Les patients, les lecteurs de la presse, ceux et celles qui vont chercher des informations plus techniques dans la littérature scientifique, les médecins eux mêmes n'y comprennent plus rien : pourquoi l'oeuf est il l'objet d'une telle obsession de la part des épidémiologistes depuis au moins la fin de la deuxième guerre mondiale et comment se fait il que finalement il semble qu’on ne soit certain de rien puisque les avis divergent ? En effet il ne se passe pas une année sans qu'une étude, c'est en tout cas le terme utilisé maintenant par la presse pour toutes sortes de publications, nous allons y revenir, soit commentée car elle indique selon ses auteurs soit l’absence de risque soit un surrisque ou au contraire un risque moindre lié à la consommation d’oeuf. Et quand le JAMA publie un nouvel article (https://jamanetwork.com/journals/jama/article-abstract/2728487) est ce que cela change la donne ? Après de nombreuses études rassurant les consommateurs sur le fait que les oeufs sont bons pour la santé, ce nouvel article associe un risque croissant d’accident cardiovasculaire à une consommation croissante d’oeufs. Faut il en faire un conseil nutritionnel ?
Quand on parle d’une “étude” il faut distinguer
Les études épidémiologiques observationnelles (http://enghusen.dk/whyEpi.pdf)
Ces études sont des recensements de certaines caractéristiques de l'alimentation à partir de questionnaires alimentaires dans une population de départ. L’observation de la population identifiée sur un certain laps de temps conduit à la constatation d’un certain nombre d'événements (dans le cas qui nous occupe, les évènements cardiovasculaires graves, les morts d’origine cardiovasculaire et les morts de toutes causes). Par des tests statistiques on évalue à la fin du temps d’observation l’association entre ces événements et la consommation de certains aliments. Ces études disons le d’emblée sont très approximatives d'abord parce que les questionnaires alimentaires sont très imprécis. Les plus imprécis étant ceux qui font appel à la mémoire du sujet. Les plus précis étant ceux qui ont un recensement analytique en temps réel de la consommation. Autant dire que les premiers sont les plus fréquents surtout dans les études anciennes. De surcroît une association peut être fortuite surtout quand le surrisque de l'événement en question est faible. Si par exemple ceux qui mangent de la viande transformée ont un surrisque de faire un cancer colorectal de 20%, cela ne veut rien dire même si c’est le % qui est en gros titre dans la presse. Pourquoi? Le risque relatif (le sur risque ou le sous risque) est calculé par rapport à une population de référence. Dans le cas des études sur l’alimentation il s’agit le plus souvent du groupe qui consomme le moins tel aliment car il n’est pas possible de constituer un groupe significatif et comparable qui par exemple n’a mangé aucune viande transformée, ce qui est le cas quand on compare un groupe avec et sans un médicament. Si le risque absolu (le nombre decancer colorectaux) dans une population par an est faible, par exemple 1/100000, c’est à dire un événement pour 100000 patients par an, un sur risque de 20% revient à observer 1,2 évènements pour 100000 patients par an au lieu d’un par exemple. Le titre fait peur mais la réalité est insignifiante. Si le risque absolu de cancer colorectal est de 40/100 000, une augmentation de 20% va entrainer une augmentation du nombre de cancers de 40 à 48/100 000, soit huit cas de plus par an dans une vile de 100 000 adultes. c’est important pour ces personnes mais cela reste limité en santé publique. Alors bien sur le risque absolu dont nous parlons est le risque moyen. Une personne ayant des antécédents familiaux de cancer colorectal a un risque absolu supérieur à la moyenne. D’où l’absolue nécessité de calculer un risque personnalisé nous y reviendrons. Ensuite il y a toujours un niveau d’incertitude associé à ces calculs de risque. On fixe habituellement en médecine le risque de se tromper à 5% ce qui est purement arbitraire et assez important, soulignons le au passage. Si 5% des avions chutaient personne ne prendrait l’avion. C’est pourquoi les études observationnelles ne permettent pas d’établir de causalité entre les faits observés et au contraire peuvent conduire à des recommandations erronées.
Les études épidémiologiques interventionnelles et les essais cliniques contrôlés aléatoires
Ces études expérimentales sont basées sur l’intention de mesurer l’effet d’un agent introduit dans l’expérience. Il peut bien sur s’agir d’un aliment. Elles commencent par un tirage au sort de deux ou plusieurs groupes afin de comparer ensuite la survenue d’événements. Plusieurs techniques permettent de diminuer les biais quand le double aveugle (essai où le patient et les investigateurs n’ont pas connaissance de l’intervention) n’est pas possible. Il est en effet difficile de cacher les oeufs et leur nombre aux participants! Ces études sont de plus grande qualité, le nombre de participants nécessaire est plus faible et la durée d’observation réduite. Mais surtout ces études interventionnelles sont les seules à poser de solides bases de causalité entre les évènements observés et l’intervention contrôlée.
Les méta-analyses
La grande mode actuelle est de fusionner un groupe d’études observationnelles ou Interventionnelles pour augmenter la taille de la population et ainsi mettre en évidence des liens statistiques entre certains aliments et certains évènements qui auraient pu être méconnus dans une population de plus petite taille. C’est bien sur pour l’essentiel un artifice. Pourquoi? parce que les méta-analyses malgré tous les outils mathématiques de tri et de pondération ne changent rien aux données de base. Si le questionnaire alimentaire est extrêmement imprécis, si il n’a été renseigné qu’une fois alors que l’étude dure plusieurs années, si aucune vérification factuelle n’a été effectuée par un tiers, les données restent totalement biaisées qu’elles soient dans une étude ou une méta-analyse. Les méta-analyses ont un autre défaut en matière alimentaire par rapport par exemple à celles sur les médicaments. Elles sont de fait plus hétérogènes. Les aliments ne sont pas des molécules chimiquement pures mais une matrice vivante variable où des dizaines de milliers de molécules et de corps chimiques sont intégrés. Si bien que les interactions avec les autres aliments, le métabolisme, les gènes en fonction de l’origine des aliments, de leur modification par cuisson ou autre et de l’équilibre calorique global est si complexe que de multiples biais sont inévitables. Enfin les méta-analyses des études observationnelles sont entachées du même risque de biais et de la même faiblesse à démontrer une cause.
Quel est le sens d’une étude sur la consommation d’oeufs?
Il faut le rappeler l’oeuf est un aliment riche de nombreux nutriments. Il contient en particulier du cholestérol, c’est un fait universellement connu mais qui, en réalité, à peu d'importance. Ce cholestérol appelé alimentaire n’a pas de relation prouvée avec le cholestérol du sang et surtout avec les évènements cardiovasculaires. Cette croyance a été longtemps supposée, par analogie avec la relation qui peut exister entre les particules du sang qui contiennent du cholestérol et le risque coronarien mais elle n’a jamais été prouvée. L’idée que plus on mange d’aliments contenant du cholestérol plus ce dernier va être élevé dans le sang est fausse (https://www.atlantico.fr/decryptage/2271928/disparition-d-un-faux-ennemi-le-cholesterol-ali mentaire-guy-andre-pelouze) . Pourquoi? Le point important est que le cholestérol sanguin dépend de nombreux facteurs, notamment des gènes, de la façon dont chacun métabolise le cholestérol dans son régime alimentaire et de l’excédent ou du déficit calorique. Le cholestérol alimentaire représente en moyenne 20% du cholestérol contenu dans les particules lipidiques du sang appelées LDL, VLDL ou HDL, particules que par un abus de langage on appelle le mauvais ou le bon cholestérol. Le reste est fabriqué par nos cellules. Ces particules lipidiques sont assemblées par le foie avec des triglycérides, un cholestérol lié à un acide gras et des protéines tous synthétisés sur place. Leur nombre, leur trafic dans l’organisme et leur devenir ne dépend pas du cholestérol alimentaire mais principalement de la balance énergétique et des signaux métaboliques (croissance, activité physique, grossesse, réparation, infection etc). Par exemple si vous ingérez plus de calories que vous n’en dépensez vous mettez votre foie en situation de stocker les calories excédentaires dans le tissu adipeux et il va le faire en envoyant des vaisseaux que sont ces particules lipoprotéiques. Si vous êtes en excédent de calories et que de surcroît votre alimentation est très riche en sucres le foie fera une synthèse accrue de triglycérides en assemblant du glycérol venant des sucres et des acides gras pour envoyer des particules LDL petites et denses vers les tissus. Ces particules ont le désavantage d’être très athérogènes (elles sont fréquemment retrouvées oxydées dans les plaques d’athérome). Le cholestérol alimentaire qui est sous la forme de cholestérol libre ou d'esters de cholestérol n’a pas d’effet significatif sur ce processus. Simplement si vous mangez peu de cholestérol le foie compensera car il est capable d’en synthétiser et à l’inverse se servira du cholestérol alimentaire s’il est abondant.
Cette méta-analyse parue récemment (https://jamanetwork.com/journals/jama/article-abstract/2728487) apporte-t-elle simplement une touche de bon sens?
Dès 1999 Frank Hu avait publié une étude (http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/10217054) sur le risque cardiovasculaire et la consommation d’oeufs chez les professionnels de santé
Cette étude avait bien montré que chez des professionnels de santé (médecins et infirmières) la consommation d’oeufs n’est pas associée à un surrisque cardiovasculaire. S’agissant de personnes ayant une bonne connaissance des aliments et surtout de la façon de remplir les questionnaires les résultats n’avaient pas été contestés. Par ailleurs dans ce travail il n’avait pas été mis en évidence de surrisque pour ceux et celles qui consomment plus d’un oeuf par jour. C’est à dire que même chez les médecins ou les infirmières qui consomment le plus d’oeufs (par exemple deux à trois oeufs par jour en moyenne) il n’y avait pas plus d’événements cardiovasculaires.
Les années suivantes la consommation d’oeufs est restée dans le radar des épidémiologistes
Des dizaines d’études ont été consacrées au sujet et les plus récentes (dix dernières années) sont analysées en détail dans l’article de NRW Geiker et collaborateurs, (https://www.nature.com/articles/ejcn2017153#ref4). La conclusion ressemble à un langage abscons: “En conclusion, en faisant abstraction des recommandations diététiques de ces cinquante dernières années opposées à la consommation de cholestérol alimentaire, les connaissances actuelles ne sont probablement pas suffisantes pour limiter la consommation d'un aliment de base riche en nutriments, comme les oeufs. Vous pouvez consommer en toute sécurité jusqu'à sept oeufs par semaine. Toutefois, chez les patients coronariens ou diabétiques type 2, il faut insister sur un régime alimentaire prudent et un traitement médical approprié.” Des preuves indirectes ont ensuite confirmé que manger des oeufs était sans effet sur l’endothélium des vaisseaux (les cellules plates qui tapissent nos artères et nos veines) (https://nutritionj.biomedcentral.com/articles/10.1186/1475-2891-9-28) ou bien que lors de la consommation d’oeuf(s) c’était les particules lipoprotéiques HDL qui augmentaient légèrement dans le sang ce qui est plutôt favorable. Toutefois la suspicion d’un effet délétère de la consommation d’oeuf sur le risque cardio-vasculaire demeure pour une unique raison, la théorie du cholestérol. Comme la viande, comme d’autres produits animaux les oeufs contiennent du cholestérol mais l’analogie sur le plan scientifique s’arrête là.
Le résumé de la méta-analyse
En combinant les données de six études de cohortes (c’est à dire observationnelles), cette méta-analyse révèle une augmentation de 6% du risque relatif d’accident cardiovasculaire lorsque le nombre moyen d’oeufs consommés par jour augmente de moitié. Les auteurs ont analysé les données portant sur 29 615 personnes suivies en moyenne pendant 17,5 ans. Au début des différentes études, les participants ont rempli un questionnaire détaillant les aliments qui composent leur alimentation. Leur régime alimentaire n’a pas été renseigné ensuite par un nouveau questionnaire. Pendant la durée de l’étude, 5 400 accidents cardiovasculaires, tels que définis dans les différents protocoles qui ont été rassemblées, ont été observés, dont 2 088 accidents coronariens mortels et non mortels, 1 302 accidents vasculaires cérébraux mortels et non mortels, 1 897 insuffisances cardiaques mortelles et non fatales et 113 autres décès dus à une maladie cardiovasculaire. L’analyse des données montre un lien faible entre la consommation d'oeufs telle que rapportée au début de l'étude par le questionnaire et le risque de développer une maladie cardiovasculaire. Plus les participants déclarent une consommation d'oeufs importantes plus le risque augmente. Toutefois cette augmentation du risque est faible alors qu’elle est plus grande si on prend en compte non plus la consommation d’oeufs mais la consommation de cholestérol alimentaire (produits animaux, viande, abats, lait fromages et oeufs).
Sur le plan de la qualité des données l’étude est décevante.
Il faut le répéter comment accorder du crédit à un questionnaire alimentaire rempli au départ par les participants à l’étude alors qu’elle s’étale sur 17 ans ce que les auteurs clament comme un suivi très long? A quoi sert d’avoir un pool de patients de près de 30 000 adultes pendant 17 ans en moyenne si les données essentielles c’est à dire la consommation d'oeufs est très imprécise? De nombreux scientifiques n’ont pas manqué de critiquer cette meta-analyse d’études observationnelles. Pour autant la seule once de factualité est dans le quantum. Qu’est ce à dire? Il est probable que les gros mangeurs d’oeufs se soient déclarés de manière fiable dans les questionnaires de départ. Ainsi le risque accru pour les gros mangeurs d’oeufs est probablement la seule information intéressante. En retenant aussi que que malgré les modèles multifactoriels utilisés ces gros mangeurs d’oeufs sont tout simplement plus souvent de gros mangeurs tout court et en particulier de viandes transformées et de produits riches en calories et que nous avons tous tendance à minimiser justement la consommation de calories. Mais alors la signification est tout autre. Il faut donc retenir que si on est en excès calorique, la consommation de beaucoup d’oeufs (au delà de 2 par jour) associée à des viandes transformées et probablement d’autres aliments de la junk food, augmente le risque d’événements cardiovasculaires (infarctus du cerceau ou du myocarde décès d’origine cardiovasculaire ou de tout autre cause). En réalité rien de très nouveau.
Quel est le quantum de risque dans cette méta-analyse ?
Qu’il y ait une corrélation est une chose, pour autant il faut apprécier son importance c’est à dire l’évolution du risque quand on augmente la consommation d’oeuf (Figure N°1). La moyenne globale de consommation de cholestérol alimentaire et non pas d’oeufs était de 285 mg de cholestérol par jour. Mais la consommation moyenne globale était de 0,34 oeuf par jour. C’est dire que l’oeuf compte pour environ 21% seulement du cholestérol consommé en moyenne par jour chez ces américains. Dès lors il faut regarder ce qui se passe en réalité chez l’immense majorité des adultes étudiés qui consomment des oeufs (Figure N°1). Cette figure met en évidence l’absence de risque avant et y compris à 1 oeuf par jour mais aussi le faible risque au delà. Dans les modèles multiparamétriques il apparait qu’un demi oeuf de plus par jour (nous parlons toujours de moyenne) augmente le risque cardiovasculaire de 6% et la mortalité toute cause de 8%. Ces augmentations sont très faibles ce qui indépendamment de la significativité statistique indique que le risque de biais est élevé. Mais surtout soulignons le à nouveau, bien que dans cette méta-analyse l’association soit significative entre aliments contenant du cholestérol et maladies cardiovasculaires ou mortalité toutes causes, elle ne l'était plus après la prise en compte de la consommation de viande rouge ou de viande transformée. Consommer des oeufs ne nuit pas à votre coeur pour les raisons que j’ai développées. Nous verrons dans un prochain article comment traduire ces données en conseils en gardant à l’esprit que le risque cardiovasculaire est multifactoriel, que les différents facteurs ne pèsent pas tous le même poids et que nous sommes tous différents.
Figure N°1: Le risque relatif (ordonnée de droite) d’évènement cardiovasculaire (A) et de mortalité toutes causes (B) en fonction de la consommation moyenne d’oeuf par jour. À noter que la répartition (ordonnée de gauche) des participants montre que l’imense majorité des américains recrutés mangent 1 ou moins d’1 oeuf par jour en moyenne.
Un oeuf de poule frais cru de taille L pèse environ 50g
L’oeuf de poule cru frais contient 372 mg de cholestérol pour 100 grammes d’oeuf
L’oeuf de poule cru frais de taille L contient 186 mg de cholestérol
https://ndb.nal.usda.gov/ndb/foods/show/112
Le Mexique et le Japon sont les pays où la consommation d’oeufs est la plus élevée au monde. En moyenne, un mexicain mange 345 oeufs par an, un Japonais 325. Au Japon, les oeufs sont principalement consommés crus. La demande d'oeufs au Japon est forte et la population de poules pondeuses est presque égale à la population humaine de 120 millions d'habitants.
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