Monnaie digitale : la Chine teste son e-yuan et voilà les leçons que les banque centrales occidentales pourront en tirer <!-- --> | Atlantico.fr
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Un employé de banque compte des billets en Chine.
Un employé de banque compte des billets en Chine.
©STR / AFP

Révolution

Le e-yuan est le nom de la monnaie numérique chinoise, également appelée e-CNY. Le gouvernement chinois veut désormais le rendre accessible au plus grand nombre.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : La Chine teste actuellement une monnaie de banque centrale numérique, le e-yuan. Que cherche Pékin avec cette stratégie ?

Michel Ruimy : La quasi-totalité des habitants des grandes villes chinoises utilisent les moyens de paiement mobiles offerts par les deux grandes entreprises technologiques : Alipay et WeChat. De nombreuses petites villes et zones rurales du pays n’acceptent plus les billets et les pièces. La Chine serait donc proche d’une société « cashless » (sans espèces). Cette situation pourrait laisser présager une profonde transformation du fonctionnement de l’économie chinoise et constituer une menace pour la stabilité monétaire si, à l’avenir, les transactions effectuées sur ces plateformes utilisent un actif cryptographique privé. Déjà, la Chine, qui n’est pas la seule juridiction qui entretient une relation difficile avec les cryptoactifs, a interdit la réalisation de transactions avec de tels supports et leur exploitation minière.

Mais il y a probablement un autre facteur qui explique le passage de la Chine à une MDBC : les données. Les pouvoirs publics s’inquiètent de la position monopolistique de Alipay et de WeChat Pay dans le secteur des paiements de détail (moindre concurrence et innovation) et de la réticence de ces entreprises à partager leurs données avec eux. En 2021, les régulateurs chinois ont ainsi exigé qu’Alipay se sépare de Hubaei (10% environ des crédits à la consommation) et de Jiebei (octroi de prêts de faible montant non garantis) au motif que cette firme disposait d’importantes quantités de données que les banques d’Etat n’avaient pas. Selon les autorités chinoises, laisser l’infrastructure de paiement uniquement entre des mains privées pourrait être techniquement fragile et ne permettrait pas la protection de la vie privée.

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L’e-CNY serait donc conçu pour apaiser les inquiétudes concernant la désintermédiation du système bancaire, la confidentialité des transactions, la concentration excessive dans l’industrie des paiements. Il fournirait aussi un accès généralisé, bon marché et facile à un système de paiement numérique, élargissant ainsi l’inclusion financière et favorisant une croissance plus équitable (objectif de prospérité commune de Xi Jinping). Il pourrait même aider à définir la politique monétaire en permettant à la banque centrale de collecter des données en temps réel sur la création, la comptabilité et la circulation de la monnaie. Il maintiendrait ainsi la banque centrale au cœur du système monétaire chinois alors que l’utilisation des espèces diminue rapidement.

En fait, s’il fait valoir qu’il serait un meilleur gestionnaire des données des consommateurs que les fournisseurs de paiement privés, le gouvernement via l’introduction de l’e-CNY vise, en partie, à freiner le pouvoir économique et politique croissant des géants technologiques chinois. Cette introduction constitue un passage progressif de la « Big Tech » privée vers un « Big State ». L’e-CNY offrira, en effet, un « anonymat contrôlable » c’est-à-dire que les autorités seront en mesure d’identifier le portefeuille numérique lié à un individu, de retracer les transactions, de procéder à des contrôles de conformité, notamment en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et de connaissance du client.

Quelles leçons les banques centrales européennes vont-elles pouvoir tirer de cet exemple ?

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Alors que les autres grandes économies procèdent encore à des consultations et à des essais, la Chine est à l’avant-garde de la course mondiale aux MDBC après avoir lancé son yuan numérique. Elle semble toutefois mettre en œuvre une stratégie d’« apprentissage par la pratique » en menant des essais à petite échelle avant de déployer l’initiative à l’échelle nationale. La monnaie numérique chinoise, présentée aux Jeux olympiques de Pékin, pourrait ainsi devenir un modèle pour d’autres pays. A la fin de 2021, le yuan numérique comptait 261 millions d’utilisateurs contre seulement 21 millions, 6 mois plus tôt, pour environ 8 milliards USD de transactions au cours des six derniers mois.

Certains pays, en particulier européens, scrutent activement cette expérience. Ils s’interrogent notamment sur la capacité de leurs systèmes de paiement traditionnels actuels à relever les défis de la future économie numérique, s’ils doivent encourager les innovations fintech du secteur privé telles que les « stablecoins » voire la nature de la réglementation à mettre en œuvre. Ils se demandent si les banques commerciales sont confrontées à une concurrence suffisante pour fournir des services de paiement innovants et rentables soulevant la question de la désintermédiation potentielle des services financiers traditionnels.

L’e-CNY est une « MDBC de détail » légale c’est-à-dire principalement utilisée pour les espèces en circulation sur le territoire national (Les règlements numériques transfrontaliers impliquent des problèmes plus complexes, tels que la lutte contre le blanchiment d’argent). Le choix de remplacer les espèces et non les comptes bancaires est une étape importante. Il garantit que les banques commerciales ne seront pas désintermédiées et évite à la banque centrale un casse-tête majeur : offrir des comptes aux consommateurs et décider qui peut emprunter quoi. De plus, le gouvernement a décidé que les intérêts ne peuvent être payés que sur les dépôts bancaires. Les banques sont ainsi les seules institutions pouvant convertir les e-CNY en dépôts et les reverser en espèces.

L’expérience chinoise de lancement de l’e-CNY mérite d'être suivie. Elle pourrait permettre à certains pays envisageant leur propre monnaie numérique de tirer des enseignements et remodeler, éventuellement, le financement de leur économie. Il conviendrait toutefois de renforcer la coopération entre banques centrales dans le développement de la MDBC, notamment en établissant des normes et des règles.

Quelles peuvent être les conséquences à court et long terme de cette stratégie chinoise ? En Chine ? Mais aussi à l’international sur le système monétaire ?

Bien que son impact sur le paysage des paiements mobiles soit peu évident à court terme, l’introduction du e-CNY peut poser un défi à moyen et long terme. Elle nécessite d’établir l’infrastructure pour un développement à long terme de l’économie numérique. Ceci peut permettre une culture de l’innovation (Cf. « fintech ») et favoriser la concurrence financière (opportunités commerciales pour les banques) à mesure que la technologie progresse et que l’économie numérique se diffuse dans tous les domaines de la vie économique.

Au plan fiduciaire, elle réduira les coûts d’impression, de circulation et de négociation et favorisera l'efficacité et la productivité du système financier et de la société dans son ensemble.

Au plan international, l’e-CNY ne mettra guère en cause le statut du dollar en tant que monnaie de réserve mondiale dominante. Les atouts du dollar ne résident pas seulement dans la profondeur et la liquidité des marchés financiers américains, mais également dans le cadre institutionnel qui sous-tend le statut de la devise en tant que valeur refuge d’autant que le système international de paiements en dollars est très efficace. Les effets de réseau dans ces choses sont si forts que les conventions d’utilisation du dollar, ou de SWIFT, sont très difficiles à renverser.

Enfin, des questions restent en suspens. Si les banques conventionnelles sont soumises à la réglementation financière standard, avec ses coûts et ses exigences, quelles réglementations sont appropriées pour les non-banques ? Par exemple, les banques sont soumises à des règles de « connaissance du client » (KYC) visant à limiter le blanchiment d’argent ou le financement d’autres activités illégales. Ces non-banques devraient-elles toutes se conformer à des règles similaires ? Dans le cas contraire, ces entreprises financières non bancaires ne crééraient-elles pas un risque d'instabilité financière ?

Quel serait le degré de confidentialité d’une MDBC ? En Chine, l’idée que la banque centrale supervise l’ensemble des comptes de ce système ne semble pas poser beaucoup de problèmes. Dans d’autres pays à revenu élevé, une telle mesure pourrait être plus controversée.

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