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Mirage électoral : pourquoi les candidats et partis qui misent (presque) tout sur l’environnement et l’écologie risquent fort de déchanter
©PHILIPPE LOPEZ / AFP

Elections européennes

Selon un sondage Yougov pour le "European Council on Foreign Relations" menée au travers de 14 pays européens, publié le 1er avril, le changement climatique arriverait en 5e position des plus grandes menaces aujourdhui, derrière l'islamisme radical, les migrations, les risques de crise économique et de guerre commerciale, et le nationalisme en Europe.

Yves Michaud

Yves Michaud

Yves Michaud est philosophe. Reconnu pour ses travaux sur la philosophie politique (il est spécialiste de Hume et de Locke) et sur l’art (il a signé de nombreux ouvrages d’esthétique et a dirigé l’École des beaux-arts), il donne des conférences dans le monde entier… quand il n’est pas à Ibiza. Depuis trente ans, il passe en effet plusieurs mois par an sur cette île où il a écrit la totalité de ses livres. Il est l'auteur de La violence, PUF, coll. Que sais-je. La 8ème édition mise à jour vient tout juste de sortir.

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Atlantico : Les résultats de ce sondage semblent en décalage avec l'importance prise par la question climatique dans le débat politique relatif aux prochaines élections européennes. Si cette question figure parmi les priorité et doit être traitée comme telle, comment expliquer un tel décalage entre les attentes des électeurs et le débat politique ? 

Yves Michaud : Ce sondage ne me surprend pas. Il est juste sensé de distinguer entre les problèmes auxquels les gens sont immédiatement exposés et ceux qui se profilent à plus long terme sans que s’impose de solution évidente. Tout le monde est conscient du réchauffement climatique mais qu’y faire ? Et surtout qu’y faire non pas chacun dans son coin mais au niveau de la planète toute entière ? Il est possible que la désertification du Sahel soit la cause de l’augmentation des flux migratoires (encore que ce soit oublier pas mal de facteurs politiques, notamment les conflits sanglants), mais pour le moment, directement, la question à résoudre est celle du traitement de ces flux. Idem pour le terrorisme ou la crise économique que laisse présager le surendettement de tous les pays ou presque. Comme disait Hume, il n’est pas contraire à la raison de préférer l’anéantissement du monde à une éraflure à mon petit doigt...On constate d’ailleurs que les jeunes générations sont beaucoup plus sensibles au problème écologique que les plus âgées parce qu’elles devinent qu’elles auront, elles, à en subir les conséquences « réelles » autour de 2040-2050.
Maintenant, pourquoi les partis politiques accordent-ils une telle importance à une question qui préoccupe beaucoup moins les électeurs ? J’y vois, pour commencer, deux raisons assez pragmatiques.
D’abord les « écologistes » trouvent là l’opportunité de faire fructifier leur fond de commerce et d’emporter des suffrages, soit avec leurs propres listes soit en faisant les coucous sur les listes d’autres partis.
D’autre part, le thème est devenu « à la mode » dans les médias et dans le business, avec des effets d’amplification en cercle : on veut sauver les ours polaires, les requins, les abeilles et même les hannetons, et, en même temps, ça fait vendre bio, écolo, vegan, sans gluten, sans pesticide, avec du renouvelable, des sacs en papier, du tout électrique garanti éolien pour vivre aussi longtemps que Jeanne Calment. Il y a aujourd’hui un immense business du greenwashing et du greenmaking. Hulot est, de ce point de vue, la figure aussi emblématique qu’hypocrite de cet écolo-business promu par les écolo-médias. Je roule en 4x4 de luxe, mais il est hybride et son empreinte carbone n’est rien du tout par rapport à la vieille guimbarde diesel du gilet jaune bouseux qui va travailler tous les jours.

Dans quelle mesure la question climatique pourrait-elle être utilisée comme un voile venant masquer une absence de réponse des partis politiques aux menaces considérées comme prioritaires par les Européens en général et les Français en particulier ?

Votre question me permet de donner la troisième raison de cette pseudo-priorité du changement climatique pour les partis politiques. Un tel thème, aussi généreux, aussi angélique, aussi universel, aussi bienveillant (sauvons notre planète – et nous avec, surtout sans oublier les petites bébêtes!) ne mange pas trop de pain et évite d’affronter les vraies questions. 
D’abord les questions immédiates comme celles des migrants, du terrorisme, de la progression du fondamentalisme mahométan, du chômage de masse, de la brutalisation de la société et de ses fractures multiples.
Mais aussi des questions aussi concrètes que celles de la démographie et des modalités soit d’un état stationnaire (qu’appelait déjà de ses vœux John Stuart Mill  dès 1848) soit de la décroissance. Curieusement, on nous parle de tous les maux écologiques mais quasiment jamais de la variable fondamentale qu’est la croissance démographique. On nous propose de nous passer de sacs en plastiques (la spécialité du conseiller spécial auprès de madame Hidalgo Serge Orru) et de rouler en trottinette mais on découvre à peine le problème de l’accompagnement d’une population de plus en plus vieille et handicapée – et on ne se pose ni les problèmes de la logistique des achats par internet, ni de la consommation d’énergie des fermes de serveurs ni des dégâts écologiques de la fabrication (et du recyclage) des batteries pour trottinettes, vélos et voitures… 

Quel est le risque de voir la question climatique devenir une forme de rempart moral pour certains partis, et comment les responsables politiques doivent-ils s'en emparer pour éviter un tel biais ? 

J’ai en partie répondu à votre question. Oui, l’écologie est devenue le cache-sexe moral des véritables problèmes. Il me semble significatif que Hulot soir parti de son ministère sans qu’on s’en aperçoive et que la crise des Gilets jaunes ait commencé juste après sur une question de consommation de carburant...Rappelez-vous les déclamations de Chirac en 2002 à Johannesburg : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. La nature, mutilée, surexploitée, ne parvient plus à se reconstituer et nous refusons de l’admettre. L’humanité souffre de mal-développement, au Nord comme au Sud, et nous sommes indifférents. ». Avec, au passage, une contradiction dans les termes : la maison brûle mais il faut quand même développer le Sud… Bref, économisons l’eau mais installons des WC avec chasse d’eau dans tous les pays d’Afrique. Je plaisante à peine. Voilà comment la morale se substitue à la politique. Moraline, Soin (care) et Padamalgam sont les trois tranquillisants de notre époque.
Ce qui m’inspire deux remarques finales mais qui devraient faire l’objet de développements approfondis :
1) Avec cette moraline écologique, les partis vont encore élargir la coupure avec les citoyens. Et ils seront une fois de plus tout surpris.
2) Une véritable approche de la question écologique doit rompre avec la morale, la com et le marketing  et poser la question claire de la démographie, celle d’un état stationnaire bien défini (sans la croissance sacrée!), celle d’un changement climatique inévitable et avec lequel il faudra quand même vivre, celle des technologies compatibles avec ce changement climatique, sans se faire d’illusion sur le maintien en l’état.
La plupart des écologistes pensent en fait comme des créationnistes : ils voudraient « geler » la planète telle qu’elle est aujourd’hui – tout comme les créationnistes veulent la rendre dans l’état où Dieu la créa. 

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