Mgr Yousif Mirkis, archevêque de Kirkouk : "Accepter le départ des migrants vers l'Europe sans rien faire, c'est exactement comme si nous offrions nos pays à Daesh sur un plateau d'argent"<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Mgr Yousif Mirkis, archevêque de Kirkouk : "Accepter le départ des migrants vers l'Europe sans rien faire, c'est exactement comme si nous offrions nos pays à Daesh sur un plateau d'argent"
©

Entretien

Mgr Yousif Thomas Mirkis, archevêque chaldéen de Kirkouk en Irak, porte un regard très critique sur l'accueil fait aux réfugiés en Europe et sur l'ouverture des frontières.

Mgr Yousif Thomas Mirkis

Mgr Yousif Thomas Mirkis

Mgr Yousif Thomas Mirkis est archevêque chaldéen de Kirkouk.

Voir la bio »

Atlantico : Vous accueillez 500 000 réfugiés à Kirkouk, dans une ville d'environ 1 200 000 habitants. Comment concrètement se passe cet accueil ? Qui sont ces réfugiés ?

Mgr Yousif Thomas Mirkis : Ce chiffre représente le total de tous les réfugiés de toutes les dénominations. La population aujourd’hui de Kirkouk s’élève à deux millions d’habitants. Nous essayons de nous occuper particulièrement des chrétiens dans la mesure de nos possibilités matérielles qui sont limitées. Cela ne représente que 1 500 à 2 000 personnes. Je n’ai pas beaucoup d’informations sur les autres réfugiés. Je sais qu’il s’agit pour la plupart de sunnites qui ont fuit Mossoul ou d’autres villes sous domination de Daesh.

Vous expliquiez avoir quotidiennement des images de solidarité entre chrétiens et musulmans. Comment les musulmans vivent-ils cette situation ?

Lorsque nous achetons des denrées alimentaires ou médicales pour les réfugiés, les médecins et pharmaciens musulmans nous font des réductions. En outre, il y a une trentaine de médecins bénévoles qui viennent et se mettent à notre disposition une fois par semaine. Certains sont même prêts à nous rendre service gratuitement. 

Vous accueillez dans votre diocèse plusieurs centaines d'étudiants. Pourquoi est-ce si important pour vous d’accueillir des étudiants et de faire en sorte qu'ils restent en Irak et ne migrent pas en Europe ?

Dans notre diocèse à Kirkouk nous accueillons plus de 360 étudiants. Nous allons certainement en accueillir jusqu’à 400 prochainement. Nous devons les loger, les nourrir et nous occuper de leurs besoins. Ce n’est pas une mince affaire.

Si ces étudiants émigrent, leur avenir est compromis. Ne connaissant ni la langue, ni la culture de l’Occident, ils devront repartir de zéro. Ce n’est pas les aider que de les accueillir en Europe. Nous avons aussi besoin d’eux ici.

>>> à lire aussi sur Fraternité en Irak « Mgr Mirkis : « Nous redonnons un avenir aux étudiants déplacés ! » <<<

Quel regard portez-vous sur le message d'ouverture envoyé par l'Europe aux réfugiés ? Sur la gestion des migrants ? Sur les 1 500 visas que la France a délivré aux chrétiens d’Orient et minorités persécutées ?

Ce n’est qu’une goutte ! Une goutte dans la mer. Ni les 1 500 visas délivrés par la France, ni le million de réfugiés que l’Allemagne a accueilli en 2015 ne résolvent le problème des millions de personnes qui souhaiteraient émigrer devant les horreurs de la guerre et de la pénurie.

L’émigration n’est pas une solution. Il faudrait vraiment contribuer à éradiquer le fanatisme, vaincre Daesh et le chasser de chez nous. Il faut aider les gouvernements à contrôler leurs pays puis les reconstruire. Daesh est une véritable catastrophe à tous points de vue. Accepter l’immigration et ne pas faire l’effort de reconstruire le pays, c’est céder à Daesh. C’est exactement comme si nous leur offrions nos pays sur un plateau d’argent. 

Tout le monde s'accorde à dire que l'Europe doit agir sans attendre. Vous appelez l'Occident à entrer en résistance contre l'Etat islamique et à agir d'urgence en Irak et en Syrie. De quelle manière ? Qu'attendez-vous de l'Europe, et plus particulièrement de la France ?

Il y a, il me semble, trois choses à faire de la part de l’Europe et de la France en particulier.

Un effort militaire. Il faut vraiment le continuer pour contenir l’avancée de Daesh et faire en sorte qu’il n’occupe pas d’autres régions. 

Un effort politique. Les politiciens doivent faire des efforts pour asseoir une démocratie dans cette région et ne pas nous laisser victime de tous les tiraillements des dénominations fanatiques obsolètes qui ne résolvent pas le problème et retardent même la reconstruction des pays. 

Enfin j’attends des chrétiens qu’ils puissent nous soutenir par la prière et par les dons. Nous avons besoin d’aide pour maintenir les chrétiens et les minorités dans le pays.

Quel regard portez-vous sur la manière dont la France s'y prend pour battre Daesh en Syrie et en Irak ?

La France doit continuer son action militaire. Il y a également un travail qui incombe aux ONG. Les sociétés civiles doivent en outre jouer un rôle et créer des sociétés démilitarisées. Dans ces zones, il est nécessaire de donner des raisons d’espérer. C’est souvent la majorité silencieuse dont il faut s’occuper. Cette majorité est paralysée par des régimes dictatoriaux qui ne donnent pas place à l’initiative privée et au communautarisme efficace et positif. Voilà ce qu’il faudrait vraiment aider et encourager.

Le savoir et la culture sont pour vous les armes les plus précieuses dans cette guerre. Comment les défendre ?

Souvent le fanatisme et l’obscurantisme sévissent dans des régions où l’illettrisme et l’inculture règnent. Il faut vraiment encourager la culture. Les chrétiens dans ces pays en ont toujours été les pionniers. La santé et la culture sont les meilleurs remèdes pour bannir la guerre et guérir notre pays.

La France a toujours pris conscience de son rôle dans la transmission de la culture. En tant que gouvernement, chrétiens et gens de bonne volonté, les Français ont toujours été attentifs à leur rôle culturel et dans la paix. Il faut vraiment encourager les forces qui aspirent à la paix dans ces régions. C’est tellement plus rentable que d’accueillir des réfugiés ! Ces derniers engendrent un affaiblissement pour le pays d’origine et celui d’accueil.

On vous présente souvent comme un homme de paix parti en guerre. Au milieu de ce contexte, comment définir la paix ? Comment vivez-vous cette expérience de paix  ?

Je crois que la paix est une chose qui doit être préparée à l’intérieur des coeurs par le dialogue. Les raisons du conflit sont beaucoup plus nombreuses et beaucoup de personnes les enveniment. Il y a même des hommes religieux qui prônent des discours de haine dans leur prêche. Il faut les empêcher de s’exprimer ainsi. Les propos haineux peuvent réellement tuer. 

La paix est à construire par des initiatives telles que le changement des programmes scolaires et l’épuration de notre discours, qu’il soit dans des lieux de culte ou sur des radios et télévisions. Nous avons besoin d’une certaine censure positive. Les personnes créant la discorde et empêchant le dialogue sont très dangereuses.

Selon vous, la paix est-elle encore possible en Irak et dans le monde ? De quelle manière ?

A court terme, elle est peut-être possible en prenant des mesures très fortes. A moyen terme, elle est certainement possible et nécessaire pour sauver l’unité du pays. Si nous refusons l’autre, la division guette tout le monde. C’est ce qu’il s’est passé en Yougoslavie, ce petit pays qui s’est divisé en 8 pays. Le monde va vers la mondialisation et l’ouverture des frontières et non vers le cloisonnement des identités qui sont susceptibles de vouloir s’enfermer de plus en plus.

C’est vraiment un contre chemin comparé à la route que prend l’Europe et le monde entier.

Il y a des pays qui se réconcilient et ouvrent de nouvelles perceptives grâce à des personnalités charismatiques comme Neslon Mandela qui a guéri son pays des problèmes de l’apartheid qui ont régnés dans son pays pendant un demi siècle.  Le chemin de la réconciliation du pardon et de l’oubli du passé est toujours plus concluant que le chemin de vengeance qui n’en finit jamais.

Le Pape François a lancé au début du mois le jubilé de la miséricorde. La miséricorde n'est-elle pas un véritable combat dans un contexte de guerre et de souffrance ?

Elle est un véritable combat car les guerres et les souffrances créent beaucoup de blessures et  souvent les blessures sont des traumatismes à la fois économiques, sociaux et psychologiques. Ces traumatismes parfois sont utilisés par certaine personne pour provoquer un sentiment de vengeance et d’exclusion. La miséricorde est le coeur même de toutes religions monothéistes. Je pense que cette année de la miséricorde est une aubaine et qu’il faut profiter de cette occasion pour se regarder en face. L’Europe a connu des périodes de haine et de guerre. Tous les peuples européens se sont battus les uns contre les autres, ils ont tourné la page, enterré l’âge de la guerre et se sont réconciliés. Le tout s’est concrétisé dans ce qui est devenue l’Union Européenne.  

L’Europe a acquis beaucoup d'expérience sur 70 ans. Au lieu d’accueillir les réfugiés et ne pas savoir comment faire avec eux, elle ferait mieux exporter cette expérience de la paix. Plutôt que de dépenser cet argent pour se défendre, il pourrait être investi dans tous les forces vives dans nos pays. Voilà ce qui pourrait être un acte de miséricorde qui serait une application de ce jubilé.

Le pape François s'est vu attribuer aujourd'hui le Prix Charlemagne 2016 pour «son encouragement et son message d'espoir pour la paix et le vivre-ensemble» Quels sont les éléments nécessaire pour un du vivre ensemble entre chrétiens et musulmans ?

Le problème au Proche-Orient, n’est pas entre chrétiens et musulmans ni entre musulmans et musulmans. Le combat est entre le mythe libéral et le mythe fanatique.

C’est au sein de la même famille qu’il y a des conflits. La division est une folie qui prend certains peuples et qui ne les lâchent qu’une fois ameurtris. Je crois qu’il est tant de s’arrêter et de regarder les choses dans leur finalité. A quoi servent les guerres ? Elles n’ont jamais servi à rien du tout. 

Il faudrait que Dieu nous envoie des hommes sages et courageux pour nous aider à nous en sortir. Dans les périodes les plus difficiles, les peuples ont connu des hommes charismatiques qui ont sauver leur pays par une parole qui purifie les coeurs et encourage à regarder les plus pauvres et les plus vulnérables. Souvent, les jeunes oisifs qui n’ont pas pas de travail sont emportés dans les discours qui les embrigadent. Regardez, nous n’avons jamais vu autant de jeunes qui se suicident en kamikaze pour tuer. Mais est-ce que Dieu nous a crée pour faire mourir ou pour faire vivre ?

La folie meurtrière ne fait que s’aggraver et ne nous conduit à rien du tout.

Quels regards portez-vous sur les mois qui arrivent ? Qu’appréhendez-vous le plus ? Etes-vous optimiste ?

Souvent, je ne suis pas optimiste parce que l’optimisme est matériel et se base sur l’analyse des données médiatiques et des situations géopolitique. Ce n’est pas mon travail. En tant que croyant j’ai de l’espérance. L’espérance c’est compter sur Dieu qui nous a crée. Je suis dans l’espérance mais pas dans l’optimisme. Un miracle peut toujours arriver. Nous sommes le jour Noël. Le miracle de Noël est justement celui de l’espérance donnée qu’un sauveur va venir au monde, pas pour les chrétiens seulement, mais pour tous. Le monde entier a besoin d’un sauveur. Les anges ont crié « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté », c’est à dire, pas seulement les croyants, mais tous les hommes de bonne volonté. Ces derniers vont donc être encore plus fort si l’amour de la paix les réunit. Il y a des hommes de bonne volonté qui travaillent à soulager la souffrance de nos frères. Chrétiens ou non, ils nous donnent donc de raisons d’espérer. 

En ce jour de Noël, quel message voulez-vous porter ?

Ce que vous avez écrit va me donner rendez-vous avec vos lecteurs. J’espère que ces mots vont les toucher.  Ainsi nous communiquerons à travers ces mots, à un niveau plus profond qui nous fait toucher l’humanité que Dieu a choisi. Si Dieu s’est fait homme, c’est que l’homme en vaut la peine et qu’il est la valeur la plus importante sur notre planète.

Propos recueillis par Cécile Picco

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !