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Mega accord de libre-échange entre l’UE et le Japon certes, mais rien à voir avec une opposition à Trump
©FRANCOIS WALSCHAERTS / POOL / AFP

Japanese connection

Européens et Japonais ont mis fin à un processus de négociation ayant commencé en 2013 et ont donc signé le JEFTA, accord de libre échange entre les deux zones. Un accord important mais à relativiser, surtout dans ses objectifs politiques.

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën est professeur émérite d'économie à l'Université PSL-Dauphine. Il est spécialiste d’économie internationale et a publié de nombreux ouvrages et articles sur la mondialisation. Il est également l'auteur d'un récit romancé (en trois tomes) autour de l'économiste J.M. Keynes : "Mr Keynes et les extravagants". Site : www.jean-marcsiroen.dauphine.fr

 

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Atlantico : L'Union européenne et le Japon ont signé l'un des plus importants accords de libre-échange au monde, couvrant près d'un tiers du PIB mondial et 600 millions de personnes. En l'état actuel, quels devraient être les principaux axes de cet accord ?

Jean-Marc Siroën : C'est un accord important mais à relativiser. Le Japon n'est que le septième partenaire de l'Union Européenne. Il représentait 3,7% de ses importations de biens et 3,2% de ses exportations. L'excédent européen dans les services fait plus que compenser son déficit dans les marchandises. Néanmoins, les enjeux sont relativement plus importants pour le Japon puisque l'UE est son deuxième partenaire.

Le Jefta (Japan-UE free trade agreement) est finalisé depuis un an mais officiellement signé à Tokyo ce mardi. On en connait donc précisément le contenu, très classique dans sa forme et dans son contenu. Il ne se limite ni aux droits de douane qui doivent être progressivement abaissés et pour la plupart, supprimés à terme, ni aux barrières non tarifaires traditionnelles. Il inclut aussi des dispositions concernant, notamment, les marchés publics, la concurrence, la propriété intellectuelle, la protection des données, le développement durable. Le seul chapitre vraiment nouveau est celui qui concerne la gouvernance d'entreprise (transparence, informations des actionnaires, etc.). La Commission préfère utiliser le terme d'accord de partenariat économique que celui d'accord de la "nouvelle génération" privilégié jusque-là. En effet, contrairement à l'accord entre la Canada et l'UE (CETA) on n'y trouve pas de chapitre sur les investissements et donc sur le règlement des différends États-investisseurs. Ce point avait été alors non seulement âprement discuté mais, puisque la question du règlement des différends relève de la "compétence exclusive" des États, il imposait aussi une ratification non seulement par le Conseil et le Parlement européens, mais aussi par tous les états membres ce qui rend difficile sinon improbable la ratification du CETA (le gouvernement italien s'est récemment prononcé contre). Mais même si l'accord avec le Japon, en excluant l'investissement, permet une ratification limitée aux seules instances européennes, sa ratification n'est pas certaine. Par ailleurs, un traité spécifiquement dédié à la protection des investissements est en cours de négociation. S'il devait aboutir il aurait cette fois à être ratifié par chaque pays membre.  

Dans les négociations, l'Union européenne a particulièrement défendu l'ouverture du marché japonais aux produits alimentaires très protégés par des droits de douane élevés ou des barrières non tarifaires lourdes (viande bovine ou porcine, fromages, vins, produits transformés) et le respect des indications géographiques (comme le Roquefort) pour 200 produits. Si certains produits industriels européens bénéficieront d'une baisse progressive des tarifs (comme les cosmétiques, certains produits chimiques, l'habillement, le cuir) le Japon, quant à lui, a assez logiquement privilégié ses produits industriels traditionnels comme les automobiles et les produits électroniques. Cette ouverture du marché européen qui, pour l'instant, n'a pas suscité beaucoup de remous, montre à quel point les relations commerciales ont changé depuis vingt-cinq ans. Dans les années 1980 et 1990 la France bloquait le dédouanement des magnétoscopes japonais et l'Europe (et les Etats-Unis…) imposait au Japon des accords "volontaires" de limitation des exportations. Depuis, les magnétoscopes ont disparu, Renault s'est allié avec Nissan et Mitsubishi et Toyota s'est installé à Valenciennes et l'Europe s'apprête à ouvrir son marché aux automobiles japonaises sans provoquer la fureur des constructeurs….

Quel pourrait-en être les aspects bénéfiques pour l'UE ? Qu'est ce que l’histoire nous apprend sur l’impact de ce type d’accord ?

Les études empiriques montrent que, comme attendu, les traités de libre-échange accroissent les échanges entre les pays participants, même si les résultats sont très inégaux en fonction des pays et du contenu des traités. Mais les effets estimés sur le revenu -le PIB- et donc sur l'emploi, sont généralement très modérés. La commission européenne attend une augmentation de 13 milliards d'euros d'exportations européennes vers le Japon et un gain de PIB de 0,14% seulement et, encore en …. 2035 quand toutes les dispositions de l'accord auront toutes été mises en place. En réalité, on reste dans la marge d'erreur. Si globalement, les gains économiques sont très incertains, quelques secteurs pourraient en bénéficier plus significativement, notamment, dans l'Union européenne, l'industrie agro-alimentaire et l'industrie chimique ou para-chimique, mais ce pourrait être au détriment d'autres secteurs industriels. Toutefois, et ce point est souvent négligé, les effets d'une baisse tarifaire sont obérés par la nécessité de respecter des règles d'origine contraignantes (par exemple, dans le Jefta, un maximum de 45% de valeur d'origine étrangère dans la valeur des automobiles exportées) impliquant le recours à des biens intermédiaires produits dans la zone au détriment d'approvisionnements meilleurs marché et la nécessité d'engager des coûts administratifs non négligeables pour bénéficier de l'exonération des droits de douane.

Le ministre japonais de la Revitalisation économique, a déclaré : «A l'heure où les mesures protectionnistes prennent de l'ampleur dans le monde, la signature aujourd'hui de l'accord Japon-UE montrera au monde notre volonté politique inébranlable de promouvoir le libre-échange.". Quelle est la valeur de cette tendance à s'opposer aux Etats Unis par des accords de libre échange ? N'est-il pas illusoire de croire que ce genre d'accords suffiront à faire plier la tendance protectionniste de Donald Trump ?

Présenter l'accord avec le Japon comme un acte de résistance ou de riposte face aux mesures protectionnistes de Donald Trump, relève d'une stratégie de communication opportuniste qui ne résiste pas à l'analyse : l'accord a commencé à être négocié en 2013 et les principaux points étaient acquis en juillet 2017, avant donc le déclenchement de la "guerre commerciale". 

L'accord avec le Japon peut certes contribuer à sécuriser le commerce européen dans une période de forte incertitude, mais rien n'est jamais acquis. L'accord de libre-échange entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique -l'ALENA- n'a pas empêché les Etats-Unis de prendre des mesures protectionnistes contre ses partenaires.

L'accord avec le Japon est plutôt à replacer dans le contexte des années 2000 de crise du multilatéralisme et par l'impossible aboutissement du cycle de négociation dit de Doha, mené sous l'égide de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC).  Pour contourner cette impasse, les anciennes grandes puissances commerciales -USA, UE, Japon, Canada - avaient alors choisi de négocier entre elles des accords commerciaux qui, pris dans leur globalité, auraient couvert les trois quarts du commerce mondial permettant ainsi d'établir de nouvelles règles du jeu auxquelles les autres pays, y compris la Chine, devraient bien se rallier. Le retrait américain du traité transpacifique pourtant signé par le Président Obama, l'abandon de la négociation transatlantique entre l'UE et les Etats-Unis et l'avenir incertain du CETA montrent l'échec de cette stratégie. L'accord entre l'UE et le Japon sera peut-être le seul rescapé de cette stratégie ambitieuse et, à dire vrai, très mal construite. 

L'échec de cette alternative au multilatéralisme traditionnel a certes été précipitée par Donald Trump sans qu'il en soit vraiment responsable. Ce fiasco a seulement laissé un vide que le Président américain espère combler par un unilatéralisme agressif, fondé sur le rapport de force et appuyé par une stratégie de division des "partenaires" dont la première cible, la plus facilement atteignable, est l'Union Européenne. La seule alternative à cette stratégie destructrice, serait une restauration du multilatéralisme impliquant une réforme de l'OMC. Elle admettrait une ouverture à plusieurs vitesses et un élargissement de ses compétences aux thèmes introduits aujourd'hui dans les traités commerciaux. De ce point de vue, l'accord avec le Japon s'insère dans le cadre d'une stratégie commerciale aujourd'hui dépassée. Il ne contribue en rien à la réforme du système multilatéral et pourrait même contribuer à accélérer une dérive vers un "chacun pour soi" qui contredirait la volonté, pourtant affichée par la France et l'Union Européenne, de sauver le multilatéralisme en le réformant. 

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