Mais qui a raison sur le nombre d’emplois non pourvus en France ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le plein emploi est-il un objectif atteignable en France ?
Le plein emploi est-il un objectif atteignable en France ?
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Réforme de l'assurance chômage

Alors que l'Assemblée nationale entame l'examen de la réforme de l'assurance chômage, des batailles de chiffres s'annoncent dans l'hémicycle. Si l’INSEE publie ses chiffres, d’autres acteurs, comme les responsables de fédérations professionnelles ou les responsables de La France Insoumise, ont chacun leur version des choses.

Gilbert Cette

Gilbert Cette

Gilbert Cette est professeur d’économie à NEOMA Business School, co-auteur notamment avec Jacques Barthélémy de Travail et changement technologique - De la civilisation de l’usine à celle du numérique (Editions Odile Jacob, 2021). Son dernier livre s'intitule Travailleur (mais) pauvre (Ed. DeBoeck, à paraître en février 2024).

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Atlantico : Le député Nupes et sociologue du travail Hadrien Clouet a estimé dans Médiapart que « Les chiffres d’emplois non pourvus sont une invention totale ». Dans quelle mesure a-t-il raison, ou tort ?

Gilbert Cette : Il a tort. Il existe deux types d’indicateurs sur la question. Tout d’abord, les difficultés de recrutement, mesurées par enquête par l’INSEE, dans le cadre d’une enquête européenne. Et il y a aussi les offres d’emplois non satisfaites mesurées par Pôle Emploi et qui sont rapportées au total de l’emploi plus les offres d’emplois non satisfaites. Chacun de ces deux indicateurs a évidemment des forces et des faiblesses, et il ne faut pas leur faire dire ce qu’ils ne disent pas. Néanmoins, ils indiquent clairement que les firmes rencontrent actuellement des difficultés de recrutement inusuelles. Evidemment, ces difficultés de recrutement correspondent à une réalité très diverse. Les difficultés de recrutement déclarées à un instant T peuvent s’étendre sur une semaine, sur un mois ou bien plus longtemps. Et une entreprise peut témoigner de telles difficultés pour un poste comme pour 1000 sans cela soit différencié. Malgré tout, dans les trois grands secteurs économiques que sont la construction, les services et l’industrie, ces difficultés de recrutement déclarées ont fortement augmenté et sont historiquement très élevées. Elles suivent la même dynamique que les offres d’emplois non satisfaites pourtant calculées via une tout autre source. Cela témoigne de difficultés qui apparaissent paradoxales dans un pays comme la France où le chômage est encore élevé. Que les Pays-Bas où l’Allemagne connaissent de fortes difficultés de recrutement, avec un chômage à 3-3,5%, cela apparait logique. En France, nous le taux de chômage est encore de 7,4%. Connaître des difficultés de recrutement à ce stade signifie que le marché du travail fonctionne mal.

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Dans quelle mesure y-a-t-il malgré tout une forme d’utilisation politique de ces questions d’emplois non pourvus ?

Poser les choses en ces termes est stupéfiant. Lorsque l’on dispose de thermomètres qui mesurent des tensions, il est logique de réagir en fonction des indications ainsi obtenues. Les politiques ont évidemment raison de s’emparer de ces chiffres, qui doivent être considérés avec d’autres chiffres pour élaborer des politiques économiques adaptées.

Y-a-t-il un effet saisonnier du discours sur les emplois non pourvus ?

Dans la période que nous connaissons, l’attention ne peut évidemment se porter uniquement sur ce type d’indicateur. Mais c’est une bonne chose d’y être attentif. Nous sommes structurellement en chômage massif avec de fortes difficultés de recrutement, c’est paradoxal et cela doit être pris en compte.

A quel point la disparité selon les secteurs justifierait-elle une approche plus sectorielle des emplois non pourvus plutôt qu’une approche globale ?

Il faut bien sûr aller au-delà de la simple observation des difficultés de recrutement et porter également une attention à la nature et aux raisons de ces difficultés. La DARES a par exemple travaillé ce sujet et montré qu’il y a deux grands types de difficultés de recrutement. Le premier type de difficultés de recrutement correspond à des postes qualifiés pour lesquels les offreurs de travail sont rares par rapport aux emplois offerts. Cela traduit une insuffisance de certaines qualifications là où les entreprises en ont besoin et au moment où elles en ont besoin. Cela recouvre un problème de formation et aussi parfois de mobilité. L’ensemble des acteurs est alors concerné, autrement dit l’Etat, les collectivités locales mais aussi les partenaires sociaux. L’autre type de difficultés correspond à des postes peu qualifiés. C’est par exemple le cas pour de nombreux postes dans les hôtels café restaurants (HCR), dans la construction, etc. Là, c’est un problème salarial mais aussi souvent de conditions de travail, et plus globalement d’attractivité des postes. Il revient alors aux partenaires sociaux de trouver les modalités d’un relèvement de l’attractivité de ces emplois. C’est ce qui est en train de se faire actuellement dans divers activités, comme les HCR. L’augmentation de l’attractivité n’est pas qu’un problème salarial, la globalité des conditions de travail est aussi en jeu.

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Dans quelle mesure mettons-nous, derrière la notion d’emplois non pourvus, des problématiques qui n’ont pas grand-chose à voir les unes avec les autres ? Et qui nécessiterait des analyses fines ?

Il faut bien sûr des analyses fines, prenant en compte les spécificités de toutes les activités et la diversité des difficultés de recrutement. Comme je l’ai dit, la DARES en a réalisé. Je vais en publier prochainement une, réalisée avec des co-auteurs. Et d’autres analyses sont disponibles.

Quelle part représentent ces emplois non pourvus dans le chômage en France ?

Il ne faut pas penser que le problème du chômage de masse en France à une solution unique, et que ce chômage de masse serait substantiellement abaissé par la seule disparition des offres d’emplois non satisfaites. Il existe une constellation de raisons, certaines étant institutionnelles comme des incitations parfois insuffisantes à l’emploi. Derrière la réforme de l’indemnisation du chômage actuellement envisagée, il y a bien l’idée qu’il faut rendre parfois les recherches d’emplois plus actives. Dans ce cas très spécifique, cela se traduit par une réduction de la durée de l’indemnisation en période de conjoncture favorable sur le marché du travail, et au contraire par un allongement quand cette conjoncture se dégrade. C’est une piste parmi d’autres. A côté de telles mesures générales, une plus grande efficacité de l’intervention de Pôle emploi, qui est individualisée auprès de chaque chômeur, doit aussi être recherchée. Il y a là des moyens considérables, qui ne sont peut-être pas encore mobilisés au maximum de leurs potentialités. Rappelons que les effectifs de Pôle emploi s’élèvent à environ 55 000 agents …

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Le plein emploi est-il un objectif atteignable en France ?

Les perspectives économiques sont actuellement très incertaines, et en grande partie commandées actuellement par la guerre en cours en Ukraine et par les prix de l’énergie. Cette incertitude atteint des niveaux rarement sinon jamais rencontrés sur les dernières décennies. Mais il n’y a aucune fatalité à ce que la France demeure l’un des rares pays avancés dans lesquels le chômage est encore massif, et au-delà l’un des pays dans lesquels le taux d’emploi est faible comparé à celui d’autres pays. La grande majorité des pays avancés est au plein emploi depuis déjà de nombreuses années, et bénéficie de taux d’emploi nettement plus élevés. La situation française traduit des dysfonctionnements auxquels il faut résolument s’attaquer, via des réformes dont certaines sont parfois critiquées à tort. L’augmentation des taux d’emploi est une source d’augmentation du pouvoir d’achat. En cette période de gains de productivité trop faibles pour financer ces gains de pouvoir d’achat, l’objectif d’un relèvement des taux d’emploi est essentiel. Les objectifs du plein emploi et de taux d’emploi nettement plus élevés sont ambitieux, pas évident à atteindre, mais ils sont réalisables. Il nous faut cette ambition.

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