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Sous prétexte de faire barrage au Front national, notre classe politique ne cesse de faire son jeu et de le nourrir
Sous prétexte de faire barrage au Front national, notre classe politique ne cesse de faire son jeu et de le nourrir
©REUTERS/Philippe Wojazer

Bonnes feuilles

Sous prétexte de faire barrage au Front national, notre classe politique ne cesse de faire son jeu et de le nourrir. De Fillon et Copé à Mélenchon en passant par BHL et Moscovici, on nous sert le même discours culpabilisant. Comment mieux pousser les classes moyennes dans les bras de Marine Le Pen ? Extrait de "Marine Le Pen vous dit merci !", de Jean-François Kahn, publié chez Plon (2/2).

Jean-François Kahn

Jean-François Kahn

Jean-François Kahn est un journaliste et essayiste.

Il a été le créateur et directeur de l'hebdomadaire Marianne.

Il a apporté son soutien à François Bayrou pour la présidentielle de 2007 et 2012.

Il est l'auteur de La catastrophe du 6 mai 2012.

 

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On était prévenu, cependant, il suffisait d’ouvrir les yeux ; de regarder autour de soi : l’Autriche, les pays scandinaves, la Suisse, la Grèce, l’Italie, la Finlande, les Flandres, partout un jaillissement de mauvaises herbes qui proliféraient sur les décombres de la social-démocratie. Mais on ne voulait pas regarder, pour ne pas voir. Ce n’était même plus de l’aveuglement, mais de l’autodécollement de rétine.

La social-démocratie repeinte aux couleurs de la mondialisation néolibérale ? Le bilan est aveuglant, échec partout, justice nulle part. En Espagne, au Portugal, en Grèce, en Hongrie, en Pologne, en Bulgarie, au Japon, en Israël, en Italie, en Inde… : auto-éradication. A Athènes, comme une autodissolution. Déclassification en Finlande au profit d’un national-démagogisme maison. En Hongrie, plus rien ne trouble le face-à-face d’une droite extrême et d’un néofascisme spécifique, comme en Pologne le face-à-face entre les conservateurs libéraux et la réaction cléricale. Au Japon, la social-démocratie s’est quasiment dissipée. En Israël, hier presque hégémonique, elle est marginalisée. En Suisse, elle n’est plus que l’observatrice d’un spectacle que donne, à jet continu, de vrais populistes vraiment xénophobes. En Flandres, les ethnico-nationalistes lui ont brouté ce qui lui restait de laine sur le dos. Ratatinement en Allemagne, dégringolade en Inde, glissade aux Pays-Bas, effritement en Norvège et au Danemark, défaite en Australie et en Nouvelle-Zélande, décrochage en Suède, sanction en Grande-Bretagne, rabotage en Tchéquie, mise hors-jeu en Argentine, dégénérescence en Italie avant un petit rebondissement.

Et, partout, un électorat populaire faisant massivement défection du camp qui prétendait le représenter. Un électorat populaire qui se vit comme trahi, jeté, méprisé et se détache de son pôle d’attraction pour basculer vers celui d’en face où on le flatte, où on le caresse dans le sens du poil, où on le gratte là où ça le démange pour, bien sûr, le trahir de nouveau.

Et, alors, devant ce spectacle édifiant, devant ces constats éloquents, cette redondante évidence, devant l’accumulation violente de tous ces avertissements, devant cette invitation à tout réinventer, à tout réimaginer et à réenchanter d’urgence, comment réagit notre leader en papier mâché ? Il se rengorge et (applaudi en cela par sa petite cour) proclame à la camarade cantonade : « Je suis social-démocrate. Je veux prendre exemple sur eux. Ce qui a échoué partout ailleurs, je vais le faire. » L’héritière n’avait plus qu’à engranger. Inespéré. La soupe lui était servie toute chaude. Ave César, ceux par qui tu vas mourir te saluent !

Raisonnons un instant : à partir du moment où les socialistes reparvenus au pouvoir, cette fois par défaut, parce que, malgré le manque total d’appétence à l’égard de leur champion, le rejet de l’autre se révéla plus puissant, décidèrent (ou plutôt leurs chargés de pouvoir décidèrent pour eux) de mettre en musique, subrepticement, confidentiellement car sans en avoir fait l’annonce, une politique dont le coût politique, psychologique et social ne pouvait qu’être destructeur… à partir du moment où cette musique, que la droite exigeait à cor et à cri qu’on l’exécutât sans en omettre une seule note, elle la récusa aussitôt que l’orchestre concurrent l’exécuta… à partir du moment où cette musique dissonante, discordante, amélodique ne fut précédée d’aucune ouverture, introduite par aucun prélude, rythmée par aucun leitmotiv, colorée par aucun lied, Marine Le Pen n’avait plus qu’à relever les compteurs en chantant.

Une autre leçon aurait dû être retenue : la façon dont les extrêmes gauches d’Amérique latine, ainsi le MIR au Chili, les Tupamaros en Uruguay, les Montoneros en Argentine, ont sapé les capacités de défense du camp démocratique confronté à l’alliance de la droite conservatrice et de sa presse (ainsi El Mercurio au Chili, comme avant guerre l’ABC en Espagne) avec le caudillisme militaire.

Mais l’idée même de retenir une leçon relève, à l’évidence, du rêve fou.

Extrait de "Marine Le Pen vous dit merci !", de Jean-François Kahn, publié chez Plon, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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