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Mais où s’arrêteront LVMH et le luxe français ?
©ERIC PIERMONT / AFP

Atlantico Business

Si LVMH se marie avec Tiffany, la France va devenir le leader incontesté de l’industrie mondiale du luxe.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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La seule politique industrielle que la France a réussi à développer est celle du luxe, en passe de devenir le leader mondial. Pourtant, l’Etat n’y est pour rien. Ce qui est extraordinaire, c’est quel’essentiel de notre avenir économique dans le monde dépend du luxe et que la majorité des Français l’ignorent ou s’en moquent.

Les chiffres sont têtus, mais si on prend les recettes fiscales (directes ou indirectes), les valeurs ajoutées, les chiffres d’affaires, le nombre d’emplois créés chaque année, le montant des exportations et par conséquent, le montant des devises étrangères acquises, l’essentiel provient des industries du luxe qui sont devenues au cours des dix dernières années, les principales locomotives de l’économie française. Bien devant l’agriculture et l’agroalimentaire, devant l’automobile,  le digital, le secteur de la banque et de l’assurance, et même des ventes d’armes ou de la construction navale elle-même très dynamique, grâce aux chantiers de l’Atlantique dont la prospérité vient d’une spécialisation dans le paquebot de croisières de... luxe justement.

L‘Allemagne domine  le marché de l’automobile mondiale, la Suisse règne sur le marché bancaire international, Singapour sur le trading financier, les Etats-Unis sur l’industrie digitale et l’Entertainment, l’Arabie saoudite sur le pétrole, l’Egypte et l’Ukraine  sont les plus gros fournisseurs de blé du monde, l‘Amérique du Sud exporte de la viande de bœuf, et l’ile Maurice vit principalement du tourisme haut de gamme.

La plupart des pays se sont trouvés une spécialisation qu’ils cultivent et protègent précieusement.

La France, qui s’est cherchée une activité dominante pendant un demi-siècle, l’a trouvée dans l’industrie du luxe. Que ça plaise ou pas au monde politique qui pense que le luxe n’appartient pas au monde de l’industrie.

Ce qui n’était qu’un secteur où pullulaient des petits artisanats locaux, « des artistes » fabriquant des produits locaux mais qui est devenu un secteur d’activité gigantesque. Alors le luxe a moins la cote auprès des énarques que la banque, le luxe attire moins  les Polytechniciens du corps des Mines que l’industrie nucléaire, le luxe séduit beaucoup moins que la grande distribution ou l’agroalimentaire, mais contribue beaucoup plus au PNB de la France. Et c’est une industrie qui a gagné son statut d’industrie mondiale en moins de 50 ans, pratiquement une génération a suffi.

La tête de pont de cette industrie bien française est évidemment LVMH que dirige Bernard Arnault. LVMH vient de proposer à Tiffany & Co de le racheter pour 14,5 milliards de dollars, soit 13 milliards d’euros, affirme la presse anglo-saxonne. Le groupe de Bernard Arnault proposerait de racheter 100 % du capital. Ce groupe, dont les ventes ont atteint 46,7 milliards d’euros en 2018, signerait alors la plus grosse de ses acquisitions depuis sa création, en 1987. 

Bernard Arnault s’offrirait alors la première des marques du luxe américain. Connue pour ses diamants dont rêvait  Audrey Hepburn, en 1958, dans le film Diamants sur canapé, de Blake Edwards, (le roman de  Truman Capote), devant les vitrines du magasin historique de la Ve Avenue.

Depuis, les Américains et les touristes de passage à Manhattan ont eu envie de s’offrir une petite boîte bleue enrubannées de satin. Tiffany est la seule marque de bijoux connue dans le monde entier.

Cette opération-là ne fera que conforter LVMH à la place de numéro un mondial sur la plupart des créneaux du luxe: la mode et le parfum, les accessoires de mode, les distributions sélectives, les vins et alcool de luxe, à commencer par le Champagne dans sa presque totalité. LVMH peut se permettre aujourd’hui de parler d’égal à égal avec les grands patrons de Google, Apple, Facebook ou Amazon. Il est plus riche que la plupart d’entre eux, son groupe également, d’où la proposition de racheter Tiffany.

Mais à côté de LVMH, on trouve Kering, développé par François Pinault et son fils, on trouve Hermès, et Chanel avec les frères Wertheimer. Mais ça n’est évidemment pas tout, parce qu’il faut prendre en compte L’Oréal qui appartient à 45 % à la famille Bettencourt, tout le secteur de la distribution sélective, les Galeries Lafayette, le groupe qui sans bruit fait sa route dans le luxe où tous ces industriels du parfum qui ont fait la fortune de la région de Grasse. Et pour être exhaustif, il faudrait aussi recenser la valeur ajoutée par les milliers de fabricants et de sous-traitants qui sont les fournisseurs de ces entreprises.

Ce qui est intéressant c’est que si les produits jouissent d’une formidable image auprès de la clientèle mondiale, l’industrie n’est pas prise au sérieux, par les économistes ou même les hauts fonctionnaires de Bercy. En tout cas, moins que l’automobile ou l’agriculture qui sont pourtant beaucoup moins puissants et plus fragiles. Un grand mariage international entre LVMH et Tiffany dans le luxe suscite moins de commentaires inquiets ou critiques qu‘un mariage dans l’automobile entre PSA et Fiat.

L’industrie du luxe à trois particularités :

Un, c’est une activité à forte valeur ajoutée, avec des emplois très prisés et très spécialisés dont les produits doivent être de très grande qualité  avec un marketing très sophistiqué ;

Deux, c’est une activité de très forte marge qui permet donc des investissements colossaux et surtout une croissance forte ;

Trois, c’est une activité difficile à délocaliser, c’est une activité dont la chaîne de production est assez peu fracturée. C’est une activité qui puise son dynamisme dans l’ADN française et qui réalise sa performance sur les marchés émergents. Parallèlement, un groupe français a les moyens de consolider des entreprises de luxe sur l’étranger. C’est vrai avec Tiffany, c’est vrai au Japon ou en Chine où les marques française vendent leurs produits et développent des marques locales grâce à leur expertise et à leurs moyens.

Enfin, on pourrait ajouter que c’est une activité qui n’a jamais eu besoin de l‘Etat. Pour construire une cohérence de la filière, les entreprises sedébrouillent. Le Comité Colbert fait un travail autrement plus efficace et réactif qu‘un ministère de l’industrie qui serait dédié au luxe. Les entreprises du luxe ont besoin d’un environnement fiscal, social et réglementaire stable. Sinon, elles ne demandent qu’une chose,qu’on laisse respireret du coup ça marche.

A priori, comme elles font 90 % de leur business en dehors de la France sur les marchés d’exportation, on pourrait même penser qu‘elles n’ont pas besoin que la France soit en bonne santé.

Grosse erreur que de penser ainsi. Les industries du luxe vendent des produits qui racontent  une partie de l’histoire et de la culture de France. Ces produits portent une partie de la valeur de la vieille Europe et en particulier de la France. Par conséquent, quand la tour Eiffel vacille ou que l’Arc de triomphe est bousculé gravement par un dysfonctionnement social, Gilets jaunes ou pas, c’est l’image de la France qui se fissure et le potentiel d’attirance sur les produits de luxe qui faiblit.  

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