même entraîner la mort. La rougeole est une maladie virale fort contagieuse qui peut être très grave, donner des atteintescérébrales ou provoquer la mort chez les petits enfants. Elle est une cause importante de décès et de handicaps à l’échelle mondiale. Les oreillons sont une maladie virale de l’enfant pouvant notamment rendre définitivement stérile. La rubéole, autre maladie virale, est d’une grande dangerosité chez la femme enceinte en début de grossesse ; elle est à l’origine de malformations gravissimes chez le nouveau-né, souvent non viables. L’hépatite B est une cause fréquente de cirrhose puis de cancer du foie dont le pronostic est effroyable. Le pneumocoque peut donner des méningites très sévères laissant souvent des séquelles, ainsi que de graves pneumonies ou même des septicémies fréquemment mortelles. Le méningocoque est bien connu, car tristement célèbre en raison du caractère foudroyant du « purpura fulminans », forme la plus grave de cette infection qui est une septicémie d’évolution rapidement mortelle en quelques heures, souvent en dépit d’une prise en charge thérapeutique adéquate.

En fin de compte, on voit que ces onze maladies sont toutes potentiellement graves ou même très graves. Les vaccins qui protègent contre elles sont très efficaces et dans l’ensemble fort bien tolérés. Utiliser le levier du caractère obligatoire de ces vaccinations apparaît comme une option très favorable à la santé publique, moyennant bien sûr toutes les précautions qui en découlent.

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