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Mennel Ibtissem et ses défenseurs indéfendables contre les obsédés de l’islam : le duel identitaires contre identitaires dans lequel la France est en train de sombrer lentement mais sûrement
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Idées contre idées

La chanteuse Mennel a décidé d'abandonner l'émission The Voice, suite à la polémique entourant ses tweets complotistes. Cette affaire marque l'impasse dans laquelle se trouve la société, entre ceux qui la défendent en accusant ses détracteurs "d'islamophobie" et ceux qui l'attaquent uniquement parce qu’ils ne veulent pas de musulmans dans l’espace public.

Philippe d'Iribarne

Philippe d'Iribarne

Directeur de recherche au CNRS, économiste et anthropologue, Philippe d'Iribarne est l'auteur de nombreux ouvrages touchant aux défis contemporains liés à la mondialisation et à la modernité (multiculturalisme, diversité du monde, immigration, etc.). Il a notamment écrit Islamophobie, intoxication idéologique (2019, Albin Michel) et Le grand déclassement (2022, Albin Michel).

D'autres ouvrages publiés : La logique de l'honneur et L'étrangeté française sont devenus des classiques. Philippe d'Iribarne a publié avec Bernard Bourdin La nation : Une ressource d'avenir chez Artège éditions (2022).

 

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Jean-Philippe Moinet

Jean-Philippe Moinet

Jean-Philippe Moinet, ancien Président de l’Observatoire de l’extrémisme, est chroniqueur, directeur de la Revue Civique et initiateur de l’Observatoire de la démocratie (avec l’institut Viavoice) et, depuis début 2020, président de l’institut Marc Sangnier (think tank sur les enjeux de la démocratie). Son compte Twitter : @JP_Moinet.

 

 

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Atlantico : La chanteuse Mennel, qui s'était faite connaître pour une reprise d'"Hallelujah" à The Voice  il y a une semaine a décidé d'abandonner l'émission. Elle avait été attaquée pour d'anciens tweets complotistes écrits pendant la période des attentats. Mais ce n'est pas tout : elle a aussi été conspuée par certains qui critiquaient sa "récupération" de la chanson de Cohen, le fait qu'elle porte un voile lors de l'émission ou même qu'elle chante un chant religieux musulman. Cette affaire ne concentre-t-elle pas l'impasse dans laquelle se trouve systématiquement jetée dans notre société quand il s'agit d'Islam et d'islamisme : identitaires d'un côté ceux qui refusent qu'on reproche quoi que se soit à la chanteuse parce qu'elle fait partie d'une minorité, et identitaires en face qui lui reprochent de faire partie de cette minorité ?

Jean-Philippe Moinet : Cette affaire Mennel est révélateur d'une grande confusion, d'une tentative de retournement du problème grave et d'un symptôme, qui touche dangereusement un part non négligeable des jeunes: le complotisme, bras idéologique du djihadisme armé.

Le problème majeur est que cette jeune femme, aux atours doux et charmants, a été le vecteur actif de thèses les plus obscures qui font dire que les attentats meurtriers que notre pays a subi, comme la terrible attaque de Nice - dont il faut rappeler qu'elle a fait aussi de nombreuses victimes musulmanes - a été une fabrication, un montage fait pour incriminer les musulmans. Cette négation de l'histoire actuelle est une violence, qui frappe une seconde fois toutes les victimes de l'islamisme armé, cette négation, aveugle et insupportable, relève d'une idéologie qui colporte abondamment, auprès de jeunes crédules ou en perte de repères, des thèses qui, au-delà de toutes les vérités les plus tragiques, font croire à un grand "complot", ourdi par des forces occultes, notamment de l'argent: l'antisémitisme virulent est au coeur de cette idéologie, qui parcourt à la fois l'extrême droite et l'ultra-gauche, une partie de la communauté musulmane, encore minoritaire mais importante chez les jeunes, étant perméable à ces thèses nauséabondes, certains devenant militant actif d'une idéologie qui peut tuer. Là est évidemment le problème. 

Ensuite, que des mises en cause xénophobes, honteuses et déplacées, se soient déchaînées par ailleurs sur les réseaux est un fait. Mais on ne peut réduire cette affaire Mennel à un problème de voile, que personne de sérieux lui a reproché de porter. Une série de militantes du différentialisme culturel ont tenté de renverser l'accusation de départ, fondée sur le simple constat de propos délirants et complotistes  - comme "les vrais terroristes, c'est le gouvernement" - pour faire de la chanteuse une victime de "l'islamophobie". 

Les identitaires, je préfère dire les extrémistes politiques (de droite) comme les extrémistes religieux (islamistes), entre il est vrai dans une logique infernale d'alliance objective. Ils essaient de prospérer en s'appuyant les uns sur les autres dans une commune radicalité belliqueuse. Il faut savoir enrayer ce cycle et dénoncer cette alliance des apparents contraires, qui se confortent. 

Philippe d’Iribarne : Effectivement, le clivage de la société française autour de l’islam ne fait que se radicaliser. Il faut bien trouver une explication à la multiplicité des événements douloureux, ou du moins problématiques, associés à l’islam, depuis le terrorisme islamique jusqu’au développement d’une forme de contresociété islamique vouée au respect du halal, en passant par les diverses affaires du voile, la question de la burqa, les revendications religieuses dans les entreprises, etc. Deux grandes voies d’explication s’affrontent. Pour l’une, c’est l’islam qui est en cause en alimentant la haine de l’Occident, et pour l’autre c’est une société islamophobe en rejetant les musulmans, ceux-ci ne faisant que réagir à la manière dont ils sont traités. Tous les événements concernant l’islam, dont celui que vous évoquez, prennent sens dans cette opposition. Celle-ci est d’autant plus prégnante que les tenants de chacune des explications tendent à diaboliser ceux qui ont la vision contraire. Pour les uns, face à l’emprise de l’islam conquérant, les résistants s’opposent aux collaborateurs, vus comme idiots utiles de l’islamisme. Pour les autres, face à l’avènement d’une société ouverte au sein de la quelle les religions et les cultures se rencontrent dans l’harmonie, les hommes de progrès s’opposent aux nostalgiques d’une société fermée avec tout ce que celle-ci a de nauséabond.

Comment le débat français en est il arrivé à un tel niveau de polarisation ? Quels ont été les moteurs de la disparition d'une voie "centrale" qui peine à se faire entendre ? 

Jean-Philippe Moinet : La polarisation, réelle et très visible sur les réseaux sociaux, à l'occasion d'une affaire comme celle-ci, n'est pas forcément profonde à l'échelle du pays quand on prend du recul. Bien sûr, la sensibilité liée aux attentats de 2015 et de 2016 aiguise encore (et naturellement) les passions, le FN a d'ailleurs tenté d'exploiter les peurs et d'instrumentaliser le "sentiment d'insécurité", d'où sa progression jusqu'à l'élection présidentielle de 2017 et le coup d'arrêt du débat télévisé entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron. 

La voie "centrale" que vous évoquez est tout simplement celle de la République et de l'Etat de droit, où aucune distinction entre citoyens ne peut être fondée en France sur une base ethnique ou religieuse, l'article 1er de notre Constitution. N'en déplaise à ceux qui, idéologiquement ou obsessionnellement, cherchent à focaliser les débats et l'action publiques sur les appartenances religieuses ou les origines ethniques, une vaste majorité de citoyens aspirent non seulement à la paix civile mais à un droit à l'indifférence. 

Philippe D'Iribarne : Pendant longtemps, cette polarisation n’avait pas lieu d’être. L’islam était vu comme l’héritage d’un monde traditionnel que les musulmans arrivant en Europe continuaient provisoirement à cultiver avant qu’il ne se dissolve dans une société sécularisée. Et puis on pouvait avoir l’impression, à voir ce qui se passait dans des pays musulmans comme la Tunisie de Bourguiba, l’Egypte de Nasser ou la Turquie kémaliste, que l’islam était marqué par une forme de modernisation progressive le prédisposant à s’intégrer sans heurts dans les sociétés occidentales. Le paysage a bien changé. L’avènement de la République islamique en Iran, l’influence du wahhabisme porté par les pétrodollars et internet, la réislamisation de la Turquie, le développement du terrorisme islamique, font qu’il n’est plus question d’un effacement progressif de la question de l’islam. Au sein des pays musulmans, la fracture entre ceux qui s’attachent à une vision dure de l’islam et ceux qui croient aux valeurs démocratiques inspirées par l’Occident donne l’impression de se radicaliser. Il apparaît de plus en plus qu’il faut choisir son camp, qu’il n’y a pas de place pour les tièdes. 

Quelles sont les pistes pour sortir du double débat identitaire quand il s'agit d'Islam ?

Jean-Philippe Moinet : La question de l'Islam n'est pas forcément explosive, il faut en parler et savoir en parler posément en la distinguant du problème de l'islamisme. Rappeler que les musulmans et musulmanes sont les premières victimes de l'islamisme radical. Les pistes sont dans le rappel, et la promotion active, de nos fondamentaux républicains et démocratiques. Souligner que la laïcité est une chance pour la France, qu'elle permet un espace de concorde par la primauté du principe de séparation des Eglises et de l'Etat, et du principe de neutralité de l'Etat, deux principes qui protègent les citoyens de toute emprise et permettent une coexistence entre ceux qui croient et ceux qui ne croient pas. Singularité française très précieuse.

Les dérives "identitaires", quelles qu'elles soient, qui cherchent à faire dominer des appartenances particulières, sont des pièges pour les citoyens et pour un pays comme le nôtre qui, pour son avenir, doit faire prévaloir les valeurs communes, doit valoriser ce qui rassemble sur ce qui divise. L'une des pistes à ouvrir sans relâche renvoie à la nécessaire promotion publique, qui commence à l'école, des principes fondateurs de la République, les fondamentaux de la loi civique commune ne pouvant pas être mis à mal par les théories de la domination religieuse ou ethnique. C'est à la fois aussi simple et aussi compliqué que cela. Compliqué par la diffusion de l'irrationnel dans l'espace public, qui peuvent fragiliser nos démocraties. C'est pourquoi la propagation des thèses complotistes est à prendre avec beaucoup de sérieux.

Philippe D'Iribarne : Pour sortir de cette opposition, il faudrait que triomphe enfin l’islam des Lumières dont l’avènement est promis depuis des décennies. Pour le moment on en paraît loin. Ce n’est pas que ceux qui ont conçu un tel islam aient manqué. Mais ils n’ont guère été suivis. Ainsi, à la fin de sa vie Mohamed Arkoun, un de leurs plus brillants représentants, se sentait massivement rejeté par ses coreligionnaires. D’après l’enquête sur les musulmans de France réalisée par l’Institut Montaigne,  ceux qui rejettent le monde occidental au nom de l’islam sont beaucoup plus nombreux parmi les jeunes générations que parmi leurs parents. Face à ce phénomène, je ne vois pas trop comment sortir de l’affrontement entre visions contraires de ce qui touche à l’islam. Celui-ci a plutôt tendance à se radicaliser ; songeons à l’affrontement récent entre Charlie hebdo et Médiapart. Cette question de l’islam nous met sans doute devant un choix majeur de société. Voulons nous qu’advienne une société ayant renoncé à tout particularisme ancré dans un héritage singulier, avec sa dimension culturelle et religieuse, ou voulons nous continuer à cultiver un tel héritage ? Je doute qu’il soit possible d’éluder indéfiniment ce choix en se contentant d’un compromis plus ou moins boiteux entre les deux conceptions. Un tel compromis paraît de moins en moins capable de fonder la paix sociale.  

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