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Mais qu'espère la France, cette meilleure ennemie de la finance, en rêvant de voir la City se réinstaller à Paris ?
©Reuters

Schizophrénie française

Alors que la France a le taux de défiance vis-à-vis de la finance le plus élevé des pays occidentaux, elle souhaite capter une partie de la City de Londres. En dépit de ce paradoxe, Paris a de réels atouts et pourrait devenir une place financière plus influente en Europe, à condition de mettre en place certaines réformes, notamment fiscales.

Eric  Lamarque

Eric Lamarque

Eric Lamarque est Professeur à l'Université Paris 1 Sorbonne - IAE et directeur du Master Finance.

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Atlantico : Suite au référendum britannique, certains rêvent de faire de la place de Paris une nouvelle City, comment expliquer ce paradoxe existant, entre une France "ennemie" de la finance, et qui cherche malgré tout à profiter de la situation pour attirer le monde financier sur son territoire ? Comment expliquer cette schizophrénie française ?

Eric Lamarque : Ceux qui rêvent d’un retour en force des activités de marché en France sont surtout les acteurs actuels de la place financière de Paris. Il est normal qu’ils voient dans le Brexit une opportunité car les acteurs localisés au Royaume Uni vont devoir s’implanter en Europe pour bénéficier du passeport européen. Il est aussi assez légitime que l’Union européenne relocalise un certain nombre d’activités sur le continent comme les opérations de compensation ou le traitement des opérations post-marché. Enfin, il est difficile d’accepter pour les acteurs européens de dépendre d’une place financière, la City, qui devient, de fait, un peu comme une place off shore. Réaliser des opérations en euros, coter certains indices à la bourse de Londres devient assez délicat. De même, la cotation de certaines entreprises industrielles sur place pourrait être remise en question. Sans que la City se vide complètement, il est évident qu’un mouvement de relocalisation serait assez naturel. Il est donc logique de voir les acteurs de la place de Paris considérer ce Brexit comme une opportunité. Ce qui est un peu plus paradoxal, c’est le discours des politiques qui disent vouloir dérouler le tapis rouge pour ces acteurs. On est à l’opposé des discours de campagne électorale auxquels vous faites référence. Cela peut sembler paradoxal mais il faut bien changer de discours si l’on veut redevenir attractif. Il faut aussi parler d’une seule voix avec les acteurs de place. Et puis les politiques ne sont pas à une volte-face près. Si cela peut relocaliser des emplois en France, emplois très qualifiés et bien rémunérés, cela ne peut pas faire de mal.

Quels sont les obstacles existants au développement de Paris comme place financière, notamment au niveau fiscal ? Le pays est-il prêt pour accueillir massivement des traders, banquiers d'affaires, notamment sur les potentiels effets des bonus sur l'opinion, alors même que les rémunérations des dirigeants passent déjà si mal  ?

Essayons de peser les atouts et les obstacles car c’est au regard de ce bilan que les candidats potentiels au retour vont faire leur choix. Si on commence par les atouts, on cite généralement Paris comme le premier pôle de gestion d’actifs avec 3600 milliards d’euros, comme le lieu où cinq des plus grandes banques européennes y ont leur siège social et y assurent un volume important de transactions. C’est une place assez diversifiée puisqu’on y trouve les sièges de grandes entreprises industrielles également. Bref, le potentiel d’activité y est important. Si on ajoute à cela que l’on trouve sur Paris des diplômés très bien formés sur les techniques financières et les mathématiques, cela en fait une place réellement attractive. L’exode des experts français de la finance vers la City a montré en effet que ceux-ci possédaient des compétences recherchées. A côté de cela, la qualité du cadre de vie, des infrastructures, des conditions d’accueil des familles de ces acteurs sont des éléments à prendre en compte au niveau régional en Ile de France et pas seulement sur Paris. C’est donc une stratégie régionale et nationale cohérente qu’il faut adopter. Et là il n’est pas sûr que tous les acteurs concernés s’entendent comme bien souvent en France. Autre faiblesse certaine, les craintes liées aux mouvements sociaux et aux blocages dont nous sommes les spécialistes. Il ne faut pas sous-estimer leur effet repoussoir qui va avec notre réputation de ne pas aimer tout ce qui touche à l’argent, à l’efficacité et à la performance. Il faudra également entretenir une politique fiscale attractive pour ces nouveaux actifs et leurs employeurs. Les écarts de coûts salariaux sont très significatifs et certains les estiment entre 30 et 50 % plus élevés chez nous. Il serait même possible de voir beaucoup de personnes continuer à vivre à Londres dans leur résidence principale et venir travailler la semaine à Paris.

Ne nous y trompons pas, si les candidats au retour jugeaient trop défavorables les conditions d’accueil, des pays comme l’Allemagne ou les Pays Bas sont également très attractifs. Une forme de compétition va donc s’instaurer pour être le plus attractif possible et l’envoi de signaux négatifs pourrait donc décrédibiliser des discours accueillants.

Dans le cas où Paris parvenait à devenir une place financière attractive, comment la France pourrait parvenir à être efficace ? Quels sont les domaines où une intervention paraît nécessaire ? Comment éviter les excès des "figures" locales qui cherchent à placer la finance "sous tutelle" ?

Comme je l’indiquais il faut sans doute profiter de l’occasion pour reposer la question de la fiscalité des entreprises et de ce que l’on veut réellement taxer. En dehors même du cas du Brexit c’est un sujet que tous les acteurs politiques ont indiqué vouloir aborder et réformer sans jamais le faire. Le risque d’une surenchère fiscale entre les pays candidats à l’accueil des migrants du Brexit est réel. Je pense que nous possédons tous les atouts et l’expertise suffisante pour rivaliser avec n’importe quelle place financière. Mais il faut donner envie à ces personnes de revenir sur place en traitant les raisons qui les ont amenées à s’exiler. Quand je parle avec certains de mes étudiants des raisons de leur départ sur des postes à l’étranger, aucun ne me parle du niveau de son salaire ou du fait qu’ils paient moins d’impôts. Tous font référence à l’état d’esprit tourné vers le développement des affaires, la prise d’initiative et la capacité à prendre des risques qui ont disparu chez nous. Le chemin est donc étroit entre la restauration de cet état d’esprit et le développement d’une finance davantage tournée vers le financement de l’économie et qui ne fait pas subir des catastrophes à ceux qui en dépendent. Les deux ne me paraissent pas incompatibles. C’est tout le défi que doivent relever toutes les autorités concernées.

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