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Manger des œufs, mauvais pour le coeur ? Attention aux raccourcis et fausses pistes
©Reuters

Alimentation

L'obsession des épidémiologistes à propos des œufs a une cause: il contient du cholestérol. C’est pourtant sans importance pour le coeur.

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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Les patients, les lecteurs de la presse, ceux et celles qui vont chercher des informations plus  techniques dans la littérature scientifique, les médecins eux mêmes n'y comprennent plus  rien : pourquoi l'oeuf est il l'objet d'une telle obsession de la part des épidémiologistes depuis  au moins la fin de la deuxième guerre mondiale et comment se fait il que finalement il semble qu’on ne soit certain de rien puisque les avis divergent ? En effet il ne se passe pas  une année sans qu'une étude, c'est en tout cas le terme utilisé maintenant par la presse  pour toutes sortes de publications, nous allons y revenir, soit commentée car elle indique  selon ses auteurs soit l’absence de risque soit un surrisque ou au contraire un risque moindre lié à la consommation d’oeuf. Et quand le JAMA publie un nouvel article (https://jamanetwork.com/journals/jama/article-abstract/2728487​) est ce que cela change la  donne ? Après de nombreuses études rassurant les consommateurs sur le fait que les oeufs  sont bons pour la santé, ce nouvel article associe un risque croissant d’accident  cardiovasculaire à une consommation croissante d’oeufs. Faut il en faire un conseil  nutritionnel ?

Quand on parle d’une “étude” il faut distinguer  

Les études épidémiologiques observationnelles (h​ttp://enghusen.dk/whyEpi.pdf​)     

Ces études sont des recensements de certaines caractéristiques de l'alimentation à partir de  questionnaires alimentaires dans une population de départ. L’observation de la population  identifiée sur un certain laps de temps conduit à la constatation d’un certain nombre  d'événements (dans le cas qui nous occupe, les évènements cardiovasculaires graves, les  morts d’origine cardiovasculaire et les morts de toutes causes).  Par des tests statistiques on  évalue à la fin du temps d’observation l’association entre ces événements et la  consommation de certains aliments. Ces études disons le d’emblée sont très approximatives  d'abord parce que les questionnaires alimentaires sont très imprécis. Les plus imprécis étant  ceux qui font appel à la mémoire du sujet. Les plus précis étant ceux qui ont un  recensement analytique en temps réel de la consommation. Autant dire que les premiers  sont les plus fréquents surtout dans les études anciennes. De surcroît une association peut  être fortuite surtout quand le surrisque de l'événement en question est faible. Si par exemple  ceux qui mangent de la viande transformée ont un surrisque de faire un cancer colorectal de  20%, cela ne veut rien dire même si c’est le % qui est en gros titre dans la presse.  Pourquoi? Le risque relatif (le sur risque ou le sous risque) est calculé par rapport à une  population de référence. Dans le cas des études sur l’alimentation il s’agit le plus souvent du  groupe qui consomme le moins tel aliment car il n’est pas possible de constituer un groupe  significatif et comparable qui par exemple n’a mangé aucune viande transformée, ce qui est  le cas quand on compare un groupe avec et sans un médicament. Si le risque absolu (le  nombre decancer colorectaux) dans une population par an est faible, par exemple 1/100000,  c’est à dire un événement pour 100000 patients par an, un sur risque de 20% revient à  observer 1,2 évènements pour 100000 patients par an au lieu d’un par exemple. Le titre fait  peur mais la réalité est insignifiante. Si le risque absolu de cancer colorectal est de 40/100  000, une augmentation de 20% va entrainer une augmentation du nombre de cancers de 40  à 48/100 000, soit huit cas de plus par an dans une vile de 100 000 adultes. c’est important  pour ces personnes mais cela reste limité en santé publique. Alors bien sur le risque absolu  dont nous parlons est le risque moyen. Une personne ayant des antécédents familiaux de  cancer colorectal a un risque absolu supérieur à la moyenne. D’où l’absolue nécessité de  calculer un risque personnalisé nous y reviendrons.  Ensuite il y a toujours un niveau  d’incertitude associé à ces calculs de risque. On fixe habituellement  en médecine le risque  de se tromper à 5% ce qui est purement arbitraire et assez important, soulignons le au  passage. Si 5% des avions chutaient personne ne prendrait l’avion. C’est pourquoi les  études observationnelles ne permettent pas d’établir de causalité entre les faits observés et  au contraire peuvent conduire à des recommandations erronées.

Les études épidémiologiques interventionnelles et les essais cliniques contrôlés aléatoires

Ces études expérimentales sont basées sur l’intention de mesurer l’effet d’un agent introduit  dans l’expérience. Il peut bien sur s’agir d’un aliment. Elles commencent par un tirage au  sort de deux ou plusieurs groupes afin de comparer ensuite la survenue d’événements.  Plusieurs techniques permettent de diminuer les biais quand le double aveugle (essai où le  patient et les investigateurs n’ont pas connaissance de l’intervention) n’est pas possible. Il  est en effet difficile de cacher les oeufs et leur nombre aux participants! Ces études sont de  plus grande qualité, le nombre de participants nécessaire est plus faible et la durée  d’observation réduite. Mais surtout ces études interventionnelles sont les seules à poser de  solides bases de causalité entre les évènements observés et l’intervention contrôlée.

Les méta-analyses

La grande mode actuelle est de fusionner un groupe d’études observationnelles ou  Interventionnelles pour augmenter la taille de la population et ainsi mettre en évidence des  liens statistiques entre certains aliments et certains évènements qui auraient pu être  méconnus dans une population de plus petite taille. C’est bien sur pour l’essentiel un artifice.  Pourquoi? parce que les méta-analyses malgré tous les outils mathématiques de tri et de  pondération ne changent rien aux données de base. Si le questionnaire alimentaire est  extrêmement imprécis, si il n’a été renseigné qu’une fois alors que l’étude dure plusieurs  années, si aucune vérification factuelle n’a été effectuée par un tiers, les données restent  totalement biaisées qu’elles soient dans une étude ou une méta-analyse. Les méta-analyses  ont un autre défaut en matière alimentaire par rapport par exemple à celles sur les  médicaments. Elles sont de fait plus hétérogènes. Les aliments ne sont pas des molécules  chimiquement pures mais une matrice vivante variable où des dizaines de milliers de  molécules et de corps chimiques sont intégrés. Si bien que les interactions avec les autres  aliments, le métabolisme, les gènes en fonction de l’origine des aliments, de leur  modification par cuisson ou autre et de l’équilibre calorique global est si complexe que de  multiples biais sont inévitables. Enfin les méta-analyses des études observationnelles sont  entachées du même risque de biais et de la même faiblesse à démontrer une cause.

Quel est le sens d’une étude sur la consommation d’oeufs?

Il faut le rappeler l’oeuf est un aliment riche de nombreux nutriments. Il contient en particulier  du cholestérol, c’est un fait universellement connu mais qui, en réalité, à peu d'importance.  Ce cholestérol appelé alimentaire n’a pas de relation prouvée avec le cholestérol du sang et  surtout avec les évènements cardiovasculaires. Cette croyance a été longtemps supposée,  par analogie avec la relation qui peut exister entre les particules du sang qui contiennent du  cholestérol et le risque coronarien mais elle n’a jamais été prouvée. L’idée que plus on  mange d’aliments contenant du cholestérol plus ce dernier va être élevé dans le sang est  fausse  (​https://www.atlantico.fr/decryptage/2271928/disparition-d-un-faux-ennemi-le-cholesterol-ali mentaire-guy-andre-pelouze​) . Pourquoi? Le point important est que le cholestérol sanguin  dépend de nombreux facteurs, notamment des gènes, de la façon dont chacun métabolise  le cholestérol dans son régime alimentaire et de l’excédent ou du déficit calorique. Le  cholestérol alimentaire représente en moyenne 20% du cholestérol contenu dans les  particules lipidiques du sang appelées LDL, VLDL ou HDL, particules que par un abus de  langage on appelle le mauvais ou le bon cholestérol. Le reste est fabriqué par nos cellules.  Ces particules lipidiques sont assemblées par le foie avec des triglycérides, un cholestérol  lié à un acide gras et des protéines tous synthétisés sur place. Leur nombre, leur trafic dans  l’organisme et leur devenir ne dépend pas du cholestérol alimentaire mais principalement de  la balance énergétique et des signaux métaboliques (croissance, activité physique,  grossesse, réparation, infection etc). Par exemple si vous ingérez plus de calories que vous  n’en dépensez vous mettez votre foie en situation de stocker les calories excédentaires  dans le tissu adipeux et il va le faire en envoyant des vaisseaux que sont ces particules  lipoprotéiques. Si vous êtes en excédent de calories et que de surcroît votre alimentation est  très riche en sucres le foie fera une synthèse accrue de triglycérides en assemblant du  glycérol venant des sucres et des acides gras pour envoyer des particules LDL petites et  denses vers les tissus. Ces particules ont le désavantage d’être très athérogènes (elles sont  fréquemment retrouvées oxydées dans les plaques d’athérome). Le cholestérol alimentaire  qui est sous la forme de cholestérol libre ou d'esters de cholestérol n’a pas d’effet significatif  sur ce processus. Simplement si vous mangez peu de cholestérol le foie compensera car il  est capable d’en synthétiser et à l’inverse se servira du cholestérol alimentaire s’il est  abondant.

Cette méta-analyse parue récemment  (​https://jamanetwork.com/journals/jama/article-abstract/2728487​) apporte-t-elle simplement une touche de bon sens?  

Dès 1999 Frank Hu avait publié une étude  (​http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/10217054​) sur le risque cardiovasculaire et la  consommation d’oeufs chez les professionnels de santé  

Cette étude avait bien montré que chez des professionnels de santé (médecins et  infirmières) la consommation d’oeufs n’est pas associée à un surrisque cardiovasculaire.  S’agissant de personnes ayant une bonne connaissance des aliments et surtout de la façon  de remplir les questionnaires les résultats n’avaient pas été contestés.  Par ailleurs dans ce  travail il n’avait pas été mis en évidence de surrisque pour ceux et celles qui consomment  plus d’un oeuf par jour. C’est à dire que même chez les médecins ou les infirmières qui  consomment le plus d’oeufs (par exemple deux à trois oeufs par jour en moyenne) il n’y avait  pas plus d’événements cardiovasculaires.

Les années suivantes la consommation d’oeufs est restée dans le radar des épidémiologistes  

Des dizaines d’études ont été consacrées au sujet et les plus récentes (dix dernières  années) sont analysées en détail dans l’article de NRW Geiker et collaborateurs, (https://www.nature.com/articles/ejcn2017153#ref4​). La conclusion ressemble à un langage  abscons:  “En conclusion, en faisant abstraction des recommandations diététiques de ces cinquante  dernières années opposées à la consommation de cholestérol alimentaire, les connaissances actuelles ne sont probablement pas suffisantes pour limiter la consommation  d'un aliment de base riche en nutriments, comme les oeufs. Vous pouvez consommer en  toute sécurité jusqu'à sept oeufs par semaine. Toutefois, chez les patients coronariens ou  diabétiques type 2, il faut insister sur un régime alimentaire prudent et un traitement médical  approprié.” Des preuves indirectes ont ensuite confirmé que manger des oeufs était sans effet sur  l’endothélium des vaisseaux (les cellules plates qui tapissent nos artères et nos veines)  (​https://nutritionj.biomedcentral.com/articles/10.1186/1475-2891-9-28​) ou bien que lors de la  consommation d’oeuf(s) c’était les particules lipoprotéiques HDL qui augmentaient  légèrement dans le sang ce qui est plutôt favorable. Toutefois la suspicion d’un effet  délétère de la consommation d’oeuf sur le risque cardio-vasculaire demeure pour une unique  raison, la théorie du cholestérol. Comme la viande, comme d’autres produits animaux les  oeufs contiennent du cholestérol mais l’analogie sur le plan scientifique s’arrête là.

Le résumé de la méta-analyse

En combinant les données de six études de cohortes (c’est à dire observationnelles), cette  méta-analyse révèle une augmentation de 6% du risque relatif d’accident cardiovasculaire  lorsque le nombre moyen d’oeufs consommés par jour augmente de moitié. Les auteurs ont  analysé les données portant sur 29 615 personnes suivies en moyenne pendant 17,5 ans.  Au début des différentes études, les participants ont rempli un questionnaire détaillant les  aliments qui composent leur alimentation. Leur régime alimentaire n’a pas été renseigné  ensuite par un nouveau questionnaire. Pendant la durée de l’étude, 5 400 accidents  cardiovasculaires, tels que définis dans les différents protocoles qui ont été rassemblées,  ont été observés, dont 2 088 accidents coronariens mortels et non mortels, 1 302 accidents  vasculaires cérébraux mortels et non mortels, 1 897 insuffisances cardiaques mortelles et  non fatales et 113 autres décès dus à une maladie cardiovasculaire.   L’analyse des données montre un lien faible entre la consommation d'oeufs telle que  rapportée au début de l'étude par le questionnaire et le risque de développer une maladie  cardiovasculaire. Plus les participants déclarent une consommation d'oeufs importantes plus  le risque augmente. Toutefois cette augmentation du risque est faible alors qu’elle est plus  grande si on prend en compte non plus la consommation d’oeufs mais la consommation de  cholestérol alimentaire (produits animaux, viande, abats, lait fromages et oeufs).

Sur le plan de la qualité des données l’étude est décevante.

Il faut le répéter comment accorder du crédit à un questionnaire alimentaire rempli au départ  par les participants à l’étude alors qu’elle s’étale sur 17 ans ce que les auteurs clament  comme un suivi très long? A quoi sert d’avoir un pool de patients de près de 30 000 adultes  pendant 17 ans en moyenne si les données essentielles c’est à dire la consommation  d'oeufs est très imprécise? De nombreux scientifiques n’ont pas manqué de critiquer cette  meta-analyse d’études observationnelles. Pour autant la seule once de factualité est dans le  quantum. Qu’est ce à dire? Il est probable que les gros mangeurs d’oeufs se soient déclarés  de manière fiable dans les questionnaires de départ. Ainsi le risque accru pour les gros  mangeurs d’oeufs est probablement la seule information intéressante. En retenant aussi que  que malgré les modèles multifactoriels utilisés ces gros mangeurs d’oeufs sont tout  simplement plus souvent de gros mangeurs tout court et en particulier de viandes  transformées et de produits riches en calories et que nous avons tous tendance à minimiser  justement la consommation de calories. Mais alors la signification est tout autre. Il faut donc  retenir que si on est en excès calorique, la consommation de beaucoup d’oeufs (au delà de  2 par jour) associée à des viandes transformées et probablement d’autres aliments de la  junk food, augmente le risque d’événements cardiovasculaires (infarctus du cerceau ou du  myocarde décès d’origine cardiovasculaire ou de tout autre cause). En réalité rien de très  nouveau.

Quel est le quantum de risque dans cette méta-analyse ?

Qu’il y ait une corrélation est une chose, pour autant il faut apprécier son importance c’est à  dire l’évolution du risque quand on augmente la consommation d’oeuf (Figure N°1). La  moyenne globale de consommation de cholestérol alimentaire et non pas d’oeufs était de  285 mg de cholestérol par jour. Mais la consommation moyenne globale était de 0,34 oeuf  par jour. C’est dire que l’oeuf compte pour environ 21% seulement du cholestérol consommé  en moyenne par jour chez ces américains. Dès lors il faut regarder ce qui se passe en  réalité chez l’immense majorité des adultes étudiés qui consomment des oeufs (Figure N°1).  Cette figure met en évidence l’absence de risque avant et y compris à 1 oeuf par jour mais  aussi le faible risque au delà. Dans les modèles multiparamétriques il apparait qu’un demi  oeuf de plus par jour (nous parlons toujours de moyenne) augmente le risque  cardiovasculaire de 6% et la mortalité toute cause de 8%. Ces augmentations sont très  faibles ce qui indépendamment de la significativité statistique indique que le risque de biais  est élevé. Mais surtout soulignons le à nouveau, bien que dans cette méta-analyse  l’association soit  significative entre aliments contenant du cholestérol et maladies  cardiovasculaires ou mortalité toutes causes, elle ne l'était plus après la prise en compte de  la consommation de viande rouge ou de viande transformée.      Consommer des oeufs ne nuit pas à votre coeur pour les raisons que j’ai développées. Nous  verrons dans un prochain article comment traduire ces données en conseils en gardant à  l’esprit que le risque cardiovasculaire est multifactoriel, que les différents facteurs ne pèsent  pas tous le même poids et que nous sommes tous différents.                                               
Figure N°1: Le risque relatif (ordonnée de droite) d’évènement cardiovasculaire (A) et de mortalité toutes causes  (B) en fonction de la consommation moyenne d’oeuf par jour. À noter que la répartition (ordonnée de gauche)  des participants montre que l’imense majorité des américains recrutés mangent 1 ou moins d’1 oeuf par jour en  moyenne.                       

Un oeuf de poule frais cru de taille L pèse environ 50g 

L’oeuf de poule cru frais contient 372 mg de cholestérol pour 100 grammes d’oeuf 

L’oeuf de poule cru frais de taille L contient 186 mg de cholestérol   

https://ndb.nal.usda.gov/ndb/foods/show/112        

Le Mexique et le Japon sont les pays où la consommation d’oeufs est la plus élevée au monde. En  moyenne, un mexicain mange 345 oeufs par an, un Japonais 325. Au Japon, les oeufs sont principalement  consommés crus. La demande d'oeufs au Japon est forte et la population de poules pondeuses est  presque égale à la population humaine de 120 millions d'habitants.         

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