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Marion Maréchal-Le Pen, l’islam et l’histoire de France : quand l’accusation de crétinisme sert de cache-misère à une défaite de la pensée
©Reuters

Ad hominem

Jack Lang a dénoncé mercredi le "crétinisme, l'ignorance crasse et le fanatisme" de Marion Maréchal-Le Pen, qui estime que les musulmans ne peuvent être Français "qu'à la condition seulement de se plier aux mœurs et au mode de vie" hérités de l'histoire du pays.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Les dernières déclarations de Marion Maréchal-Le Pen ne sont pas passées inaperçues. Lors de son dernier meeting  de campagne, à Toulon, le 1er décembre, elle a déclaré : « Qui n'a pas vibré au sacre de Reims et à la fête de la Fédération n'est pas vraiment français. Nous ne sommes pas une terre d'Islam, et si des Français peuvent être de confession musulmane, c'est à la condition seulement de se plier aux mœurs et au mode de vie que l'influence grecque, romaine, et seize siècles de chrétienté ont façonnés ». Et d’ajouter : « chez nous, on ne vit pas en djellaba, on ne vit pas en voile intégral et on n'impose pas des mosquées cathédrales ».

La réaction la plus vive est sans doute venue de Jack Lang, l’actuel président de l’Institut du monde arabe (IMA). Dans un communiqué, celui-ci a qualifié « d’ignobles » les propos de Marion Maréchal-Le Pen, considérant que de tels propos relèvent d’une « furie raciste et mortifère ». Selon lui, des poursuites devraient « être engagées contre une expression aussi manifestement raciste et xénophobe ».  

Si des raisons diplomatiques ont sans doute poussé le président de l’IMA à se manifester (l’Institut doit soigner ses relations avec les pays arabes), une telle réaction laisse quand même un certain malaise, et ce pour deux raisons. D’abord parce que Jack Lang ramène le débat sur le terrain du racisme alors que rien, dans la déclaration de Marion Maréchal-Le Pen, ne fait référence à la race ou à un quelconque déterminisme biologique, celle-ci se plaçant uniquement sur le terrain de la culture et de la religion.

Ensuite et surtout parce que la candidate du FN fait référence à la phrase célèbre du grand historien Marc Bloch, qui se trouve dans son livre L’étrange défaite, écrit quelques mois après la défaite de 1940 : « Il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l’histoire de France, ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération ».

Dans ce livre, Marc Bloch se livre à une critique féroce des élites d’avant-guerre, qu’il accuse d’avoir fait preuve de cécité face aux menaces grandissantes, et aussi d’avoir manqué de sens patriotique, notamment au moment du Front populaire car, dit-il, la bourgeoisie n’a alors pas su accepter les aspirations populaires (accusation qui résonne étrangement aujourd’hui). 

Jack Lang, à qui on peut faire crédit de connaître ce livre et cette citation, a choisi d’ignorer superbement l’un et l’autre. Dans son communiqué, il prend même soin de détacher les deux parties de la phrase de Marion Maréchal-Le Pen (comme d’ailleurs beaucoup de journaux, qui se sont contentés de citer la seule partie sur le sacre de Reims). Il fait le commentaire suivant : « Ramener l'histoire de France au seul sacre de Reims, qui certes mérite respect, témoigne d'un crétinisme, d'une ignorance crasse de l'histoire du pays et d'un fanatisme qui déshonore cette candidate. Invoquer abusivement la Fête de la Fédération est une escroquerie contraire à l'esprit de rassemblement des cultures de France que la Révolution française avait voulu célébrer ».

Cette présentation est malhonnête. Certes, on peut être en désaccord avec Marion Maréchal-Le Pen, mais il n’est pas sérieux de vouloir la déconsidérer en tronquant les termes de son argumentation. En procédant de cette façon, Jack Lang escamote la référence à Marc Bloch et esquive le débat de fond, à savoir : peut-on faire aujourd’hui l’économie d’une réflexion sur la nation française, à l’heure de la globalisation et de l’immigration de masse ? Existe-t-il une identité nationale, et que recouvre-t-elle exactement ? Quels sont ses contours et ses caractéristiques ? Bref, qu’est-ce qu’être français ? Les identités sont-elles interchangeables ? Et sont-elles même toujours compatibles entre elles ? 

Bien sûr, chacun peut admettre que les musulmans ont toute leur place dans la République. Mais toutes les pratiques de l’islam sont-elles compatibles avec la nation française ? Doit-on accepter sans autre forme de débat l’idée bien audacieuse selon laquelle l’islam, en tant que système de valeurs, trouve naturellement sa place dans l’identité nationale ? 

Dans son communiqué, Jack Lang soutient que la nation française « a été forgée et enrichie générations après générations par les affluents des multiples religions ». Cette affirmation reste à démontrer. Toutes les religions ont-elles contribué de la même façon à la construction nationale ? Quels ont été les apports de l’islam, non pas sous l’angle individuel, mais sous l’angle collectif et culturel ? Quel a été le rôle du Coran et du droit islamique ? Dans la société française actuelle, quelle part revient à l’islam dans les domaines du droit, de la culture, de la production artistique, des modes de vie ou de l’urbanisme ?

On aimerait bien avoir la réponse de Jack Lang, mais celui-ci, comme une bonne partie des élites, se garde bien d’entrer dans ce genre de débat. Or, qu’on le veuille ou non, la compatibilité entre la qualité de Français et certaines variantes de l’islam est posée. La polygamie a été interdite depuis 1993 après avoir été acceptée par la jurisprudence (arrêt Montcho du Conseil d’Etat, 1980). La répudiation, qui a été acceptée par les conventions bilatérales, a progressivement été  jugée contraire à l’ordre public. Plus encore : depuis les années 2000, la jurisprudence administrative a validé le principe suivant lequel certaines pratiques religieuses rendent impossibles l’accès à la nationalité française. C’est ainsi que, le 27 juin 2008, le Conseil d’Etat a accepté de ne pas accorder la nationalité française à une Marocaine de 32 ans, pourtant mariée à un Français et mère de trois enfants nés en France, et malgré sa bonne maitrise de la langue française, car cette femme, qui portait la burqa, a développé « une pratique radicale de sa religion » au point d’adopter « un comportement en société incompatible avec les valeurs essentielles de la communauté française, et notamment le principe d’égalité des sexes ». De même, dans une décision rendue le 27 novembre 2013, le Conseil d’Etat a entériné le refus du gouvernement d’attribuer la nationalité française par mariage à un homme de confession musulmane engagé dans un mouvement fondamentaliste (le Tabligh), même si celui-ci était marié depuis plus de 4 ans avec une française. Là encore, le Conseil d’Etat a mis en avant un « défaut d’assimilation » en constatant que « l'intéressé refuse d'accepter les valeurs essentielles de la société française et notamment l'égalité entre les hommes et les femmes »

Bref, si les musulmans ont toute leur place dans la société française, une question demeure : à quelles conditions et avec quelles limites ? Après avoir été longtemps étouffée, cette interrogation revient aujourd’hui en force. En tout état de cause, elle ne peut plus être écartée d’un revers de main, ou d’une assignation devant un tribunal, simplement parce qu’elle déplaît ou parce qu’elle est posée par quelqu’un que l’on n’aime pas. 

Il serait même pour le moins paradoxal qu’un débat aussi important soit fermé au moment où les pouvoirs publics expliquent que la société française est attaquée à cause de son mode de vie et de ses valeurs. Quel est ce mode de vie qui est attaqué ? Quelles sont ces valeurs qui sont aujourd’hui menacées parce qu’elles déplaisent manifestement à certains musulmans ? Une réponse toute prête, et bien commode, est généralement avancée : nos valeurs, ce sont la tolérance et l’ouverture aux autres. Certes, mais aujourd’hui, cette réponse ne suffit plus car on voit bien que tout n’est pas tolérable. Il revient donc aujourd’hui aux élites de s’attaquer sérieusement à ce chantier. Un point de départ possible pourrait être de relire Marc Bloch. Au fait, n’était-il pas question de le faire entrer au Panthéon, voici quelques années ? Ce serait déjà un bon début. 

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