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Nathalie Kosciusko-Morizet : "Il est vrai qu'aujourd'hui, nous ne réécririons pas la loi de 1905 de la même manière"
©Reuters/Charles Platiau

Laïcité

Dans un entretien accordé à Atlantico, la candidate à la primaire de la droite Nathalie Kosciusko-Morizet détaille sa vision de l'islam de France et des moyens à mettre en oeuvre pour y arriver : mise en place d'une redevance sur le halal, interdiction du salafisme... Le tout en préservant la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l'Etat.

Nathalie Kosciusko-Morizet

Nathalie Kosciusko-Morizet

Nathalie Kosciusko-Morizet est une femme politique française.

Députée de la quatrième circonscription de l'Essonne à partir de 2002, elle occupe les fonctions de secrétaire d'État chargée de l'Écologie, puis chargée de la Prospective et du Développement de l'économie numérique, au sein du gouvernement François Fillon II (2007-2010). Secrétaire générale adjointe de l'UMP et maire de Longjumeau, elle est nommée ministre de l'Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement le 14 novembre 2010. 

Elle est actuellement conseillère de Paris, et présidente du groupe Les Républicains.

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Atlantico : Ces derniers jours, l'idée d'une "taxe halal" a été évoquée par plusieurs personnalités politiques pour lutter contre le financement des mosquées de France par des fonds étrangers. De même, pour lutter contre le terrorisme islamiste, vous proposez de rendre le salafisme illégal. Vous qui proposez ces mesures depuis plusieurs mois maintenant, en quoi consistent-elles, quels problèmes sont-elles censées résoudre ?

Nathalie Kosciusko-Morizet :Ce sont deux sujets différents, mais aujourd'hui connectés au travers de l'enjeu de l'émergence d'un islam de France. Ma réflexion est issue de mon expérience d'élue locale en tant que maire de Longjumeau dans la grande couronne. Il y avait une salle de prière salafiste, et nous, élus locaux, étions particulièrement démunis face à cela. Nous nous sentions même abandonnés par l'Etat. Dans le livre que j'ai publié au mois de mars pour lancer ma candidature à la primaire, j'explique comment un élu local peut être alerté qu'une salle de prière est salafiste, sans aucun moyen légal d'intervenir. Si vous voulez la fermer, vous ne pouvez le faire que par des biais détournés, en invoquant un problème de salubrité, de sécurité incendie, etc.

C'est à partir de cette expérience que j'ai voulu trouver une base légale à l'interdiction. J'ajoute qu'on a le même problème sur Internet. Nous avons une loi de 2004 qui permet de signaler à l'hébergeur un contenu interdit et de le faire retirer. Le terme exact est "contenu manifestement illicite", mais à quoi correspond-il ? Tant que vous ne déclarez pas le salafisme illégal en tant que tel, l'endoctrinement salafiste n'est pas "manifestement illicite". Il faut donc donner une base légale pour pouvoir, sans contourner les choses, fermer ces salles de prière et interdire les contenus salafistes sur Internet.

Aujourd'hui, dans le cadre de l'état d'urgence, nous avons un petit peu progressé. Nous avons la possibilité de fermer les salles de prière dans lesquelles on considère que la prédication est subversive. Mais c'est temporaire. Or, je veux qu'on se mette en accord avec ce qu'on dit. Nous affirmons aujourd'hui être en guerre et nous disons que le salafisme est un terreau sur lequel prospèrent les dérives terroristes. Donnons-nous donc les moyens de neutraliser ce terreau.

J'ai posé sur ce sujet une question à Manuel Valls à l'Assemblée nationale, qui dans sa réponse s'est présenté d'abord assez ouvert puis finalement très fermé. Mais je ne veux pas renoncer. Le travail que je mène en ce moment tourne autour d'une définition du salafisme comme une "idéologie qui fait prévaloir l'interprétation des textes religieux sur les principes et les lois fondamentales de la République". Qualifier cette idéologie de subversive permettrait de faire fermer ces mosquées, d'interdire les prêches de certains imams et le cas échéant de les expulser et de déclarer "manifestement illicite" les contenus salafistes sur Internet.

En ce qui concerne la taxe halal, c'est autre chose. Cela fait des années que les ministres de l'Intérieur de droite comme de gauche disent vouloir développer un islam de France, mais négocient en même temps avec les pays du Maghreb, l'Arabie Saoudite et le Qatar les conditions d'exercice du culte musulman en France. De plusieurs façons : imams qu'on fait venir de l'étranger lors du Ramadan, lieux de culte financés officiellement par les pays étrangers (ou leurs ressortissants), etc. Il faut donner à l'islam de France les moyens de son autonomie. Et le premier moyen, le nerf de la guerre, c'est l'argent. 

Il faut des ressources pérennes, nationales, indépendantes de toute influence et je ne vois que deux solutions. Soit revenir sur la loi de 1905, et faire payer le contribuable, ce qui reste tout de même très compliqué au vu de la portée symbolique de cette loi. Soit, et c'est ce que je propose depuis six mois, mettre en place une redevance sur le halal, comme cela existe déjà pour la communauté juive sur la nourriture casher. Cela fonctionnerait de la même manière, avec un label. Le marché du halal représente environ six milliards d'euros par an en France : si vous appliquez une redevance à hauteur de 1%, cela fait donc 60 millions d'euros de recettes.

Comment cette "taxe halal" pourrait-elle contourner la loi de 1905 qui interdit à l’État de financer des lieux de culte ? François Bayrou a évoqué sur France Info lundi 1er août la possibilité d'utiliser la Fondation des œuvres de l'islam de France, imaginée par Dominique de Villepin en 2005. Mais cette dernière n'a jamais vraiment fonctionné, faute de trouver une représentativité chez les musulmans de France. Que préconisez-vous pour faire face à ces deux difficultés ?

Je pense qu'il ne faut pas toucher à la loi de 1905. C'est pour cela que je ne propose pas une taxe prélevée par l'État, mais une redevance. Depuis des décennies, les autorités religieuses juives prélèvent une redevance sur les produits casher. Il nous faut la même chose ici, avec une organisation des autorités religieuses musulmanes, pour ne pas contrevenir à la loi de 1905.

Il reste ensuite la question de savoir quel organisme pourrait récolter cette redevance. J'ai proposé l'automne dernier – et je suis heureuse de voir François Bayrou se rallier à cette idée – d'utiliser la Fondation des œuvres de l'islam de France, créée par Dominique de Villepin. L'une des raisons pour lesquelles elle n'a jamais fonctionné, c'est qu'elle devait être une boîte pour recueillir du mécénat privé. Mais la plus belle boîte du monde ne sert à rien si on ne met rien dedans…

Par ailleurs, plusieurs intellectuels comme Rémi Brague estiment qu'il sera difficile de résoudre les problèmes que posent l'islam en France avec la loi de 1905, une loi faite sur mesure pour le catholicisme. Partagez-vous cette analyse ? 

J'ai essayé de trouver des solutions sans toucher à la loi de 1905. Il est vrai qu'aujourd'hui nous ne réécririons probablement pas cette loi de la même manière. Mais j'ai bien mesuré politiquement à quel point il était difficile d'y toucher. Tout mon travail a plutôt consisté à continuer dans le cadre de la loi de 1905 et à trouver une solution en la gardant telle quelle, d'où l'idée de cette redevance sur le halal.


Dans les colonnes du Monde du mardi 2 août, la sénatrice UDI de l'Orne Nathalie Goulet, rapporteur d'une mission d'information sur le sujet, affirme que "c’est une imposture de laisser penser que le problème peut se régler comme ça", elle qui ajoute que "statistiquement, la radicalisation se fait rarement à la mosquée". Que répondez-vous à ceux qui disent que le principal problème ne vient pas forcément du financement étranger des mosquées ?

Nathalie a raison. Il n'existe pas un lieu unique de radicalisation. C'est la raison pour laquelle je propose une politique globale. La radicalisation ne se fait pas exclusivement dans les mosquées, c'est vrai, mais le développement du salafisme dans les banlieues est un terreau propice. Et déclarer le salafisme hors la loi vise aussi Internet. Comme je l'ai déjà dit plus haut, la loi de 2004 qui oblige les hébergeurs à signaler des contenus illicites est insuffisante, car on ne peut pas taxer l'endoctrinement salafiste de "manifestement illicite". La loi que je propose permet d'atteindre plusieurs cibles.

Il y a des parcours différents pour conduire au terrorisme. Compte tenu de la gravité de la situation, je pense que ce serait une erreur de dire que tout le mal vient de tel ou tel endroit. Il y a un contexte et un ensemble de parcours à prendre en compte (salle de prière, radicalisation sur Internet, prison, etc.).

Il faut se garder de ces positions très polémiques. Je propose une politique globale contre tous les chemins qui conduisent à une radicalisation. Il y a des moyens pour atteindre les salles de prière et Internet, et en ce qui concerne les prisons je suis un fervent défenseur de la construction de 20 000 places supplémentaires et du développement du renseignement pénitentiaire. C'est en additionnant tout cela qu'on y arrivera, mais certainement pas en "mettant en concurrence" les problèmes.

L'électorat de droite semble aujourd'hui divisé entre deux pôles : ceux qui se disent modérés mais en attente d'efficacité, et d'autres électeurs plus radicaux. Quel discours faut-il tenir, en tant que responsable politique, pour parler aux deux ? 

Je ne suis pas d'accord avec vous pour dire qu'il y a deux franges. Je sillonne actuellement la France dans le cadre de la recherche des parrainages pour la primaire, et je n'entends qu'une seule France : elle veut de l'efficacité. En fonction de son histoire personnelle ou de son parcours, chacun a des points de vue plus ou moins affûtés sur les problèmes. Mais les Français veulent tous la même chose, quel que soit leur horizon politique : de l'efficacité et des solutions.

Nous aurons la rentrée scolaire le 1er septembre. A Nice, nous avons vu des enfants parmi les victimes, comme il y en avait eu à Toulouse en 2012, et à Saint-Étienne-du-Rouvray est apparu le sentiment qu'on peut venir vous chercher jusque dans des sanctuaires protégés. Les Français ne sont pas en train de se poser des questions philosophiques, ils veulent de l'efficacité. Je suis comme eux : je fais des propositions pour aller au plus rapide. Je n'ai pas envie de grands débats philosophiques sur la loi de 1905.

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