Montebourg a-t-il hypnotisé les patrons ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Sans son édito du jour, le site Usine Nouvelle déclare qu'il faut absolument garder Arnaud Montebourg à l'approche d'un remaniement ministériel.
Sans son édito du jour, le site Usine Nouvelle déclare qu'il faut absolument garder Arnaud Montebourg à l'approche d'un remaniement ministériel.
©Reuters

Que lui trouvent-il ?

Le ministre du Made in France est très largement apprécié des patrons. Jérôme Franz, le président de la Fédération des industries mécaniques (FIM) confiait récemment qu’il "a le mérite d’avoir remis l’industrie au centre des débats ". Son homologue de l’Union des industries chimiques (UIC), Philippe Goebel, juge pour sa part qu’Arnaud Montebourg "a une vraie connaissance des sujets et une implication personnelle". Analyse de ce succès.

Atlantico : "Trente ans que la France n’avait pas eu un vrai ministre de l’Industrie !" dans son édito du jour le site Usine Nouvelle déclare qu'il faut absolument garder Arnaud Montebourg à l'approche d'un remaniement ministériel. Pourquoi le ministre a-t-il autant de succès auprès des entrepreneurs ?

Erwan Le Noan : On peut ne pas partager les idées de Monsieur Montebourg, il faut lui reconnaître deux qualités politiques. La première, c’est qu’il se bat pour défendre sa vision de l’économie et on ne peut pas dire qu’il ménage ses efforts. C’est certainement ce qui le démarque du reste du Gouvernement aux yeux de l’opinion. La seconde, c’est qu’il est un excellent communicant : il sait très bien mettre en scène son action.

Certains industriels l’apprécient : pas tous, et peut être pas réellement les plus entrepreneurs. On peut les comprendre : il défend une économie qui a pour but de les protéger et d’assurer la stabilité de leurs modèles économiques. Ce modèle économique leur est certainement favorable, mais, statique, il ne l’est pas pour l’ensemble des Français.

Jean-Pierre Corniou : Arnaud Montebourg est une personnalité inclassable. Il a tout pour irriter les patrons traditionnels, hostiles à l’interventionnisme de l’Etat, et peu enclins à professer un patriotisme économique qui s’accommode mal avec leur pratique assumée de l’optimisation industrielle et fiscale. Ses propos peu amènes envers les dirigeants, comme Mittal ou la famille Peugeot,  ont considérablement agacé lors de son arrivée en 2012 avec cette volonté affichée d’en découdre. Pourtant il dégage une sympathie réelle qui attire beaucoup d’entrepreneurs. L’idée que l’Etat puisse venir surveiller avec un regard critique leur fonctionnement n’est évidemment pas un facteur très populaire. Perler de nationalisation, même temporaire, comme il le fit pour Florange, n’est pas non plus très positif pour son image. Néanmoins l’homme a du cran, de la gouaille, n’hésite pas à s’engager dans les medias pour défendre l’industrie française. Et sa personnalité accroche bien les medias.

Son action pour le made in France fait-elle de lui le meilleur défenseur des usines françaises ? 

Erwan Le Noan : D’une certaine façon oui, mais la vraie question est de savoir s’il faut se battre coûte que coûte pour défendre les usines telles qu’elles existent aujourd’hui. Arnaud Montebourg défend avec talent ce qui existe ; mais en voulant lutter contre la concurrence, il le fait en s’opposant à ce qui pourrait être créé. Arnaud Montebourg défend les usines d’hier, mais dans le même temps il se bat contre celles de demain.

Jean-Pierre Corniou : Il est bien difficile de dire si cette action est utile car on ne redresse pas les difficultés structurelles de l’industrie française qui est tombée à moins de 17% de part du PIB par la seule volonté et le dynamisme médiatique. Sa campagne pour la marinière Armor Lux, qui a été un grand succès commercial, le rend sympathique. Et ce courage opiniâtre plait aux hommes d’action que sont les dirigeants. Cette "sincérité tantôt volcanique tantôt candide", comme l’écrivait Bernard-Henri Lévy, est attachante dans un milieu politique très conventionnel dans son comportement. Il tranche dans la grisaille d’un gouvernement assez terne. Ses mots sont durs mais savent toucher les cordes sensibles lorsqu’il pourfend la grande distribution, à qui il promet "un bon coup de pied aux fesses" devant des patrons de PME alsaciens. Réaliste ou pas, l’essentiel est de donner le sentiment que rien n’est joué, rien n’est bloqué.

Pourtant ce portefeuille ministériel n'était pas un cadeau, quel bilan peut-on tirer de ses 2 ans d'action ? Sa réputation n'est-elle pas surfaite ? Est-il si bon ministre qu'on le prétend ?

Erwan Le Noan : C’est aux électeurs, et à eux seuls, qu’il appartient de décider si Arnaud Montebourg est un bon ministre. On peut cependant constater qu’il a su faire une tribune d’un poste ministériel qui n’était pas évident.

Quant à sa politique, en luttant contre la concurrence, elle sert les industries en place mais nuit aux consommateurs et contraint l’innovation et la croissance.

Jean-Pierre Corniou : Montebourg a montré plusieurs facettes de sa personnalité au cours de ces deux années. Il sent bien le climat général et aujourd’hui n’hésite pas à se rapprocher des chefs d’entreprise. Il parle franc, mais comprend les mécanismes de l’économie en parlant avec justesse des filières industrielles. Il a ainsi changé de point de vue en n’hésitant pas, et c’est une première en France, à leur confier la responsabilité de l’animation des groupes de travail mis en place pour piloter, à partir des réflexions déjà engagées par les filières, les 34 projets de la nouvelle France industrielle.

Qu’est qu’un "bon" ministre de l’industrie au XXIe siècle ? Le succès de notre économie dépend d’une multitude de facteurs dont le gouvernement n’est plus maître. Techniquement parlant, ce sont les micro-décisions des consommateurs et des chefs d’entreprise qui construisent la performance économique d’ensemble. Le gouvernement de peut qu’agir à la marge car, simplement, il n’en a plus l’autorité. Toutefois, l’économie française a besoin d’un électrochoc pour sortir de la déprime souvent excessive dans laquelle elle s’enferme avec délectation. Le franc parler et l’énergie d’Arnaud Montebourg y contribuent sans aucun doute. Il sait choisir les mots qui font plaisir : "nouvelle France industrielle",  "plans de reconquête", "renaissance", "alliance des forces productives"… Avec lui on a le sentiment que le déclin n’est pas fatal. Il sait également choisir son équipe, mobiliser les moyens et transgresser quand c’est nécessaire l’inertie de l’administration. Recréer la confiance, c’est tenir un discours ferme et apporter quelques preuves que ce volontarisme peut être utile.

Quelle est son influence réelle auprès des entreprises ?

Erwan Le Noan : Arnaud Montebourg n’intervient pas auprès de toutes les entreprises, mais celles du secteur industriel, qui ne font pas l’essentiel de la croissance. En outre, son ministère est en charge de cas particuliers très précis de "ré-industrialisation". Il a donc une influence certainement limitée, au final. Ce qui a plus d’influence négative sur l’économie française, c’est son discours protectionniste et de critique du progrès économique.

Jean-Pierre Corniou : Le bilan reste toutefois mitigé car cet engagement jugé souvent brouillon, plus activiste qu’efficace, s’accommode mal des contraintes économiques d’un État qui doit composer avec les contraintes de la mondialisation, avec les règles du jeu européennes qui conduisent à un euro trop cher selon Arnaud Montebourg, et accepter que la mutation du monde ne se fasse pas au rythme des ambitions françaises.

La citation de Gandhi qu’il affiche sur son site Facebook est bien choisie "Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde". Il a indiscutablement épousé la cause du renouveau de l’industrie française avec pragmatisme en cherchant le meilleur moyen, de façon participative, d’atteindre les résultats visés. L’État, pour lui, est chef de conquête dans ces nouvelles frontières qui dessinent le futur de l’économie mondiale. Dans un monde qui se nourrit d’image, dans une économie où tout frémissement est bienvenu, il apporte un vent de volontarisme et d’optimisme qui va dans le bon sens.

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