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Mouvement des journalistes de France Télévisions : une grève de riches
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Bal des hypocrites

Vingt-quatre heures de grève à France Télévisions pour réclamer le retrait du plan de départs volontaires de 361 personnes... "Pas de quoi fouetter un chat", affirme Francis Guthleben, consultant médias et auteur du livre "Scandales à France Télévisions".

Francis Guthleben

Francis Guthleben

Francis Guthleben est un journaliste d'investigation. Il est auteur, écrivain, réalisateur. Il a publié Scandales à France Télévisions aux éditions JC Gausewitch. Il vient également de publier Enceint ! Journal d'un futur père

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A l’heure où des milliers d’emplois sont purement et simplement supprimés dans ce pays, où des millions de familles se trouvent dans des situations économiques plus que précaires, où la crise continue à faire des ravages ; des personnels de France Télévisions font grève pendant 24 heures pour une réduction d’effectifs de 361 postes[1].

C’est indécent. Indécent parce qu’on ne parle pas ici d’une mise au chômage, d’un licenciement sans indemnités, on parle d’un plan de départs volontaires. Et parce que les mots et le cadre juridique ont un sens, rappelons de quoi il s’agit. Pour 361 postes de travail il est proposé à des salariés de France Télévisions de quitter l’entreprise. Ceux qui choisiront de partir recevront un gros chèque. France Télévisions a prévu une enveloppe moyenne de près de 140 000 euros par salarié partant. Pas mal, non ? D’autant que pour le salarié volontaire au départ, les indemnités sont bien plus avantageuses que lors d’un licenciement, même au motif économique, et il bénéficie d’une convention de reclassement personnalisé.

Les agitations des syndicats de France Télévisions sont donc une hypocrisie. S’ajoute l’hypocrisie de la direction de France Télévisions. Dans un communiqué de presse du 15 octobre, elle annonçait : « Il n’a jamais été passé sous silence la nécessité d’une maîtrise rigoureuse des effectifs »[2]. Or, qu’a-t-elle fait au cours des dernières années ? Les chiffres sont d’une cruauté effroyable pour les dirigeants de la télévision publique. Et il n’y a pas un président de France Télévisions pour en rattraper un autre.

Malgré deux plans de départs volontaires à la retraite, entamés sous Patrick de Carolis, l’effectif moyen permanent en équivalent temps plein a augmenté pendant que les fameux plans coûtaient 58 millions d’euros. « Les lacunes et le pilotage inexistant » de ces dispositifs ont été dénoncés à l’Assemblée nationale par la députée socialiste Martine Martinel.

Sous Rémy Pflimlin, les effectifs augmentent toujours, avec 362 équivalents temps plein de plus entre juin 2011 et juin 2012. Si le nombre des employés et des ouvriers a diminué, d’autres catégories de personnels ont explosées : 346 cadres de plus et 55 journalistes de plus. L’envolée des effectifs a été telle que même les dépenses de bail de surfaces supplémentaires de locaux ont augmenté.

De plus, le recours abusif à des salariés non-permanents augmente les litiges. Comparativement à 2012, leur nombre a triplé au premier trimestre 2013 avec à la clé de coûteuses condamnations judiciaires et de non moins couteuses transactions[3].

Enfin, de manière globale, pour la période 2013-2015, France Télévisions prévoit que les charges de personnel représenteront 36 % des charges opérationnelles contre 35,8% constatés en 2012. Selon un document interne de la télévision publique, ces charges vont passer de 895,8 millions d’euros à 904,2 millions d’euros en 2013.

La situation est ubuesque. Alors que les finances de France Télévisions sont au plus mal et que les frais de personnel représentent le poste de dépense majeur, Rémy Pflimlin et ses équipes ne touchent qu’avec des pincettes à cette question. Le tout avec une malignité qui a fini par agacer le Conseil supérieur de l’audiovisuel, pourtant habituellement très feutré. Il y a deux mois, il a écrit : « Les chiffres concernant les effectifs de l’entreprise diffèrent selon les documents transmis. (…) Selon le décompte des salariés, l’effectif global porterait soit sur un nombre de 9750 équivalents temps plein, soit sur un nombre de 10 113 équivalents temps plein. (…) Le conseil a été destinataire de données multiples dont il n’a pas pu dégager la concordance »[4].

Par ailleurs le CSA souligne : « Dans un contexte social difficile, il serait souhaitable d’accroître la transparence des rémunérations, y compris des plus hautes ». Dans son rapport parlementaire de septembre 2013, la députée Martine Martinel va dans le même sens : « Les instances de gouvernance de l’entreprise ne sont pas assez informées des projets de l’entreprise en matière de recherche d’économies ».

Pourtant cela ne les absout pas. Le CSA, les parlementaires et plus largement les autorités de tutelles de France Télévisions parmi lesquelles on trouve aussi la ministre de la Culture Aurélie Filippetti et le président de la République François Hollande prennent également part au bal des hypocrites. Tous connaissent les défaillances importantes dans la gestion de France Télévisions. Tous savent que les prévisions du Contrat d’objectifs et de moyens – véritable feuille de route pour la télévision publique – ne sont pas tenues depuis longtemps. Tous savent, mais personne n’intervient, sanctionne, limoge.

En février 2012, la Cour des comptes notait déjà dans son rapport public annuel que « les chantiers engagés par France Télévisions doivent être approfondis et élargis ». Elle déplorait que « les objectifs ne répondent souvent que de façon partielle aux préconisations de la Cour » et s’interrogeait sur « la capacité qu’aura France Télévisions à préserver son équilibre financier ». Pour finir, la haute prévenait aussi que « le contexte des finances exclut un engagement budgétaire supplémentaire de l’Etat ».

France Télévisions était donc prévenu, mais France Télévisions n’a pas pris les mesures qui s’imposaient avec ce constat sans appel du Conseil supérieur de l’audiovisuel de septembre 2013 : « La diminution des ressources prévisionnelles de France Télévisions correspond à un montant d’environ 340 millions d’euros à l’horizon 2015 ». Et l’année 2013 devrait se terminer avec un déficit de 180 millions d’euros.

Toutes les grandes télévisions publiques d’Europe ont été confrontées à une baisse des recettes et toutes ont réduit leurs effectifs de plusieurs milliers de postes. En France, rien de tel. Et bien évidemment lorsqu’on est habitué à recevoir de l’argent de l’Etat, on n’a pas la culture nécessaire pour conquérir des recettes commerciales. Dramatiquement, France Télévisions ne sait pas faire autre chose que de tendre sa main de mendiant avec cette menace, elle aussi totalement hypocrite : « Donnez-moi de l’argent, sinon nous n’allons plus pouvoir assumer nos missions de service public ».

Olivier Schramek, président du CSA, a déclaré le 29 octobre dans « L’Express » : « Une entreprise de service public qui se porte mal financièrement, économiquement ou socialement ne peut pas tenir dans de bonnes conditions son rôle de référence ».[5]  Le lendemain Aurélie Filippetti a envoyé un courrier à Rémy Pflimlin pour s’inquiéter de la situation financière de France Télévisions. Bercy de son côté tient fermement les cordons de la bourse et tout au sommet… François Hollande n’ose intervenir.

Il est vrai que pour un gouvernement de gauche, affirmer qu’il faut réduire de façon drastique les effectifs de France Télévisions serait pour le moins impopulaire. Et pourtant on est là, à force de tergiverser, de reculer les échéances, de faire preuve de lâcheté et de laxisme au nom de la paix sociale, France Télévisions est aujourd’hui vraiment en danger.

Trouver un nouveau président de France Télévisions, courageux, prêt à prendre des mesures radicales, quitte à être impopulaire, soutenu par un État actionnaire fort est la seule solution pour assurer un avenir  à la télévision publique en France.

Au lieu de cela… la seule mesure qui a été prise est de demander à Rémy Pflimlin de rendre des comptes tous les quinze jours au Conseil supérieur de l’audiovisuel.


[1] 87 départs à France 3, 62 dans les services généraux et techniques, 51 en Outre-Mer ; 45 dans la rédaction, 39 dans les services de ressources humaines, de communication interne et d’organisation, 15 dans la communication externe et le marketing, 5 à la présidence, 4 aux sports, 20 dans les cadres dirigeants.

[3] Ces données chiffrées figurent dans un rapport d’information de la députée socialiste Martine Martinel, enregistré à l’Assemblée nationale le 25 septembre 2013.

[4] Avis n° 2013-14 du 11 septembre 2013 relatif au projet d’avenant au Contrat d’objectifs et de moyens de la société nationale de programme France Télévisions pour la période 2013-2015

[5] http://www.lexpress.fr/actualite/medias/france-televisions-olivier-schrameck-demande-plus-de-clarte-et-de-transparence_1295177.html

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