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Macron 2018, De Gaulle 1959 : le match de la transformation de la France un an après leur arrivée au pouvoir
©PETER PARKS / POOL / AFP

Comparaison

Alors que la première année de mandat d'Emmanuel Macron arrive à son terme, il est intéressant de noter certaines similitudes entre l'action du chef de l'Etat et celle de Charles de Gaulle, arrivé au pouvoir en 1958, malgré des évidentes différences de contexte.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Maxime  Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est un haut fonctionnaire français, qui a été conseiller de Nicolas Sarkozy sur les questions relatives à l'immigration, l'intégration des populations d'origine étrangère, ainsi que les sujets relatifs au ministère de l'intérieur.

Il commente l'actualité sur son blog  personnel

 

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  1. Atlantico : le rythme des réformes conduit par Emmanuel Macron depuis le début du quinquennat a pu conduire à une comparaison avec la France de Charles de Gaulle de 1958. Après une année d'exercice, de 1958 à 1959, et de 2017 à 2018, comment comparer l'ampleur des deux actions présidentielles, et ce, tout en écartant d'évidence les différences de contexte ? 

Maxime Tandonnet : Il me semble que la comparaison n’a pas beaucoup de sens. Tous les nouveaux présidents une fois en place jurent qu’ils veulent transformer la France. L’arrivée de Charles de Gaulle au pouvoir en juin 1958 correspond à un tournant historique pour le pays, un changement d’époque : une nouvelle Constitution fondée sur le parlementarisme rationalisé, la décolonisation, le passage au nouveau franc, la sortie de la guerre d’Algérie, l’ouverture de l’économie française à la concurrence internationale et sa modernisation. La France se dote de l’arme nucléaire. A cela s’ajoutent les ordonnances qui modifient en profondeurs les institutions : éducation nationale, justice, armée, début de la régionalisation. Il n’y a absolument rien de tel aujourd’hui. La France du quinquennat Macron est exactement la même, dans les profondeurs, que celle de M. Hollande. Ne comparons pas ce qui est incomparable.

Philippe Crevel : 60 ans séparent 2018 de 1958, mais évidemment les deux périodes ne sont pas comparables. En 1958, la France devait faire face à la crise algérienne. Au-delà des trois départements d’Algérie, ce sont toutes l’avenir des colonies d’Afrique qui est en jeu. Il faudra quatre ans pour tirer un trait sur plusieurs siècles d’histoire.

Le 13 mai 1958 marque l’ouverture d’une crise institutionnelle qui aboutira au retour du Général de Gaulle et à l’instauration de la Ve République. Le 7 mai 2018, Emmanuel Macron est élu, après une campagne insolite, Président de la République, le 8e de la Ve. Les premiers mois du Général de Gaulle sont avant tout consacrés au changement de constitution et à la crise algérienne. La nouvelle constitution entrera en vigueur le 4 octobre, 4 mois après la nomination comme Président de Conseil du Général de Gaulle. Emmanuel Macron n’a pas dû faire face à une crise intérieure majeure. Les seuls foyers indépendantistes concernent la Nouvelle Calédonie et la Corse. Emmanuel Macron s’est engagé non pas à instituer la 6e République comme le réclament Jean-Luc Mélenchon ou Benoit Hamon. Il a simplement la volonté de réaliser un nouveau toilettage. Face à l’opposition des sénateurs, il a avancé l’idée comme le Général de Gaulle de procéder à la révision de la Constitution en recourant à l’article 11. Néanmoins, le rythme de discussion de cette révision est plus proche du train de sénateur que de celui d’un Bonaparte ou d’un De Gaulle. Le nouveau Président n’a pas osé tirer les conclusions du quinquennat en passant au régime présidentiel, en supprimant le poste de Premier Ministre tout en renforçant le législatif. De même, en jacobin, il récuse toute idée de fédéralisme.

La France bénéficie à la fin des années 50 d’un cycle de forte croissance facilitant l’adoption des réformes. Néanmoins, en raison des évènements politiques, la croissance a été en 1958 de 2,5 % soit assez proche de celle que nous connaissons actuellement.

La France est en 1958 confrontée à un déséquilibre récurrent de ses finances publiques et un déficit de la balance commerciale comme en 2018. Pour rétablir la situation, le Général de Gaulle décide de dévaluer au mois de juin le franc de 20 % et d’augmenter les impôts (augmentation de l’impôt sur les sociétés et augmentation à 27,5 % du taux de TVA). Le franc sera une nouvelle fois dévalué de 17,5 % au mois de décembre.

Malgré son opposition initiale, le Général de Gaulle accepte le principe de la création de la Communauté Economique Européenne signée le 25 mars 1957 et qui doit entrer en vigueur le 1er janvier 1959. Afin de permettre à la France de faire bonne figure au sein de ce nouveau marché commun qui se traduit par la suppression des barrières douanières, le pouvoir demande à deux économistes, Rueff et Armand un plan sur l’assainissement économique et financier. Ce plan prévoit la suppression des règles d’indexation, une libéralisation des prix, des augmentations d’impôts, des économies budgétaires, la diminution des entraves aux échanges, le retour de la convertibilité du franc. Dès la fin 1958, la France renoue avec les excédents commerciaux et en 1959, pour la première fois depuis 1930, grâce à l’action du jeune Secrétaire d’Etat au budget, Valéry Giscard d’Estaing, la France dégage un excédent budgétaire. Le pays qui dépendait des subsides américains pour boucler sa balance des paiements courants pourra dès 1962 s’en libérer.

Le nouveau pouvoir arrive à réformer le système de santé par ordonnance. Il est ainsi décidé la création des Centres Hospitaliers Universitaires (CHU) et de la profession de médecins hospitaliers universitaires, travaillant à temps plein à l’hôpital. Juste avant la fin de l’année, il est créé l’Assedic (Association pour l’emploi dans l’industrie et le commerce) en charge de financer l’assurance chômage. L’année 1959 marque la naissance du nouvel impôt sur le revenu qui est celui que connaissons encore. Le bilan des réformes d’Emmanuel Macron est moins fourni. Il peut afficher une réforme du droit du travail qui ne constitue pas une révolution. Néanmoins, elle déplace quelques lignes en ce qui concerne la négociation au niveau des entreprises et des branches. Au niveau fiscal, il peut s’enorgueillir d’avoir supprimé l’ISF au profit de l’IFI, d’avoir instituer le Prélèvement Forfaitaire Unique. Il a décidé de relancer le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu. Il a relevé la CSG en contrepartie, sauf pour les retraités, d’une réduction des charges sociales salariées. Il a osé, pour la première fois depuis 1988, diminuer la taxation du capital qui était devenue au fil des années exorbitantes. Il a annoncé la suppression de l’exit tax qui ne rapportait rien mais qui donnait de la France une image déplorable.

En s’appuyant sur la croissance, Emmanuel Macron a réussi à placer pour la première fois depuis la crise de 2008 le déficit public en dessous de la barre des 3 % permettant à la France de quitter la liste des pays à déficits excessifs. En revanche, la France reste à des années lumières de la moyenne européenne (déficit de 0,7 % du PIB).

Toujours durant sa première année de pouvoir, le Général de Gaulle réforme le système d’éducation en instaurant l’école obligatoire jusqu’à 16 ans. Coté Emmanuel Macron, son Ministre de l’Education tente de tordre le coup aux chimères de ces vingt dernières années.

Emmanuel Macron aura ouvert, durant sa première année de nombreux chantiers, assurance chômage, formation professionnelle, retraite, finances locales, SNCF etc. La question est de savoir quand et comment ces dossiers seront refermés.

Au niveau international, Emmanuel Macron a fait feu de toute part. Si son image de jeune dirigeant s’exporte à merveille, en revanche, les résultats sont pour le moment en demi-teinte. L’Allemagne et la majorité des Etats européens n’adhèrent pas aux propositions de relance de la construction européenne. Donald Trump a reçu en ami le Président français mais n’a pas fait un pas vers lui en ce qui concerne l’Iran ou le développement durable. De Gaulle avait également l’ambition de redorer le blason de la France. Il bénéficia à ce titre du travail de ses prédécesseurs en particulier pour la mise au point de la bombe atomique. Mais, les affaires intérieures ont accaparé la majorité du temps du premier Président de la Ve durant sa première année. En effet, 1959 se solda par une intensification des opérations militaires en Algérie Plus du tiers de l’armée française y était affectée, soit près de 500 000 hommes. Emmanuel Macron n’a eu pour le moment qu’à envoyer quelques avions en Syrie. La possibilité d’un mois de service civil figurant parmi ses promesses de campagne est toujours en cours d’étude.

  1. Comment comparer le cadre de l'action des deux présidents, de la méthode employée à la popularité des réformes mises en place ?

Maxime Tandonnet : le niveau de popularité n’a strictement rien à voir. Pour une immense majorité de Français, de Gaulle était l’homme du 18 juin 1940, le libérateur qui a rendu au pays sa dignité et son honneur en 1944 et 1945. Il était un héros de l’histoire. D’ailleurs, les sondages d’opinions lui accordaient une popularité jamais démentie, avec un taux de confiance excédant 70% à 80%. Cette popularité qui transcendait les clivages droites-gauche,  était due à son image d’homme de l’histoire, le chef de la résistance et celui qui a sorti la France du bourbier algérien, plus qu’à des réformes précises. La situation de M. Macron n’a absolument rien à voir. Peut-être est-il un peu plus populaire que son prédécesseur au même stade de son mandat. Il bénéficie d’une forte croissance économique internationale et exerce une étrange fascination sur les médias influents, TF1,  BFMTV, France 2, et une large partie de la presse. Toutefois, l’image qu’il donne dans l’opinion globalement est ambivalente, du même acabit que celle des présidents en général. Elle est extrêmement précaire. Sauf pour ses adorateurs ou ses partisans, elle n’est pas celle d’un héros de l’histoire.

Philippe Crevel : Emmanuel Macron joue comme son éminent prédécesseur sur la solennité du pouvoir. Il a entendu créer une rupture par rapport au quinquennat précédent marqué par un affaiblissement de la fonction présidentielle. Dès le 7 mai avec son allocution au Louvres dans la cour des Rois, dans la Cour où Napoléon assistait aux défilés des armées impériales, Emmanuel Macron prend une posture de monarque éclairé. Son gouvernement étant composé de techniciens, de hauts fonctionnaires, il capte la lumière. Le Premier Ministre n’étant pas un de ses proches mais une prise de guerre, il n’y a pas de compétition entre les deux hommes comme cela a pu être le cas dans le passé sous Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand, Nicolas Sarkozy ou François Hollande. Le Général de Gaulle dispose de sa légitimité historique pour imposer sa prééminence. Certes, il devra batailler jusqu’en 1962 avant d’obtenir une majorité soumise, la seule motion de censure adoptée par l’Assemblée nationale l’a été en 1962 au sujet du recours au référendum pour le changement du mode de scrutin pour l’élection présidentielle.

Le Général de Gaulle et Emmanuel Macron ont un exercice bonapartiste de pouvoir, jacobin et vertical avec la tentation de jouer le peuple contre les corps intermédiaires, les corporatistes. Ils aiment le mouvement, le contrepied. Le Général de Gaulle savait manipuler ses adversaires et ses alliés pour aboutir au résultat qu’il souhaitait. Emmanuel Macron tente de faire aussi bien. Il a un goût pour la transgression. Certes, le premier osait le référendum quand le second est sans nul doute plus prudent. L’un comme l’autre connaissent la force des médias. L’homme de Londres a compris avant les autres qu’une guerre se mène aussi sur les ondes quand le second manie la force de l’image et d’Internet avec brio.

Le Général de Gaulle refusait d’être classé de droite ou de gauche. Il était sur les valeurs sociétales, par son histoire, de droite tout en étant épris d’un certain sens social qui se traduisit notamment par le développement de la participation. Il se méfiait de la bourgeoisie et des notables.

Quel chemin reste-t-il à parcourir à Emmanuel Macron pour "mériter" une telle comparaison d'ici à la fin de son mandat ?

Maxime Tandonnet : C’est impossible. Les deux personnages ne sont pas du tout au même niveau. Il n’y a aucun sens à essayer de comparer un héros de l’histoire, à l’échelle de Jeanne d’Arc, de Napoléon, et de Clemenceau et un responsable politique qui doit sa réussite à un véritable talent de manœuvrier, de communiquant et au soutien indéfectible des médias. D’ailleurs, entre 1958 et aujourd’hui, nous sommes dans deux époques différentes. En 1958, la politique à un sens concret : sortir la France de la guerre d’Algérie était, pour de Gaulle une priorité absolue. Ce drame fut un immense traumatisme pour le pays et son règlement, dans la douleur, la clé de l’entrée de la France dans le monde moderne. Aujourd’hui, la politique est davantage une affaire de grand spectacle médiatique avec ses postures, ses coups de menton, ses idoles et  ses coups de communication et de frime. Les grands mots, les crises de nerfs et les polémiques servent à masquer le néant. Les formules excessives comme « transformer la France » ou le « nouveau monde » ayant remplacé l’ancien monde, ne sont rien d’autre que le masque de l’impuissance et de l’immobilisme. Qu’est-ce qui a changé en profondeur et concrètement, depuis un an, en matière de sécurité, d’économie, de social ? Nul n’en a la moindre idée. Nous vivons une époque de mystification permanente qui s’adosse au conformisme grandissant, au climat d’obséquiosité, au déclin de l’intelligence collective, de la culture politique et du sens de l’esprit critique. C’est toute la différence avec 1958.

Philippe Crevel : Emmanuel Macron gagnera ses galons de Général dans les épreuves, dans le feu des combats. Si sa politique n’est qu’une gestuelle, si elle ne crée que des villages de Potemkine, la descente aux enfers risque d’être au rendez-vous. Même au temps d’Internet, des réseaux sociaux, des jeux vidéo, la politique repose sur l’action et sur les résultats. Le Général de Gaulle, même si cela n’a pas été aussi rapide que nous pouvons, en 2018, l’imaginer, a obtenu des résultats concrets : fin des conflits coloniaux en 4 ans, intégration réussie dans la CEE, assainissement des comptes publics, réforme de l’école, réforme de la fiscalité, etc... A la différence d’Emmanuel Macron, le Général de Gaulle a pu compter sur des personnalités provenant d’horizons variés, les compagnons de la Libération, des fidèles comme Georges Pompidou, des jeunes talents qui s’étaient illustré dans l’armée comme Valéry Giscard d’Estaing. Emmanuel Macron manque de relais aujourd’hui au sein de la société civile, au sein des élus de terrain.

Emmanuel Macron pour réussir devra certainement mieux sérier ses objectifs et faire œuvre de pédagogie. La France est, en 2018, plus dépendante de ses partenaires qu’en 1958. De ce fait, Emmanuel Macron devra être en capacité d’imposer ses vues à l’Allemagne et aux autres Etats membres. Cela passe par une restauration de l’économie française et des comptes publics. En la matière, il reste du pain sur la planche.

Enivré par sa victoire surprise, le nouveau Président est présent sur tous les fronts. Il aime prouver que rien ne lui résiste qu’ils s’appellent Jean-Louis Bourdin ou Edwy Plenel. Mais au-delà du ring médiatique, il devra convaincre du bienfondé de sa politique sur la durée.

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