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Un citoyen français s'apprête à voter avec sa carte électorale.
Un citoyen français s'apprête à voter avec sa carte électorale.
©CRÉDITLUDOVIC MARIN / AFP

Démocratie

Une étude menée par le Pew Research Center dans 19 pays, dont la France, a des réponses.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Dans une récente étude du Pew Research Center menée dans 19 pays développés sur les actes fondamentaux d’un bon citoyen, la réponse en tête de liste est le vote, le fait de se déplacer pour déposer un bulletin dans l’urne. Qu’est-ce que cela traduit du système démocratique dans les pays les plus développés ?

Vincent Tournier : Précisons d’abord que cette étude ne porte pas exactement sur ce qu’est un « bon citoyen ». Le questionnaire original (en anglais) parle des actes à réaliser pour être un « good member of society », ce que l’on pourrait traduire par : membre impliqué dans la société. Le problème est qu’on ne sait pas très bien ce que les auteurs ont voulu évaluer avec cette expression car la liste des indicateurs utilisés est très hétéroclite : elle inclut ainsi des indicateurs politiques (comme le vote, le suivi de la vie politique ou la participation à des manifestations) et des indicateurs plus disparates tels que les actions pour réduire les effets du changement climatique, le fait d’accepter la vaccination contre le covid ou encore la participation à des offices religieux. Inversement, on ne trouve pas les indicateurs qui auraient pu avoir plus de sens ici, comme le fait de respecter les lois ou de faire du bénévolat pour une association. Bref, cette étude est originale mais ce n’est sans doute pas la meilleure réalisée par le Pew Research Center, qui nous a habitués à mieux en matière d’enquêtes.

Si on essaie malgré tout de commenter les résultats, on observe effectivement que, en moyenne pour les 19 pays testés, le vote arrive en tête des actes jugés importants (91% le jugent très ou assez important). Toutefois, le vote arrive à égalité avec les actions contre les effets du changement climatique. Donc, si ce résultat confirme l’attachement au vote, il montre aussi que les gens accordent beaucoup d’importance aux actions de chacun en faveur du climat. La cause climatique ne remet pas en cause la conception traditionnelle du civisme, mais elle lui lance un sérieux défi. Cela donne une idée sur la force de l’injonction morale qui accompagne désormais le débat sur le climat : chacun doit agir à son niveau. Cette injonction est positive puisque cela montre que les gens sont conscients des problèmes qui viennent, mais elle est aussi un peu naïve car les actions pour le climat ne se situent pas au même niveau que les enjeux démocratiques.

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Le problème est encore plus aigu dans le cas des jeunes, dont l’enquête montre qu’ils attachent moins d’importance au vote que les générations plus anciennes. Ne faut-il pas craindre que, pour les nouvelles générations, l’idée s’impose que les solutions se trouvent moins du côté des urnes que du côté de l’action, ce qui pourrait justifier le contournement de la démocratie par d’autres voies ? C’est déjà un peu ce qui se passe avec les actions menées par certains activistes dans les musées. Ces actions restent pour l’heure relativement inoffensives, mais une escalade est toujours possible.

La part du public affirmant que le vote est très important varie de 52 % en Pologne à 90% en Suède. Quels sont les facteurs qui expliquent une telle différence de perception entre les membres de différents pays ?

Le résultat en Pologne n’est pas très étonnant car on sait qu’en matière de participation électorale, il existe un clivage important entre l’Europe de l’Est et l’Europe de l’Ouest. On le vérifie lors des élections au Parlement européen, où la participation électorale est beaucoup plus faible à l’Est qu’à l’Ouest. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’entrée des pays d’Europe de l’Est a fait baisser la participation moyenne des Européens.

Cette différence entre l’Est et l’Ouest s’explique par au moins deux raisons : d’abord l’absence de tradition civique à l’Est, où la démocratie est apparue récemment ; ensuite la méfiance à l’égard de l’Etat qui a longtemps été un Etat oppresseur et tyrannique.

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Un résultat plus surprenant concerne la Belgique qui, avec 57% de soutien, se trouve à peine au-dessus de la Pologne, donc assez loin des autres pays européens, et même nord-américains (Etats-Unis et Canada). Or, en Belgique, le vote est obligatoire, ce qui devrait en principe renforcer le sens du devoir.

Ajoutons aussi que, concernant le vote, il y a un autre résultat intéressant : le fait que l’importance du vote soit très variable selon que les personnes soutiennent ou pas le gouvernement dans son pays. Les écarts ne sont pas toujours très forts (en Suède ils sont quasi nuls) mais ils peuvent atteindre 15 ou 20 points (c’est le cas en France, où il y a 15 points de différence). C’est là un résultat original, qui confirme que les gens qui ne soutiennent pas le gouvernement ont tendance à être moins attachés au vote. Cela peut sembler évident, mais cela souligne indirectement l’importance de l’alternance politique : s’il n’y a pas d’alternance, une partie de la population finit par le plus croire au vote. 

Que nous dit cette étude sur les perceptions des individus sur la notion de « bon citoyen » ? Existe-t-il un point commun « universel » ?

Si on regarde les résultats par pays, on voit qu’il y a des divergences plus ou moins fortes selon les indicateurs. En général, chaque pays conserve ses particularités, ce qui est déjà en soi un résultat important : cela montre que la mondialisation n’a pas fait disparaître les particularismes nationaux.

Les lignes de fracture recoupent souvent les grandes zones géographiques ou culturelles. Les pays d’Europe de l’Ouest sont par exemple assez proches les uns des autres, même s’il peut y avoir des différences entre eux, notamment entre le nord et le sud. Ils se distinguent assez nettement des pays d’Europe de l’Est ou des pays anglo-saxons, sans parler d’Israël, de la Malaisie ou des pays asiatiques.

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Toutefois, aucun bloc de pays n’est complètement homogène. Les Canadiens ont beaucoup de points communs avec les Nord-Américains, mais ils s’en distinguent nettement sur plusieurs indicateurs (ils valorisent davantage le vote ou le suivi des informations). De même, le Japon et la Corée du Sud sont souvent très proches mais les Japonais accordent plus d’importance à l’actualité internationale que les Sud-coréens.

Un résultat marquant est la faible proportion de répondants qui ont mentionné la religion parmi les critères pour être un « good member of society ». En effet, la participation à un office religieux est choisie au mieux par 25% des Israéliens, 22% des Américains, 21% des Grecs ou des Italiens et 20% des Polonais. La seule véritable exception est la Malaisie avec 55%. Cette faiblesse relative semble signifier que, au moins dans une bonne partie du monde, et pas seulement en Occident, la religion n’est plus perçue comme un élément central dans la manière d’être engagé en société. 

Que nous apprennent ces données sur ce qu’est être un bon citoyen français ? comparativement aux autres ?

Les résultats pour la France sont globalement dans la moyenne. Cela dit, on peut relever quelques tendances spécifiques. D’abord, un rejet plus prononcé pour le vaccin anti-covid par rapport aux autres pays européens, Hongrie et Pologne exceptées. Ensuite, un moindre intérêt pour ce qui se passe dans les autres pays, à l’exception là encore de la Hongrie et de la Pologne, ains que de la Belgique. Enfin, une tendance à valoriser les manifestations pour exprimer ses opinions, sans toutefois être le pays le plus le plus en tête sur ce point.

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Toutefois, avant de tirer des conclusions trop tranchées, il faudrait prendre la peine de vérifier ces résultats avec des indicateurs plus robustes et plus précis.

On peut aussi observer à travers l’étude que le fait d’être vacciné est aussi un point important pour de nombreux citoyens. À quel point la notion de citoyenneté est-elle « malléable » selon les situations ? Et dans ce cas précis impacté par une pandémie mondiale ?

La vaccination contre le covid est effectivement considérée par beaucoup de gens comme une preuve de son civisme, même si cela vient après le vote et l’action contre le changement climatique. L’épidémie de coronavirus a certainement contribué à changer la perception de la vaccination. Le fait que l’on ait pu sortir de la crise grâce à la vaccination a certainement porté un rude coup aux antivaccins.

Cela confirme en tout cas que la perception du civisme change avec le contexte. On le voit désormais avec la fin de l’épidémie de covid, qui permet à la crise climatique de se hisser au rang de grande préoccupation, ce qui modifie les critères de jugement du bon citoyen. La diminution de sa consommation devient un gage de civisme, au même titre que le fait de moins manger de viande, de baisser son chauffage ou de moins voyager. Les normes qui définissent le bon citoyen se transforment avec les événements.

Tout ceci est assez logique. Il faut simplement veiller à ne pas effacer les normes plus traditionnelles : voter aux élections, respecter les lois, être poli et attentif aux autres, etc. Il faut aussi faire attention à ce que les normes de comportements en matière d’écologie aient du sens et qu’elles ne soient pas perçues comme injustes. Par exemple, demander aux Français de moins utiliser leur voiture suppose de ne pas laisser prospérer les rodéos urbains. De même, les étudiants qui font la morale aux propriétaires de grosses voitures sont-ils disposés de leur côté à renoncer à faire un usage intensif d’Internet et des réseaux sociaux ? Plus généralement, il paraît difficile de dire aux Européens d’adopter des comportements sobres, y compris en faisant moins d’enfants, si dans le même temps on défend l’immigration, ce qui revient à accroître le nombre de consommateurs, lesquels sont souvent des parents de familles nombreuses.

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