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Minorités ethniques et immigration : voilà à quoi devrait ressembler l’Europe en 2050
©Reuters

Projections

Un rapport publié récemment par le think-tank "Policy Exchange" démontre que 80% de la croissance démographique est aujourd'hui le fait des minorités ethniques en Grande-Bretagne, une tendance qui les amènerait (d'après estimation) à représenter un tiers des Britanniques en 2050. Une évolution à la hausse qui est aussi envisageable pour d'autres pays d'Europe de l'Ouest.

Laurent  Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant. Membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Atlantico : A quel point les projections démographiques publiées récemment par Policy Exchange (en anglais ici) semblent raisonnables ?

Laurent Chalard : Les projections en démographie sont toujours un exercice hasardeux car elles reposent sur un certain nombre de présupposés concernant le solde migratoire et la fécondité, deux facteurs qui peuvent varier de manière importante sur le long terme sans qu’il soit possible de savoir dans quel sens. En conséquence, le chiffre avancé par le think-tank Policy Exchange repose sur une poursuite des tendances actuelles. Il relève donc du champ du possible, sans qu’il soit sûr que ce chiffre sera effectivement atteint. En effet, il repose sur l’hypothèse d’une poursuite de l’immigration en Grande-Bretagne à des niveaux élevés alors que le gouvernement Cameron semble vouloir limiter drastiquement les entrées, et le maintien d’un différentiel de fécondité entre les « anglais » et les minorités ethniques, qui pourrait cependant se résorber. Quoi qu’il en soit, le pourcentage des minorités va augmenter car le phénomène est déjà inscrit dans la structure par âge (un quart des enfants de moins de 10 ans sont issues des minorités ethniques) et il est renforcé par le fort déficit migratoire des « nationaux » (ou "natives" selon le terme britannique, NDLR), vers l’Australie en particulier, la seule interrogation concernant l’ampleur de cette hausse. Le travail du Policy Exchange apparaît donc un exercice intéressant pour faire prendre conscience aux dirigeants britanniques de l’inéluctabilité du renforcement du caractère multiculturel de l’île, que le taux de minorités réellement atteint en 2050 soit de 25 % ou de 33 %.

Avec l'Angleterre, l'Allemagne est un pays d'accueil que l'on pourrait qualifier de "traditionnel" en Europe. Peut-on estimer quelle serait leur situation d'ici 35 ans à partir des tendances actuelles ?

L’Allemagne est un pays qui connaît un fort accroissement migratoire depuis 2010, grâce à ses meilleures performances économiques au sein d’une Union Européenne peu dynamique, qui la rend attractive pour les jeunes actifs d’Europe du Sud et de l’Est, mais aussi pour des migrants qualifiés provenant de pays plus lointains que l’Etat allemand cherche à attirer. Etant donné sa faible fécondité (très largement inférieure au Royaume-Uni), l’immigration est appelée à se poursuivre si l’économie fonctionne de manière satisfaisante dans la simple optique de répondre aux besoins de main d’œuvre du secteur industriel. L’Allemagne étant déjà un état multiculturel avec 15,3 millions de personnes d’origine étrangère en 2005, soit 18,5 % de la population totale, ce chiffre va donc progresser de manière conséquente. Il ne serait pas surprenant qu’en 2050, le poids des minorités en Allemagne soit aussi important qu’au Royaume-Uni.  

La France compte aussi parmi les premières terres d'immigration du Vieux Continent. Est-elle amenée à le rester sur les prochaines années ? Dans quelles proportions ?

Selon l'Insee (Borrel, Lhommeau, 2010), il y a 11,8 millions personnes d'origine étrangère sur deux générations en France en 2008, soit 19 % de la population. Le principal flux entrant en France relevant du domaine du regroupement familial, sauf changement de politique, il est consécutivement voué à se poursuivre à un rythme identique, d’autant plus que la pression démographique dans ses anciennes colonies d’Afrique va s’accentuer dans les décennies à venir, ce qui sous-entend vraisemblablement une augmentation sensible de l’immigration clandestine. Comme le Royaume-Uni et l’Allemagne, la France est donc appelée à devenir un pays avec une part non négligeable de minorités ethniques en 2050, approchant aussi du tiers de la population totale. La principale différence par rapport à la plupart des autres pays européens est que les effectifs des « français » ne diminueront pas du fait d’une fécondité plus élevée. Seule leur part dans la population totale se réduira.

L'Espagne et l'Italie sont quant à eux des pays dont les flux ont nettement augmenté ces dernières années. Cela est-il amené à se poursuivre ?

Après avoir connu dans les années 2000 la plus forte vague d’immigration du continent européen depuis la Seconde Guerre Mondiale, l’Espagne a vu les flux s’inverser, puisque désormais, il y a plus de personnes qui quittent le pays qui n’y entrent, soit un déficit migratoire de 162 000 personnes en 2012, du fait de la sévère crise économique. En effet, il se constate une forte émigration des espagnols qui cherchent un emploi dans d’autres pays et de nombreux départs d’immigrants récemment arrivés vers d’autres pays européens ou vers leur pays d’origine (surtout pour les originaires d’Amérique Latine). En conséquence, sauf redressement rapide de la situation économique peu probable, l’immigration devrait être limitée dans les prochaines décennies. Cependant, cela n’empêche pas que le caractère multiculturel du pays va se renforcer, étant donné la contribution importante de l’immigration à la natalité du pays (20,4 % de naissances étrangères en 2010).

En Italie, malgré la crise économique, l’immigration continue à un rythme soutenu avec un excédent migratoire de 370 000 personnes en 2012 et va très vraisemblablement se poursuivre du fait d’une très faible fécondité, conduisant à un besoin de main d’œuvre important dans le secteur industriel, qui demeure un point fort de l’économie italienne. Combiné à une contribution croissante à la natalité (13,9 % de naissances étrangères en 2010), le pourcentage des minorités va fortement progresser dans les prochaines décennies, mais essentiellement dans la moitié nord du pays, dont la composition de la population ressemblera beaucoup aux grandes métropoles d’Europe occidentale.

Plus largement, est-il possible de dessiner quelques grandes orientations de la place qu'auront les minorités ethniques pour l'ensemble du Vieux Continent sur les trois prochaines décennies.

Etant donné les tendances démographiques passées, l’Europe occidentale est appelée à voir son peuplement fortement se diversifier dans les prochaines décennies, les populations issues de l’immigration constituant, comme nous venons de le voir, déjà une part non négligeable des naissances, du fait de leur structure par âge beaucoup plus jeune que les populations « autochtones » et d’une fécondité, en règle générale, plus élevée. L’ouest du continent ressemblera de plus en plus aux Etats-Unis avec des grandes métropoles (Paris, Londres, Bruxelles, Amsterdam…) où les minorités pourraient devenir majoritaires à moyen-terme. Il s’en suivra mécaniquement des recompositions socio-politiques importantes, les Etats devant s’adapter à cette nouvelle donne. Le multiculturalisme constitue donc, avec la relance économique, un des enjeux majeurs pour le futur de l’Europe. C’est dès aujourd’hui qu’il faut s’y préparer pour que les choses se passent de la meilleure manière possible, une société multiculturelle n’étant pas forcément condamnée à l’échec si des politiques adéquates sont menées. 

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