Mais que se passe-t-il dans la tête de ceux qui “s’infligent” ultra-marathons, ultra-trails et autres épreuves sportives extrêmes ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Sport
Mais que se passe-t-il dans la tête de ceux qui “s’infligent” ultra-marathons, ultra-trails et autres épreuves sportives extrêmes ?
©JEFF PACHOUD / AFP

Créatine pour tout le monde

Certaines épreuves sportives vont au-delà du cadre sportif. Il s'agit d'exploit presque surhumain, physiquement épuisants et qui font parfois souffrir le corps. Dans ces cas-là, le mental joue un rôle fondamental.

Guillaume  Baissette

Guillaume Baissette

Guillaume Baissette ets psychologue clinicien et psychothérapeute . Il est spécialisé dans la préparation mentale du sportif

Voir la bio »
Virginie Lemaire

Virginie Lemaire

Psychologue et entraîneur en gymnastique

Voir la bio »

Atlantico : D'où provient "l'envie de le faire" ? Faire ce genre d'épreuves, c'est infliger au corps une souffrance.

Guillaume Baissette : En psychologie, il n’est presque jamais possible de généraliser une hypothèse de fonctionnement à l’ensemble des individus. Ainsi, nous pouvons évoquer certains traits rapportés par la littérature scientifique sans oublier qu’ils ne définissent pas chaque athlète ou sportif concernés par ces activités intenses. Tout d’abord, le cerveau humain est « équipé » dès la naissance de structures invitant et permettant les apprentissages. Il y aurait une activation du circuit de la récompense (dopamine) quand un apprentissage a eu lieu et ce, sans qu’un renforcement (récompense) ne soit nécessaire. Apprendre quelque chose de nouveau ou réussir une nouvelle performance, est une récompense en soi.

Les bienfaits de l’activité physique sur la santé sont bien établis depuis longtemps. Des mécanismes psychologiques et neurophysiologiques sont à l’œuvre et permettent à l’activité de se maintenir et de se développer (Lox, Ginis, & Petruzzello, 2010) : une activité physique intense aide par exemple à faire une coupure avec la vie professionnelle et les pensées anxieuses qui y sont associées. La souffrance professionnelle (dans ce cas-là) est déplacée sur une activité dont la sensation de maitrise est plus grande ; comme évoqué précédemment, l’accomplissement d’une épreuve sportive induit rapidement des émotions positives et un accroissement de l’estime de soi associés à la sécrétion d’hormones aux effets antidépresseurs ; enfin, l’activité physique permet de se remettre plus rapidement d’un stress subi.

Virginie Lemaire : D’un point de vue théorique, ce qui motive intrinsèquement un comportement c’est l’envie de répondre au besoin d’autonomie, de compétence et d’appartenance à un groupe. Autrement dit, si une action me permet de me sentir indépendant, compétent et socialement intégré il y a toutes les chances pour que je sois fortement motivé pour la faire. Et c’est exactement ce que promet une épreuve aussi complexe qu’un « Iron-man ». Elle offre le sentiment d’être un sur-homme (un homme de fer), capable de transcender le corps grâce à la volonté et le travail. Elle entretient la sensation que toutes les difficultés peuvent être dépassées à la force de l’esprit et que la réussite peut s’atteindre grâce au contrôle de soi. L’entourage admire et s’inspire du sportif, de sa rigueur et de sa volonté. De plus, l’athlète appartient à un groupe, à une nouvelle famille sportive : on ne fait pas un Iron man « on est un Iron man ». Enfin, la pratique régulière permet une libération d’endorphine, de dopamine et d’adrénaline qui alimentent une sensation de bien-être et de plaisir. Bien sûr, tout n’est pas aussi simple et aussi rose, mais la promesse est très alléchante et explique certainement que l’engouement soit aussi fort pour ce type de pratique. 

Iron Man, triathlon, double Iron Man. Les épreuves sportives herculéennes ne manquent pas et elles gagnent en popularité. Quels sont les différents ressorts qui peuvent expliquer qu'un individu décide de se dépasser toujours plus, dans des exploits toujours plus grands, même chez des gens qui ne sont pas des athlètes ?

Guillaume Baissette : Là encore, il est impossible d’avoir une réponse globale et nous pouvons aisément imaginer que les motivations psychologiques, conscientes ou non, sont très différentes d’un sportif à l’autre. Il y a également toute une sociologie du sport qui est à prendre en compte dans l’augmentation de la fréquence des phénomènes dont nous parlons : les nouvelles technologies, la médiatisation de nouvelles disciplines, l’individualisme, etc. Ce dernier point peut attirer notre attention car les activités sportives dont nous parlons sont toutes individuelles mais pas forcément solitaires. Certaines personnes vont s’entrainer et performer essentiellement seules et d’autres auront besoin des regards extérieurs. Certains auront besoin de se dépasser eux-mêmes et d’autres auront besoin de dépasser les autres.

La société exige de plus en plus de « réussir », or ce n’est pas possible partout, tout le temps. Se choisir une activité physique difficile, c’est aussi mettre en scène cette exigence par soi-même, avec l’illusion de se défaire de l’attente des autres, de l’environnement social. L’illusion car c’est bien la même scène qui se répète, la recherche de la réussite, de la performance, du temps, de la ligne d’arrivée.

Virginie Lemaire : La préparation d’un gros évènement nécessite un investissement important et occupe une place énorme dans la vie d’un sportif. Lorsque le jour de la course arrive c’est un enchainement d’émotions extrêmement fortes, qu’il est difficile,voire impossible,de retrouver ailleurs. Alors après la course, lorsque l’entrainement n’est plus aussi indispensable qu’avant et que les émotions sont retombées, certains sportifs peuvent ressentir un grand vide, que seul un nouveau challenge peut venir combler. Plus simplement, de tout temps l’humain aime se dépasser et battre des records, il aime être pionnier et marquer l’histoire à sa façon pour se sentir exister. 

Il y a ce que peut faire le corps mais lorsque le mental prend le relais, par exemple à un certain stade de l'épreuve, que se passe-t-il dans la tête d'un athlète et quels motifs le poussent à aller au bout, à continuer ?

Guillaume Baissette : Comme nous l’avons évoqué, l’activité physique est en grande partie bénéfique sur plusieurs aspects. Cependant, bien que plutôt rares, il existe des phénomènes d’addiction qui sont d’autant plus fréquents dans les activités comme le triathlon. Il est donc important de dissocier une certaine « force mentale » d’un comportement addictif, qui peut parfois être ordalique. Sur un plan plus symbolique, l’investissement dans une activité sportive peut venir représenter une tentative de résolution de souffrances passées et le sportif pourra, consciemment ou pas, donner un sens plus important à la performance que celle-ci n’a objectivement. Ainsi, gagner une course pourra représenter une victoire sur quelque chose de plus fort symboliquement. Nous pouvons, dans ce sens, évoquer les performances de Philippe Croizon : peu d’entre nous sont capables de traverser la Manche à la nage, et bien lui l’a fait, amputé des quatre membres. « J’espère être un symbole du dépassement de soi. » disait-il au sujet de cet exploit. Il s’agit bien de dépasser quelque chose de soi, quelque chose en soi qui sans la performance resterait une angoisse latente.

Pour conclure, comme évoqué plus haut, les activités sportives intenses sont aussi des activités à risque et la limite entre le dépassement de soi et la dépendance à l’effort, la performance ou la souffrance est fine. Selon une étude de 2004 (EAI; Terry, Szabo, & Griffiths, 2004), environ 20% des triathlètes sont à risque de dépendance à l'activité sportive. Le risque de dépendance est d’autant plus important que les entrainements ont lieu sur de longues distances et que le nombre d’heures d’entrainement hebdomadaires augmente. En revanche, il n’y a pas de corrélation entre le risque de dépendance et le nombre d’années d’entrainement, ce qui suggère que le risque est présent d’emblée.

Virginie Lemaire : Il y a de nombreuses techniques mentales pour mieux gérer la douleur,  les passages difficiles et la durée de l’épreuve. Avant la course, le sportif doit déjà être au clair avec son objectif. Est-ce que je le fais pour moi ou pour prouver quelque chose ? Qu’est-ce que j’y gagne ? Pour quelles raisons est-ce important pour moi ? Ce type de questionnement doit s’aborder en amont, car si l’objectif est solide c’est une immense ressource pour persévérer dans la course. Ensuite le sportif peut « s’occuper l’esprit » avec des idées, des mots, des images choisies et agréables, évitant ainsi que les pensées s’assombrissent et limitent le potentiel. 

Tout ça se prépare en amont et doit s’inscrire dans un équilibre global. Et j’insiste beaucoup sur la notion d’équilibre, car lorsque le sportif perd de vue le plaisir, quand s’entrainer devient plus un « devoir » qu’autre chose, la pratique peut devenir réellement dangereuse et nocive, autant physiquement que socialement. Dans ce cas, même si la tête dit oui, le corps trouvera ses propres solutions (blessures à répétitions, maladies, dépression…). La course doit donc se préparer autant physiquement que psychologiquement pour aller jusqu’au bout, et surtout pour rester en phase avec soi-même. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !