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LR face au feu des traqueurs de démagogie. Soit. Mais qui propose des solutions convaincantes aux yeux des Français ?
©Eric CABANIS / AFP

Terrorisme

La charge lancée par Wauquiez, qui a demandé un durcissement de la législation contre le terrorisme est aujourd'hui abondamment critiquée dans la presse et le monde politique, et ce même par ses anciens alliés.

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe, docteur d’État, hdr., est directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé dans la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, derniers livres : « L’art de la guerre idéologique » (le Cerf 2021) et  « Fake news Manip, infox et infodémie en 2021 » (VA éditeurs 2020).

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Guillaume Jeanson

Guillaume Jeanson

Maître Guillaume Jeanson est avocat au Barreau de Paris. 

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Atlantico : La charge lancée par Wauquiez, qui a demandé un durcissement de la législation contre le terrorisme est aujourd'hui abondamment critiquée dans la presse et le monde politique, et ce même par ses anciens alliés (par exemple Franck Riester). En sortant des considérations politiciennes qui entourent ce débat, le problème n'est-il pas qu'aujourd'hui lié au constat d'une certaine frilosité à prendre en compte deux questions importantes et liées : celle de la gestion de la menace actuelle et de l'exaspération grandissante ? 

François-Bernard Huyghe : Que faire pour gérer la menace actuelle ? A mon avis, cela ne se résoudra pas en adoptant une dixième ou onzième loi anti-terroriste comme il y en a eu 9 ou 10 depuis les attentats du GIA en 1995 ! Le troisième plan d’antiradicalisation d’Edouard Philippe a plutôt échoué, il faut le reconnaître. Et c’est pas l’état d’urgence qui changera quoi que ce soit. Les problèmes qu’on a sont d’abord des problèmes de renseignements. Cela concerne en premier lieu les fichés S, et parmi eux ceux qui sont suspects de djihadisme, parce que vous pouvez aussi l’être quand vous êtes identitaire. Il y a aussi le fichier des personnes en cours de radicalisation ou susceptible de radicalisation. Le problème, c’est qu’une fois toutes ces personnes  additionnées, vous obtenez des milliers de gens, c’est la fameuse zone grise. Et même pour le fichier S, ce n’est pas un fichier pour surveiller certaines personnes, c’est un fichier pour donner des instructions au cas où la police ou l’administration devrait avoir à faire avec une personne inscrite dans ce fichier. Ces gens, en principe, ont certes souvent été condamnés pour des questions de droit commun, mais ne font pas l’objet d’un mandat d’arrêt. Ils ne sont que suspects, par exemple, d’aller sur les réseaux sociaux djihadistes. Il n’y a donc pas d’instruction qui soit ouverte contre eux, et en droit français ils disposent du droit de se balader dans la rue comme vous et moi.

Le vrai problème, semble-t-il, est qu’il faut qu’on passe d’un repérage de gens qui vont dans une mosquée salafiste, participe à tel réseau ou fréquente M. X ou Y, etc. à de la vraie analyse qualitative, c’est-à-dire déceler le passage à l’acte chez quelqu’un. Le cas qu’on a raté à Trèbes était en dessous des radars, avait été convoqué à la DCRI… mais entre temps le mal était fait. 

Il ne faut pas pour autant accabler les policiers. Il y a beaucoup de services, beaucoup de bureaucratie, et on sait qu’ils font bien les 39 heures. On a pas assez d’effectifs pour suivre tout le monde de toute façon, et la France ne serait pas un pays très agréable si on les avait. 

Il faut dès lors qu’on arrive à avoir du renseignement qualitatif, capable de capter les signaux faibles. Alors évidemment, comprendre que quelque chose se passe est beaucoup plus compliqué qu’on ne le croit. Dans le cas de Trèbes, le terroriste avait cessé de communiquer avec sa petite amie (elle aussi radicalisée) par téléphone mais utilisaient une messagerie codée Telegram. Pour donner le change, elle faisait le dos rond… Bref, parfois c’est le fait de disparaitre des radars qui peut être un signal d’alerte. Cela montre la difficulté et la nécessité d’un renseignement hyper-qualitatif. 

Evidemment ce n’est pas tout, il y a aussi le problème des prisons, la question de savoir comment on peut faire en sorte qu’on ne se radicalise pas en prison. Et il y a aussi le problème qui est qu’on ne sait pas faire du contre-discours. On a certes engagé quelques agences de communication qui ont fait des publicités un peu ridicules, mais on ne sait toujours pas faire ça. Comment répondre aux aspirations des Français ? Le problème est que c’est un peu l’attentat de trop, parce qu’il reprend complètement le mode opératoire de Coulibaly. Je vole une voiture, je tire sur un policier et je vais me faire abattre en prenant des otages dans un supermarché. Et comme lui, sa compagne joue un rôle en tant que radicalisée elle aussi. 3 ans après, c’est à peu près la même chose. Le public est exaspéré par ça, et évidemment exaspéré par le fait que 6 fois sur 10, on se rencontre qu’il était fiché S. Et cela remonte jusqu’à Merah. 

Il y a aussi d’autres facteurs, le premier étant que Macron arrivant, il était un peu triomphaliste, il parlait d’une victoire définitive en Syrie, comme s’il décapitait là-bas le monstre. L’atmosphère était à l’ouverture, à l’optimisme, et on ne parlait pas tellement des sujets sécuritaires. L’autre facteur est que jusque-là on avait des martyrs, des victimes, qu’on déplorait. On s’identifiait aux victimes. Mais là, on a un héros. Beltrame ne peut pas être qualifié autrement. Il change considérablement l’atmosphère. Mais il y a un sentiment de redite malgré tout.

Guillaume Jeanson : Plus encore que l’exaspération grandissante, on sent poindre un phénomène de lassitude et de résignation. Le danger est là. Car il risque de nous conduire à l’immobilisme fatalise alors que les plus grandes menaces restent devant nous. Il ne s’agit pas de verser dans l’utopie non plus. Bien sûr que le risque zéro n’existe pas. Bien sûr qu’une partie non négligeable du combat qui doit être mené est d’ordre culturel. Bien sûr que cette problématique dépasse de loin les frontières de l’hexagone. Pour autant, il faut impérativement s’affranchir des considérations politiciennes qui polluent et décrédibilisent ce débat. Beaucoup a déjà été fait, aujourd’hui les autorités tâtonnent, de façon compréhensible, sur certains sujets telles que ce qu’on appelait encore récemment avec beaucoup de prétention « la déradicalisation ». Et beaucoup reste sans doute à faire.

Pas forcément de manière spectaculaire. On voit mal par exemple en quoi un retour en état d’urgence changerait réellement la donne. Non, l’important est de fuir l’idéologie, de faire montre de pragmatisme pour s’adapter au réel. Pour s’adapter à cette menace qui mute suivant le recul territorial de Daech, son redéploiement sur d’autres zones de conflit et la réorganisation qu’elle implique dans ses rangs. Ce dont nous avons besoin, c’est de poursuivre les améliorations déjà à l’œuvre. Impossible d’être à cet égard exhaustif ici mais pour esquisser quelques pistes, il faudrait déjà améliorer la question du fichage. Les préconisations répétées d’Hugues Moutouh quant à la réforme de la fiche S mériteraient à cet égard d’être écoutées en plus haut lieu. La question du partage de certaines informations sensibles, avec la justice notamment, est également importante pour que les décisions prises gagnent en efficacité. La lutte contre la délinquance de droit commun est elle-aussi essentielle.

La plupart de ces terroristes sont avant tout des délinquants de droit commun. La réforme de la justice qui s’annonce doit donc impérativement favoriser l’effectivité des peines et la rapidité de leur mise à exécution pour rétablir une autorité aujourd’hui largement défaillante, et ce, malgré les efforts et le dévouement d’une bonne partie du personnel judiciaire. Lutter contre les zones de non droit est enfin un défi majeur. Il pose la question de l’économie parallèle du trafic de drogue, des moyens financiers colossaux qui y sont associés et confère des bases arrière à ceux qui se sont jurés de détruire notre mode de vie. Nous ne pouvons pas raisonnablement les laisser perdurer.

Comment lutter dès lors concrètement contre le terrorisme ? Sans tomber dans un Etat policier, faut-il envisager certains durcissements tels qu'un "aménagement" des droits fondamentaux ? Notre bloc constitutionnel n'est il pas une garantie suffisante pour pouvoir aller plus loin ? 

François-Bernard Huyghe : Dans l’Etat de droit actuel, ce qui protège actuellement les djihadistes est qu’on ne peut rien faire contre eux tant qu’ils ne sont pas inculpés, tant qu’il n’y a pas un début d’exécution ou des intentions manifestes. Après, on rentre dans le domaine très glissant où on réprimerait les idées dangereuses. Cela rappelle les lois scélérates de 1894-96 contre les anarchistes. 

Après le droit a un arsenal d’inculpation possible. La question est dès lors de savoir si on peut en mettre d’avantage en prison et plus longtemps. Car personne n’envisagera l’expulsion après le raté de Hollande sur la double-nationalité. Et le problème en prison reste toujours présent : est-ce que sur place il n’y a pas un risque de durcissement ou de prosélytisme ? Et les peines sont loin d’être éternelles. Pour vous donner un exemple, il y a des personnes impliquées dans des attentats récents qui pourraient sortir en 2020-2022. On en reste donc à des solutions provisoires avec des risques multiples. Si vous lisez le dernier livre de David Thomson, vous vous rendez compte qu’en prison, on rencontre des anciens qui connaissent parfois des personnalités du GIA ou d’Al-Qaïda. Mais le problème, c’est que ce gouvernement, et Emmanuel Macron en particulier, me semble-t-il, a souvent occulté les raisons idéologiques du djihadisme. C’est-à-dire le fait que tout cela tient à la diffusion d’une croyance, pas à des problèmes psychiatriques. Psychiatriser est un danger. Et ce n’est pas parce que l’ascenseur social se remettrait soudainement à fonctionner que la situation s’améliorerait sur le coup. C’est une erreur, et Emmanuel Macron est rattrapé par ses erreurs. 

Je ne sais pas si vous connaissez le mot de Raymond Aron : « il ne sait pas que l’histoire est tragique ». C’est un peu ce que je dirai d’Emmanuel Macron. Il ne s’agit pas de problèmes techniques qui se résolvent avec de la « compétence » et de la modernité. 

Guillaume Jeanson : Il n’est pas question de se transformer en état policier. Pour autant, il faut avoir le courage d’affronter la question que pose la cour européenne des droits de l’homme par certaines de ses décisions. Si le travail effectué par ces juges est le plus souvent d’une importance considérable et mérite évidemment d’être salué, il n’en demeure pas moins que certaines décisions posent également un vrai problème quant à la faible latitude laissée aux pouvoirs publics chargés d’assurer la protection de leurs citoyens. Est-il normal que la France puisse être condamnée lorsqu’elle décide d’expulser une personne de nationalité étrangère déjà condamnée pour terrorisme ? Certes, je ne doute pas qu’un débat juridique puisse être mené.

Mais il me semble que sur des sujets aussi sensibles, le débat qui consiste à chercher où placer justement le curseur est tout autant politique. La question de la légitimité de ce qui s’impose et s’oppose à « l’expression de la volonté générale » devrait donc à ce titre pouvoir être posée et débattue sans hystérie et récupération politique aucune. La question du bloc constitutionnel soulève des difficultés assez proches. Celles de l’importance considérable qu’est venue prendre le conseil constitutionnel. D’abord à compter de 1971 avec cette décision accouchée par Gaston Palewski nommé pourtant à l’origine, ironie de l’histoire, par De Gaulle pour sa fidélité et non pour ses compétences. Cette fameuse décision liberté d’association (dont il se dit de manière cocasse qu’elle aurait été une mesure de représailles pour avoir été oublié par Pompidou des rangs des promus au grade de la grand croix de la légion d’honneur) est venue offrir, sous couvert de juridisme, un pouvoir considérable au conseil constitutionnel : celui de sanctionner non plus seulement l’incompatibilité des lois au texte technique de la constitution du 4 octobre 1958 mais également à toute une série de textes, à commencer par la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Le caractère éminemment général du phrasé de ces textes est donc en réalité venu nantir le conseil d’un pouvoir qui, derrière l’habillage du droit, ressemble tout de même farouchement désormais à un pouvoir d’appréciation politique. Un pouvoir qui vient donc endiguer le pouvoir qu’avait pourtant conféré le peuple à ses représentants, les parlementaires. La jurisprudence du conseil constitutionnel s’est ensuite multipliée avec la création de la question prioritaire de constitutionnalité qui est venue permettre un contrôle a posteriori, c’est à dire après promulgation de la loi lorsqu’une question se pose à l’occasion d’un litige. (Auparavant le seul contrôle possible était, rappelons-le, a priori, c’est à dire avant la promulgation de la loi). Or, en matière de terrorisme, on sait aussi que la jurisprudence du conseil constitutionnel est importante. Souvenons-nous par exemple du contentieux ayant conduit à la censure de l’infraction de consultation habituelle de sites djihadistes...

Les Français attendent une réaction forte de la part du monde politique. Les débats autour des thèmes de la laïcité, amplement relayés dans l'opinion depuis quelques mois, sont-ils adaptés à leurs angoisses ? La question est-elle d'ordre sécuritaire ? Ou faut-il repenser la gestion de l'immigration, comme par exemple en revenant sur le droit du sol, sur la possibilité d'obtenir la nationalité française tout en en refusant les valeurs ?

François-Bernard Huyghe : A mon avis, on ne va rien faire de très significatif et de très fort. Comme je le disais plus haut, on a déjà neuf lois contre le terrorisme et ce n’est pas Edouard Philippe qui va trouver la dixième et la bonne. Et on sait que même si on changeait les lois, les cours de Justice, le fichage, les prisons, cela serait encore compliqué. Plus de moyens ne garantit rien. 

Aujourd’hui, il faut comprendre la mentalité de l’adversaire. J’ai récemment étudié la propagande francophone de Daech, et ce n’est pas difficile de le faire, en ce sens que ces gens-là écrivent. Ils écrivent de la théologie, des justifications, des analyses etc. dans des revues avec des sourates du Coran. Mais les autorités refusent de considérer leurs productions comme relevant de l’idéologie, mais de psychologie, de sociologie… etc. Et ce même s’il s’agit d’idéologie difficile à combattre comme l’Islam, qui promet la conquête du monde, le Paradis et la Vengeance, trois choses très attirantes même pour des personnes qui ne sont pas musulmanes. Ce qui est le cas de la petite amie de Radouane Lakdim. Il faut donc du contre-discours en tenant compte de leur mentalité. Encourager la visibilité des imams qui condamnent le satanisme et le djihadisme. 

Il faudrait aussi être capable d’infiltrer et intoxiquer les cellules djihadistes. Pour l’instant, Edouard Philippe joue la solution de facilitéé en promettant que cela sera dur et long, ou du sang et des larmes. Alors oui, il n’y a pas de solutions miracle, et cela durera longtemps, au moins une génération à mon avis. Entre Wauquiez et Philippe, il y a, il faut l’avouer, un peu de théâtre politicien. 

Enfin, il y a la question de la perte de contrôle sur certains quartiers, qui ne sont pas contrôlés par Daech certes, mais qui sont aux mains des islamistes les plus durs. C’est le cas du quartier Ozanam à Carcassonne par exemple, où certains habitants n’avaient pas l’air de regretter les attentats.

On ne sait pas faire de contre-discours, pas plus que de la déradicalisation, où on gâche des millions en confiant des centres à des associations sans toujours en voir l’utilité, du moins immédiate. Mais on rentre dans un autre débat…

Guillaume Jeanson : Il est évident que d’autres questions se mêlent à la problématique judiciaire et sécuritaire. La difficulté pour le politique est donc d’assurer une transversalité cohérente de sa politique, en se refusant à faire l’autruche. Repenser la question que vous évoquez, celle de l’immigration, c’est me semble-t-il déjà ce que le gouvernement essaie de faire, bien qu’il le fasse avec un cheminement pas toujours lisible pour les citoyens. Ce qui peut nourrir certaines inquiétudes. Surtout lorsqu’on assiste à des situations catastrophiques, comme celles vues récemment à Mayotte. 

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