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Moi, Gérard, 60 ans, ramoneur-couvreur, électeur du Front National..
©Reuters

Pas de fumée sans feu

Rien de plus abstrait que des pourcentages de votes. Mais, il suffit d’un homme, d’un seul pour comprendre.

Benoît Rayski

Benoît Rayski

Benoît Rayski est historien, écrivain et journaliste. Il vient de publier Le gauchisme, maladie sénile du communisme avec Atlantico Editions et Eyrolles E-books.

Il est également l'auteur de Là où vont les cigognes (Ramsay), L'affiche rouge (Denoël), ou encore de L'homme que vous aimez haïr (Grasset) qui dénonce l' "anti-sarkozysme primaire" ambiant.

Il a travaillé comme journaliste pour France Soir, L'Événement du jeudi, Le Matin de Paris ou Globe.

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A la campagne on a le temps, ou on le prend, de parler. Gérard est dans ma maison pour ramoner la cheminée. Pour venir chez moi il a fait une vingtaine de kilomètres avec sa camionnette. Le ramonage me reviendra à 75 euros TTC. Je lui dis que c’est pas cher. Il répond : “je me suis adapté aux gens du coin qui ne sont pas riches”. Gérard ne fait pas que du ramonage. Seulement avec ça, il n’y arriverait pas. Il entretient les chaudières, répare les toitures, installe des portes et des velux.

“C’est dur ?”. “Oui, souvent des journées de 10, 11 heures. Les 35 heures c’est pas pour moi. Mais je suis bien content d’avoir ce travail”. Alors pendant qu’il déballe ses outils, je lui raconte l’histoire du pèlerinage de Péguy en route vers Chartres. En cheminant, le poète aperçut au loin un homme qui avec un gros marteau cassait des pierres. Il s’approcha de lui. L’homme avait une allure pathétique. Décharné, triste. “Et que faites-vous monsieur?”. “Je casse des pierres. C’est un travail de sous-homme. Je suis un sous-homme”. 

Un peu plus loin Péguy croisa un autre cantonnier qui faisait le même travail. Il était moins abîmé que le précédent. “Et vous, que faites-vous?”. “Comme vous le voyez je casse des pierres. C’est un travail de merde mais je suis assez heureux de l’avoir pour nourrir ma femme et mes enfants”. Plus loin encore Péguy s'approcha d'un troisième cantonnier. L’homme était beau. Le regard lumineux. “Vous aussi vous cassez des pierres ?”. “Oui, c’est un travail très pénible. Mais je suis tellement heureux : ces pierres c’est pour bâtir une cathédrale”. 

Gérard opine du chef. Il comprend et me dit que quand il était petit il y avait encore des cantonniers. “Moi, ce serait plutôt le deuxième”. “Et pourquoi pas le troisième ?”. Il rit : “qui aujourd’hui en France peut encore espérer bâtir une cathédrale”. Pas d'amertume chez lui. Juste un immense désenchantement. Au moment de payer, il me donne la facture. Puis encore un formulaire. “C’est pour quoi faire ?”. “C’est pour la TVA qui est à 5,5% pour le ramonage”. Je signe. Et Gérard enchaîne : “mais pour mes autres boulots la TVA peut être de 10% ou de 20%”. Je suis perplexe : “mais c’est incompréhensible”. “Oui, même à moi il m’a fallut plus d’un an pour me retrouver dans cette jungle administrative”. “Et ça vient d’où cette folie paperassière ?”. “Ah ben ça c’est Bruxelles et ses normes”. Pour lui, l’Europe c’est ça. Gérard n’aime pas l’Europe. 

Il s’apprête à partir, et s'aperçoit que la porte de ma remise est grande ouverte. “Vous ne la fermez pas ?”. “Non, c’est très paisible ici. Et qui serait assez fou de venir piquer quelques bûches”. “Détrompez-vous monsieur, ici on vole”. S’ensuit une longue litanie sur des garage “visités”, du fuel siphonné, des échelles et des tondeuses à gazon volées. “Il n’y avait pas ça avant”. “Avant quoi ?”. Gérard hésite un peu : “heu avant quand il n’y avait pas d’étrangers”. Gérard dit “étrangers” sans d’autres précisions. J’enchaîne : “mais moi je n’en ai jamais vu un seul par ici”. “Bien sûr, ici ce n’est pas Mante-la-Jolie ou Les Mureaux mais il y en a quand même”. Et il m’explique que dans sa petite ville on a installé ces dernières années quelques HLM. “Mais pourquoi ici, en pleine campagne là où il n’y aucun boulot ?”. Gérard ne sait pas : “ils ont décidé”. Ah ce “ils” ! “Ils” c’est là haut, ceux qui dirigent, ceux qui gouvernent, loin très, très loin de Gérard. 

Il continue : “vous n’avez pas remarqué qu’il y a un kebab dans la rue principale ?”. Si bien sûr que je l’avais vu mais je n’y avais pas prêté attention : il y en a tellement à Paris. Gérard trouve ce kebab insolite, incongru et il y voit une menace pour son environnement et sa tranquillité. Un kebab dans une toute petite ville normande connue pour sa forêt, son donjon, son église, vous vous imaginez ? Gérard me dévisage. Et comme il ne voit aucune hostilité dans mon regard il continue avec moins de retenue. “Vous comprenez pourquoi ici on n’aime pas trop les étrangers. Et vous croyez que les gens n’ont pas entendu les prénoms des tueurs du 13 novembre, Bilal, Samy, Salah, Omar… ?”.

Les images des migrants qu’il a vues à la télévision ne l’ont pas non plus laissé indemne. “Ils ont décidé de les accueillir. Mais qui va payer pour eux : nous ! Est-ce qu’on m’a demandé mon avis à moi ?”. “Ils ont décidé",  "nous allons payer”. Tout est dit, Gérard parle calmement. Il n’est pas en colère. Aucune haine dans ses propos. Il veut juste cultiver son potager sans qu’on lui arrache ses plants de tomates. Dans sa petite ville il vote à gauche ou plus précisément pour le maire qui est de gauche. Un type formidable que tout le monde aime ici indépendamment de son étiquette. Aux régionales Gérard a mis dans l’urne le bulletin du Front National. 

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