Mariage homosexuel : le gouvernement voit-il sa part de responsabilité dans le pourrissement de la situation ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les députés ont achevé tôt vendredi matin l’examen du projet de loi autorisant le mariage homosexuel.
Les députés ont achevé tôt vendredi matin l’examen du projet de loi autorisant le mariage homosexuel.
©Reuters

Bigleux

L'aveuglement du gouvernement face la contestation contre le "Mariage pour tous" témoigne de son mépris, alors que la gauche est pourtant sensée faire preuve de tolérance face aux mouvements sociaux. Une irresponsabilité flagrante, renforcée par le refus de trouver un compromis honorable pour mettre fin à la crise.

 Koz

Koz

Koz est le pseudonyme d'Erwan Le Morhedec, avocat à la Cour. Il tient le blog koztoujours.fr depuis 2005, sur lequel il partage ses analyses sur l'actualité politique et religieuse

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Mois d’août 2012. Pour quelques raisons d’incompatibilité de tempérament, je n’assiste déjà plus aux réunions. Mais, dans le fond du jardin jurassien de mes beaux-parents, on m’appelle pour me dire en substance que la revendication qui devrait être mise en avant sera celle d’États Généraux de la Famille. Aux mois de septembre, octobre, novembre et encore décembre, la revendication majoritaire est bien celle d’États Généraux. Elle est celle d’un "grand débat".

Voilà comment a commencé ce mouvement que l’on dépeint aujourd’hui comme radical et violent. Par la demande d’un débat. Une demande qui aurait pu être accordée, mais qui a été refusée. Et l’on voit bien à l’œuvre une volonté d’imputer une violence aux opposants au projet de loi Taubira pour les décrédibiliser et achever de les ostraciser. Mais si l’on veut faire le compte de la violence, on ne trouvera aucune violence physique, aucune atteinte aux personnes et aucune atteinte aux biens imputable à la "Manif pour tous". Les modalités d’action retenues relèvent au contraire de la non-violence, selon des formes que la gauche n’avait jusque-là jamais condamnées : que l’on se souvienne de l’occupation de la Bastille par les Indignés, ou des tentes des Enfants de Don Quichotte.

Plus encore – est-ce risible ou scandaleux ? – la même majorité qui aujourd’hui s’époumone d’indignation à l’idée que l’on puisse partager un sandwich revendicatif à plusieurs dans les jardins du Luxembourg a voté dans le Palais-même qui abrite ce jardin un texte qui amnistie des délits passibles de cinq ans de prison commis sur une période de six ans ! Nous ne sommes plus dans le sandwich protestatif ou le sweat-shirt interpellatif, mais dans les destructions et les dégradations. Aujourd’hui, les mêmes voudraient faire culpabiliser ceux qui réservent des comités d’accueil trop bruyants aux ministres…

Alors non, nous ne sommes pas "en dictature", comme je l’ai lu et entendu. Le Jardin du Luxembourg dispose d’un règlement intérieur à la rédaction suffisamment large pour interdire un rassemblement politique même pacifique, une manifestation non autorisée n’est pas autorisée, et le vote à main levée au Sénat vendredi ne découle pas d’un déni de démocratie mais d’une bourde de ceux qui ont oublié d’exiger un scrutin public. Nous ne sommes pas dans une dictature mais nous sommes dans un usage autoritaire et méprisant de la démocratie. Lorsque le pouvoir a le choix des outils, il choisit les plus durs. Il doit alors assumer sa part dans la colère actuelle. Toute sa part. Ainsi que dans la résolution du conflit.

L’exécutif peut d’autant moins s’en exonérer que la gauche est experte en conflits sociaux. Elle les a même théorisés. Elle en connaît les moindres ressorts, de la difficulté à contrôler les plus radicaux à la nécessité de se préserver des interlocuteurs responsables et représentatifs (au besoin même parfois en jouant les uns contre les autres). Malgré cette expertise en conflits sociaux, le pouvoir joue le pourrissement comme s’il voulait envenimer la contestation. Je ne peux m’empêcher de penser à Villepin, méprisant les syndicats, attirant à lui la mitraille pour prouver qu’il pouvait résister à la rue…

L’histoire de ce conflit est celle du mépris érigé en mot d’ordre. Ainsi la demande d’États Généraux a été écartée d’un revers de la main, au prétexte fallacieux que le sujet aurait été débattu pendant la campagne, ou que l’Assemblée serait le seul lieu du débat, alors qu’on multiplie par ailleurs les Commissions, États Généraux et autres Grenelle. François Hollande aurait pu se donner la peine de seulement préserver les apparences d’un dialogue. Il aurait même pu envisager une commission pour, au final, adopter peu ou prou les mêmes dispositions. La tonalité des mois derniers en aurait été changée. Mais, probablement conscient de son impuissance politique par ailleurs, le pouvoir a choisi l’épreuve de force sur ce sujet. Dans le même temps, les évêques français, de nature habituellement bonhomme, ont été si mal traités par Christiane Taubira qu’ils ont fait connaître leur mécontentement.

Les débats en commission des lois ont été une autre occasion de traiter les opposants par le mépris. Rappelons-nous que, selon le rapporteur, ils n’avaient aucun argument, et ils ne comportaient aucun juriste, ce qui justifiait de n’auditionner que des juristes favorables au projet de loi… avant qu’Alain Tourret aille jusqu’à mettre au défi Mgr Vingt-Trois de mettre ses fidèles dans la rue "s’il en reste"1. Après ces débats, les opposants rassemblent le nombre jamais égalé de 700 000 signatures (version papier) pour saisir le Conseil économique et social : il était certes évident que cette saisine ne pouvait aboutir comme prétendu à une suspension du processus législatif mais il n’était absolument pas juridiquement incontournable pour le CESE de déclarer – après consultation des services du Premier Ministre – la saisine irrecevable.

La manifestation du 24 mars a été si grossièrement sous-évaluée (c’est le revers du mépris) que les forces de l’ordre ont été totalement dépassées et ont reçu l’ordre de faire usage de gaz lacrymogène sans aucune considération pour le public auquel elles avaient affaire. On peut encore s’étonner de leur usage si généreux dans ce que certains décrivent comme une "manifestation de serre-tête et jupes plissées". A l’issue de cette manifestation, plus importante encore que la première alors que tout le monde tablait sur une démobilisation, personne au pouvoir n’a accepté de recevoir les responsables de la "Manif pour tous". Pas le Président, pas le Premier Ministre, pas la ministre de la Justice, ni les ministres déléguées aux Affaires sociales, ni même un secrétaire d’État, un conseiller ministériel, ne serait-ce qu’un huissier. Le concierge ? Et aujourd’hui encore, le traitement de la contestation par le pouvoir interpelle : 67 manifestants en garde à vue, alors que les "campeurs" étaient pacifiques, et que la place Edouard Herriot en a vu d’autres, sans que la police n’intervienne, du maire de Sevran aux harkis restés là pendant plus de 250 jours.

Dans ce contexte, la décision d’accélérer le calendrier législatif est des plus étranges. Quelle est cette analyse qui a pu conduire le pouvoir à conclure qu’il fallait remettre un coup de pression ? Depuis l’annonce de ce projet de loi, je l’ai dit ailleurs, les opposants sont traités comme des délinquants de la pensée. On s’efforce de les dépeindre comme mus par la haine. Oser affirmer cette parole qui leur semble de bon sens, à savoir qu’un enfant a un besoin d’un père et d’une mère, les constitue homophobes – ce qui fait désormais 55% de délinquants en France2. Ces gens-là, on ne les écoute pas : c’est un devoir de les mépriser. Comme s’il s’agissait de racistes ou de négationnistes, les écouter confinerait à la complicité. Et ces gens-là regardent ce traitement avec perplexité et incompréhension. Chacune des rebuffades du pouvoir ne fait qu’accroître cette incompréhension, en même temps que la recherche du moyen qui permettrait enfin de se faire entendre. Par sa faute, le pouvoir a ainsi additionné les mécontentements : à l’opposition au projet de loi s’est ajoutée la protestation contre son traitement.

On dit qu’ »il faut savoir terminer une grève ». Pour y parvenir, il n’est pas rare que le pouvoir, patronal ou politique, offre au moins une porte de sortie. Il ne serait pas déraisonnable que François Hollande y songe enfin.

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