Modem : un quinquennat plus tard, quel bilan pour l’alliance Bayrou / Macron ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et François Bayrou en janvier 2020.
Emmanuel Macron et François Bayrou en janvier 2020.
©GEORGES GOBET / AFP / POOL

Alliés

L'alliance entre François Bayrou et Emmanuel Macron, scellée en février 2017, aura facilité l'accession de ce dernier à l'Elysée. Cinq ans plus tard, le nombre de députés Modem montre que la stratégie a été payante pour le maire de Pau. Son influence sur l'action gouvernementale est, en revanche, plus difficile à mesurer.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Le 22 février 2017, le président du Modem François Bayrou a proposé une alliance à Emmanuel Macron avec son parti La République En Marche en vue de gagner la Présidentielle ensemble. L’ancien ministre de l’économie ayant accepté, l’homme trois fois candidat s’est retiré pour la première fois de l’élection reine en 15 ans. Avec la victoire de l’ancien ministre de François Hollande lors du scrutin d’avril 2017, le parti de François Bayrou a fait alliance avec celui président pour lui offrir la majorité au Parlement. Cinq ans après que cela soit tant au niveau humain que politique, quelle influence réelle aura eu le Modem sur le quinquennat ? Qu’est ce qui été voté ou fait lors de cette mandature qui n’aura pas été fait sans le Modem ? 

Jean PEetaux : Question complexe, pour ne pas dire insoluble dans la mesure où il est parfaitement impossible, en politique et plus globalement dans la vie, de raisonner ainsi : « Que ce serait-il passé si le chancelier Bismarck n’avait pas envoyé aux ambassades le fameux télégramme diplomatique passé à l’histoire sous le nom de « dépêche d’Ems, le 13 juillet 1870 » ? C’est une question que pose Max Weber 30 ans plus tard. Cette démarche peut être intellectuellement propice à spéculation, y compris rhétorique, mais celle-ci montre vite ses limites.

Ce qui est sans doute certain en revanche c’est que faute du ralliement de François Bayrou à sa candidature, Emmanuel Macron aurait sans doute eu beaucoup de difficultés à terminer à la première place du premier tour de la présidentielle de 2017. Car c’est bien après le 22 février 2017 que les courbes des sondages montrent une progression substantielle des intentions de votes de 6 à 7 points en sa faveur qui ne fléchira plus jusqu’au premier tour.

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Ce « coup de pouce », sinon du destin, du moins de Bayrou et de son parti, le MODEM, à Macron a-t-il été « rentable » pour le maire de Pau et ses amis politiques ? Compte tenu de l’état du groupe parlementaire du MODEM, entre 2012 et 2017 et même sous le quinquennat précédent, à l’époque de Sarkozy, malgré l’excellent score que Bayrou réalise à la présidentielle (18,57% des voix), le groupe MODEM donc est tout simplement groupusculaire. Entre 2007 et 2012 on recense 3 élus MODEM à l’Assemblée nationale dont Jean Lassalle et Abdoulatifou Aly, député de Mayotte. Fort, aujourd’hui en septembre 2021, de 54 membres et 8 apparentés, le groupe du parti de François Bayrou est le troisième en effectif de l’Assemblée et le deuxième de la composante majoritaire. Le gouvernement peut s’appuyer sur le groupe AGIR pour « boucler » son tour de table majoritaire, mais à lui seul le groupe LREM, le parti présidentiel, n’a plus la majorité absolue des parlementaires et doit composer… Entre autres partis avec le MODEM. Preuve que la stratégie de Bayrou, d’un strict point de vue des moyens et des circonscriptions à gagner, était la bonne en 2017. Elle demeure la seule pertinente en 2022.

En quoi est-ce que la présence du MODEM dans la majorité parlementaire a été essentielle ? En rien de fondamental et stratégique car LREM pouvait toujours faire l’économie du soutien du MODEM pour faire passer ses textes. On va dire que le MODEM a eu une participation qui était suffisante mais non nécessaire.

Evidemment le MODEM, et surtout Bayrou, malgré le fait qu’il a dû quitter le gouvernement dès juin 2017, ont certainement joué de son influence dans l’amendement des textes, dans un rôle d’influenceur et de porteur de revendications spécifiques. D’abord parce que les députés MODEM étaient souvent des « cadres politiques » militants et inscrits dans leur territoire en tant qu’élus locaux, ce qui leur a donné très vite sur leurs collègues de LREM une expertise et une capacité politique supérieures. Ces derniers ont été, la plupart du temps, novices en tout.

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Alors que le Modem était centré sur François Bayrou ou sur Marielle de Sarnez, a-t-il changé de centre de gravité depuis 2017 ? 

Je ferai une réponse nuancée ici. « Non » au sens où François Bayrou, même douloureusement privé de la présence de Marielle de Sarnez à ses côtés, demeure incontestablement le « patron » et la « référence ». Il est celui qui a l’expérience la plus ancienne (il démarre sa carrière politique au milieu des années 80) et qui a surtout le plus d’autorité sur ses « ouailles ». J’emploie, à dessein, un vocabulaire appartenant au registre religieux, qui renvoie à la fois au courant historique de la « démocratie chrétienne », idéologie originelle du « Béarnais », mais aussi au fait que François Bayrou est une sorte de « cardinal » (« chanoine » ne suffirait certainement pas à son égo surdimensionné) de la scène politique française…

« Oui » au sens où, fort heureusement, de « nouvelles têtes » sont apparues. Il est certain que des personnalités comme Patrick Mignola, président du groupe MODEM à l’Assemblée ; Marc Fesneau, secrétaire d’Etat en charge des relations avec le Parlement, ou encore un homme comme Jean-Louis Bourlanges, élu de la 2ème circonscription des Hauts-de-Seine, grand européen, un des esprits parmi les plus fins de la scène politique actuelle même si ce n’est pas un nouveau venu sur la scène politique centriste et française ; sont autant de « valeurs sûres » (et peut-être « montantes ») qui comptent au sein du parti, mais celui-ci demeure très « inféodé » à son fondateur, lequel ne manque jamais une occasion de rappeler, comme jadis Giscard à l’égard de l’UDF, ce qui avait le don d’exaspérer « Bayrou le Jeune », que sans lui, la planète centriste ne serait pas loin d’être un  astre mort.

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Le nombre de députés du Modem a augmenté entre 2012 et 2017, au sein de la majorité présidentielle, mais la loyauté au parti centriste a-t-elle été conservée ?

Plus un groupe est quantitativement nombreux plus il est compliqué à « driver ». Le groupe MODEM s’est effectivement renforcé en 2017, on l’a vu, mais il n’a cessé de croitre encore depuis les dernières législatives de juin 2017 du fait de dissidences au sein du groupe LREM et de ralliements au MODEM. Pour autant il n’y a pas eu de « tempête migratoire » qui serait venue déstabiliser le groupe parlementaire dirigé par le député Mignola. Autrement dit la question du comportement des nouveaux venus qui échapperaient à « l’emprise bayrouiste » n’est pas un problème. Si des tendances centrifuges existent au sein du groupe MODEM par rapport à la « ligne du parti » fixée par François Bayrou et son équipe, elles ne sont en fait que des petits prurits égotiques qui ne transparaissent pas à l’extérieur tout simplement parce qu’ils passent pour quantité négligeable à l’intérieur.

L’alliance entre les deux partis n’étant possible qu’une fois, que reste-t-il au Modem pour peser dans la balance lors du prochain scrutin ? Que va devenir le parti après la Présidentielle ? 

Pourquoi considérer que l’alliance entre LREM et le MODEM serait un « one shot » ? Rien n’interdit aux dirigeants du MODEM et de LREM de « resigner » un CDD pour un nouveau bail de cinq ans. Ce qui se profile donc, sauf retournement d’alliances fort surprenant, c’est de nouveau un accord politique visant à soutenir la candidature Macron en 2022 en échanges d’un nombre convenu de « circonscriptions réservées » au MODEM où ne se présenteront pas de candidats LREM. On se souvient d’ailleurs qu’au début juin 2017 François Bayrou avait sérieusement élevé la voix sur ce sujet, estimant que « le compte n’y était pas ». Reste la question de la fameuse introduction de la proportionnelle, revendication constante du MODEM qui lui garantirait un socle minimal de parlementaires sans passer sous les fourches caudines d’une négociation en amont avec LREM.

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Pour autant une alliance reconduite entre LREM et le MODEM au plan national ne règlerait rien des dysfonctionnements qui existent à l’échelle des mairies, de certains départements ou de régions : quid des alliances locales, souvent anciennes, passées entre LR et MODEM, antérieurement UDF ? Et comment s’articuleront-elles demain avec de possibles listes communes LREM-MODEM ? De ce point de vue ce qui remonte des territoires c’est un remarquable « foutoir » qui fait qu’à pratiquer le « libre-échangisme » avec plusieurs partenaires, LR, LREM voire, ce fut le cas à Lille-Métropole avec Martine Aubry à une époque, avec le PS, le MODEM s’est bien souvent pris les doigts dans les portes qui s’ouvraient et se refermaient pour des alliances parfois surprenantes à l’observateur extérieur. Les dernières élections régionales ont montré à quel point les alliances LREM-MODEM ont pu avoir des effets négatifs sur les résultats espérés par le parti de François Bayrou.

La question de l’avenir du parti, après 2022, est essentielle. Aujourd’hui avec le financement public des partis politiques, ce serait une grave erreur que de « casser » un outil partisan qui a su se doter de cadres et d’un appareil performant. N’exagérons rien quand même, le MODEM n’est pas le Parti Communiste Chinois, en organisation structurelle et en nombre d’adhérents !.... Pour autant, dans un contexte politique général en France où les partis sont moribonds, il est préférable d’exister que d’être mort.

Pour ce qui concerne le fond, celle de la « ligne politique », si tant est que cette expression ait encore un sens….  On se souvient de la fameuse « sortie » de François Bayrou au congrès fondateur de l’UMP à Toulouse après la spectaculaire victoire de Jacques Chirac pour son second mandat présidentiel face à Jean-Marie Le Pen. Seul « résistant » à la fusion RPR-UDF (en fait estimait-il à l’absorption par le premier parti du second), Bayrou avait dit à son collègue aquitaine Juppé, député-maire de Bordeaux et futur président de l’UMP (le parti fusionné) : « Quand on pense tous la même chose, c’est qu’on ne pense plus rien ». Cet argument, répété à l’envi, lui avait servi de « bélier » pour enfoncer la porte du château dans lequel voulaient l’enfermer, croyait alors l’admirateur d’Henri IV, autre Béarnais, les cadres du RPR et ceux de l’UDF qui ne l’aimaient pas. Aujourd’hui, alors qu’il réclame une grande formation « centriste » qui réunirait en fait autour du MODEM les soutiens à Emmanuel Macron, dans la perspective d’une réélection et d’un second quinquennat, comment le maire de Pau, président du MODEM, va-t-il « s’arranger » avec son « mantra » de Toulouse du 17 novembre 2002 ?  Il a peu de marge de manœuvre ici. Sauf à plaider pour une « grande fédération » qui reconnaitrait les spécificités de chacune de ses composantes et qui respecterait ainsi les « écuries » MODEM, LREM, AGIR voire le parti que ne va pas manquer de créer Edouard Philippe, toute proposition par Bayrou lui-même d’un parti monolithique et vertical apparaitrait comme en contradiction totale avec la « philosophie » qui était la sienne il y a 19 ans… Mais, à l’inverse, donner le sentiment qu’on réinvente la FGDS (Fédération de la Gauche Démocrate et Socialiste) présidée par François Mitterrand de septembre 1965 (pour sa candidature présidentielle) à novembre 1968 qui rassemblait plusieurs partis demeurés indépendants entre eux tels que la SFIO ou le Parti Radical-Socialiste ; ou encore, réinventer l’UDF chère à Giscard, cela sent un peu son « réchauffé ». Cela dit, en Béarn, c’est encore dans les vieilles marmites que se font les meilleures garbures !

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