Monstres sacrés : Michel Drucker, le pater familias du PAF <!-- --> | Atlantico.fr
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Michel Drucker télévision Vivement dimanche Anne Fulda Mes très chers monstres
Michel Drucker télévision Vivement dimanche Anne Fulda Mes très chers monstres
©PATRICK KOVARIK / AFP

Bonnes feuilles

Anne Fulda publie "Mes très chers monstres" aux éditions de l’Observatoire. Journaliste depuis trente ans au Figaro, elle a croisé à ce poste d’observation de premier plan, bien des "monstres". Elle tente de mettre au jour si ce n’est le "vrai visage", en tout cas une forme de vérité de l’instant derrière l’apparence, la quête narcissique de ces personnalités. Extrait 2/2.

Anne Fulda

Anne Fulda

Anne Fulda est grand reporter et responsable de la rubrique Portraits au Figaro. Elle a publiéUn président très entouré (Grasset) et François Baroin, le faux discret (JC Lattès).

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Michel Drucker, c’est avant tout pour moi un souvenir d’enfance. Le souvenir d’avoir entendu mes grands-parents maternels, chez qui j’allais souvent déjeuner, me dire à son sujet  : « Michel Drucker ? Il est roumain. Et juif, mais ça il ne faut pas trop le dire. » Drôle de précision, liée évidemment à leurs souvenirs de guerre et à leur conviction qu’il fallait « réussir » sans revendiquer –  ni cacher  – ses origines, identiques, les concernant, à celles de celui qui était alors au summum de sa carrière, le gendre idéal du petit écran.

Alors évidemment, quand, des années plus tard, j’ai eu l’occasion de rencontrer Michel Drucker « pour de vrai », j’ai repensé à cette petite phrase. Et quand il m’a fait l’honneur de m’inviter sur le plateau de « Vivement dimanche », en marge de la promotion de l’un de mes livres et d’évoquer en riant nos racines communes (ce que j’ai rarement fait, soucieuse toujours d’être « plus française que française »), j’ai pensé évidemment à eux. À mes grands-parents. Otto et Etty Horovitz. Ils auraient été tellement fiers de voir leur petite-fille invitée dans l’émission de celui qu’ils estimaient être d’une certaine façon la démonstration vivante qu’il existe bien un rêve français.

Un grand gâteau envoyé par un admirateur lillois trône sur la table basse de son bureau de l’avenue Gabriel, à Paris. Recouvert de crème Chantilly et de petits cyclistes en plastique, il est surmonté de cette inscription en lettres de sucre : « Bon anniversaire, Michel ». Cela ne l’attendrit pas outre mesure. « Enlevez-moi ce gâteau. Il a l’air de dater de quelques jours. On risque l’intoxication », lance Michel Drucker, qui n’est pas du genre à prendre des risques inconsidérés avec sa santé.

Hypocondriaque et fier de l’être, l’animateur, qui a survécu à six présidents de la République, lorsque nous le rencontrons en 2007, est un grand angoissé. Il est terrifié à l’idée qu’un petit grain de sable, un « pépin de santé », puisse venir gripper une machine aussi bien huilée que la sienne. Il prend son pouls et sa tension chaque matin. Traque toute anomalie de manière obsessionnelle. Sur‑ tout en ce mercredi, jour d’enregistrement de son émission dominicale, et date de son soixante-cinquième anniversaire. « L’événement » le trouble. Au point de rendre l’antenne un quart d’heure avant la fin – « C’est la première fois que cela m’arrive » – et de multiplier les allusions à son âge pendant l’émission. Soixante-cinq ans, surtout à la télé, c’est largement l’âge de la retraite, normalement. Mais ce mot est tabou pour cet homme qui n’a qu’une obsession depuis qu’il « fait » de la télévision  : ne pas décrocher. « Comment faire pour durer ? » a-t‑il demandé il y a quarante-trois ans à Desgraupes et Zitrone. Il aurait pu demander « Comment faire pour ne pas mourir ? » tant il est évident que cet être à fleur de peau, qui a toujours le trac avant une émission, sait très bien que le jour où il quittera le petit écran, ce sera fini. « Y a-t‑il une vie après la télé ? Non. C’est comme la politique. Regardez Chirac, dans quel état il est. »

« Hors de question », donc, qu’il arrête. Hors de question de sortir du « cercle magique », car « l’oubli arrive à une vitesse phénoménale ». Si jamais, comme en 1990, on décide de se passer de ses services, il fera de la radio, un livre. Et du sport, aussi. « Le sport me sauvera », glisse-t‑il, dans un souffle, comme s’il était un grand malade en sursis. À sa manière, il l’est. Drucker est un drogué. Drogué de télé. Drogué de travail. C’est un monomaniaque du petit écran. Accro à la notoriété, à l’hyperactivité. Voulant toujours en être. Pouvoir être toujours sur la brèche, à tu et à toi avec le président de la République comme avec Zidane. Avec Johnny comme avec Michel (Sardou).

Drucker a compris depuis longtemps les règles qui régissent le monde de la télévision. Depuis cet été 1968, où il a été remercié pour avoir fait grève et avoir défilé aux côtés – on ne se refait pas – de Sartre, Montand et Signoret, il sait que la télévision est un monde où « la vedette, c’est la télévision et pas le présentateur ». « Il faut le savoir pour s’y préparer. J’y suis préparé mais je ferai tout pour que ça n’arrive pas. » Tout plutôt que de s’arrêter. Tout plutôt que d’affronter le vide. À l’entendre parler de sa carrière mille fois racontée, de ses « maîtres », de sa femme, de sa belle-fille, de ses chiens (« J’ai récupéré des animaux de la téléréalité qui ont un QI supérieur à celui de beaucoup de candidats de “Secret Story” »), on se demande s’il n’est pas, au fond, sous ses airs aimables, devenu un peu misanthrope.

Et on se dit qu’il serait un client de rêve pour un analyste, tant le poids de son enfance a été écrasant, prégnant, et sa quête d’amour et de reconnaissance, évidente. « Je voulais aimer pour être aimé », affirme-t‑il en narcissique assumé qui dit s’être « soigné tout seul » après avoir été déclaré « inapte à toute activité intellectuelle » par un psy que son père l’avait envoyé voir. Et d’ajouter, oui, lui, le gentil Michel  : « Je fuis les psys et ce n’est pas les deux années que j’ai passées avec Gérard Miller qui m’ont fait changer d’avis ! »

Tiens ! Ce que certaines mauvaises langues chuchotent en vous demandant de garder l’anonymat, serait-il donc vrai ? Drucker ne serait-il pas si gentil que cela ? Son image lisse, si lisse, pourrait-elle un jour être écornée ? La question revient sans arrêt. Cela fait des années que l’on veut déboulonner sa statue de commandeur audiovisuel. Et des années qu’il répond qu’il est peut-être gentil, mais pas bête. « J’ai fini par grandir. Je sais qui est qui. Je connais les fausses valeurs du métier, les faux hommes de gauche. J’ai découvert que des gens qui m’ont fait rêver, parmi les plus adulés, sont parfois les plus grandes impostures de ce métier. Je ne sais pas si j’ai bon goût, mais j’ai le dégoût très sûr. » Il ne donnera pas de noms, mais c’est dit. Envoyé, même. Sur le plateau, sous les sunlights, Drucker joue les garçons polis. Il célèbre la grand-messe de la proximité. People de tous bords, unissez-vous, serrez-vous les coudes ! Il fait obligeamment passer les plats, met en valeur ses invités, laisse ses jeunes chroniqueurs apporter la note de piment nécessaire. Mais, en coulisses, il n’en pense pas moins.

Il avoue même pouvoir être cynique. Il a compris, enfin, que le téléphone sonne surtout à la rentrée, « à l’heure des promos ». Il a compris que, dans le métier, la règle d’or, c’est « passe-moi le sel et je te passe le poivre ». Et il excelle dans l’exercice, déployant un sens politique qui n’est pas mince pour tenir la place, « se débrouiller pour qu’on ne lui pique pas ses parts de marché », comme s’amuse le producteur Jean-Pierre Cottet, qui l’installa dans la case du dimanche après le départ de Jacques Martin.

Toujours en bons termes avec les puissants sans pour autant écraser ou charger les sortants, à qui il n’oublie jamais de rendre hommage, Drucker –  qui se définit comme « le plus jeune des vieux » et se targue d’avoir su créer « quelque chose entre le pays et lui » – est désormais convaincu que certains de ses invités « ne continueraient pas à remplir les salles » sans lui.

Faiseur de rois, fabricant de proximité bonasse, il attire désormais sur son plateau, si fédérateur et consensuel, de nombreux hommes politiques, devenus, selon lui, de « véritables pop stars ». Ils viennent ainsi s’ajouter aux centaines de noms et de téléphones portables qui se bous‑ culent dans son carnet d’adresses. Lui le journaliste – carte de presse n° 22177 –, qui, quel que soit l’invité, a toujours tout vu, tout connu, tout vécu aux premières loges.

Michel Drucker a désormais des allures de pater familias du PAF. Et, d’ailleurs, il commence à regarder dans le rétroviseur. La mort de son frère, Jean, l’ancien PDG de M6, en 2003, n’y est pas pour rien. Quand nous le voyons, il est sur le point de publier un livre de souvenirs, Mais qu’est-ce qu’on va faire de toi ?. Une interrogation désolée et désespérée que ses parents lui ont répétée pendant toute son enfance. Un livre dans lequel il règle ses comptes avec certains intellectuels et représentants de la gauche caviar, et dit, pour la première fois, qu’il a adopté une petite Cambodgienne. Un ouvrage dans lequel il revient aussi sur son adolescence, moins sage que l’on peut croire.

Rebelle, le jeune Drucker ? Pas vraiment. Mais il a voulu s’échapper de son milieu, a pris en grippe « les intellos et les bourges », et s’est même mué, un temps, en mauvais garçon, allant jusqu’à « emprunter » une voiture. Lui qui était le vilain petit canard de la famille a mis du temps à se dégager de l’emprise étouffante d’un père médecin de campagne à l’ancienne, et d’une mère légèrement castratrice. Maintenant il a grandi. Il n’a plus à faire ses preuves. Ses parents voulaient s’intégrer tout simplement. Lui a souhaité séduire la France. Et il y est parvenu. Fils d’un père roumain et d’une mère autrichienne, venus en France dans les années 1930 et naturalisés en 1937, il entendait parler yiddish ou allemand à la maison. Aujourd’hui, l’âge aidant, il revient vers ses racines. Et assume de plus en plus ses origines juives qu’il a longtemps, si ce n’est niées, en tout cas occultées. Il y a quelque temps, la chroniqueuse Claude Sarraute lui a demandé : « Mais tu es juif, Michel ? Mais pourquoi ne l’as-tu jamais dit ? – Parce qu’on ne me l’a jamais demandé », a-t‑il rétorqué. Il a été baptisé catholique suivant la volonté de son père. Cet ancien déporté cherchait ainsi « à être plus français que les Français ». « Ma mère, ajoute Drucker, y était opposée. Elle disait qu’on ne peut pas être baptisé avec un père qui s’appelle Abraham. Elle aurait souhaité avoir des belles-filles juives. »

« Je sais d’où je viens, confie-t‑il. Et, au fil des ans, je me rapproche de ce que je suis. » Et à ceux qui susurrent depuis des années qu’il est démodé, il répond par cette phrase empruntée à Woody Allen  : « Il vaut mieux être has been que n’avoir jamais été. »

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Extrait du livre de Anne Fulda, "Mes très chers monstres", publié aux éditions de l’Observatoire.

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