LR : un seul atout vous manque et tout est dépeuplé…<!-- --> | Atlantico.fr
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Christian Jacob, président des Républicains, prononce un discours lors d'une réunion du parti, à Paris, le 6 juillet 2021.
Christian Jacob, président des Républicains, prononce un discours lors d'une réunion du parti, à Paris, le 6 juillet 2021.
©ALAIN JOCARD / AFP

Objectif 2022

Les candidats à l’investiture LR peinent à exister et à s'imposer dans le débat. Cet espace libre a-t-il contribué à laisser Eric Zemmour prospérer ?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Alors que la campagne présidentielle démarre progressivement, les prétendants à l’investiture LR peinent à exister dans le débat. Ces derniers jours, ils semblent même avoir des difficultés à tenir une position cohérente sur les sujets qu’ils abordent. Le principal défaut des candidats LR est-il ce manque de détermination et de capacité à assumer leurs idées ? Sont-ils dans l’incapacité à résister aux pressions et intimidations venant du reste de la société ?

Christophe Boutin : Il y a en fait deux questions. Vous évoquez d’abord chez les Républicains « un manque de capacité à assumer leurs idées », mais encore faudrait-il qu'il y ait des idées communes, et c'est le premier point à examiner. Si, en effet, les Républicains de 2021 peinent tant à avoir, comme vous le dites encore, « une position cohérente sur les sujets qu'ils abordent », la faute en est avant tout, et une fois de plus, à l'incapacité qu’a eu ce parti politique à définir un corpus cohérent. Né de la fusion des gaullistes du RPR et des centristes de l'UDF, destiné à servir d’écurie présidentielle (ne s’est-il pas appelé Union pour la Majorité Présidentielle ?), rassemblant, pour certains d’entre eux au moins, des d’élus principalement occupés de faire valoir leur rente de situation dans la perspective électoraliste de ce bipartisme à la française que quelques auteurs voyaient nécessairement advenir et durer, ce parti ne s’est en fait jamais attelé à cette tâche de définir ses principales orientations. Il est vrai que cela pouvait sembler bien inutile et secondaire si l’on partait du principe que l’électeur de droite avait vocation à continuer à voter pour ses membres jusqu’à la fin des temps, peu importe sur quel programme – et il faut bien dire que ce calcul n’était pas nécessairement faux !

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Reste que, faute de définition du dit corpus, nous avons depuis des années un parti qui est une auberge espagnole, mêlant par exemple, sur la question de la place de la nation, les gaullistes souverainistes et les centristes européistes, en économie les colbertiens et les mondialistes, ou les protectionnistes sociaux et les libéraux dérégulés, et dans le domaine sociétal les conservateurs et les progressistes. Mais le système a tellement pris l’eau que le coup de boutoir d’Emmanuel Macron en 2017 l’a fait voler en éclats : même en tenant compte des départs de ceux qui ont cru bon de quitter le parti, soit pour rejoindre le Rassemblement national, soit pour rejoindre La République en marche, soit, sans en faire partie, pour travailler avec cette dernière, soit pour créer leur propre boutique, comme l'ont fait Xavier Bertrand et Valérie Pécresse, ceux qui en sont restés ne sont toujours pas d’accord sur la ligne à suivre… sauf sur un point : ne surtout pas faire de vagues, et, pour cela, ne pas désespérer la gauche culturelle.

Car, à votre deuxième question, celle de savoir si les Républicains ont su résister « aux pressions et intimidations venant du reste de la société », la réponse est bien évidemment négative. Comme d’ailleurs toute « la droite » dans son ensemble depuis quarante années, les Républicains ont globalement capitulé devant le pouvoir intellectuel d’une gauche contrôlant les médias, l'éducation, et jouant de divers groupes de pressions pour obliger ses opposants à se conformer à sa doxa.

C’est d’autant plus facile que certains LR sont, au fond d’eux-mêmes, persuadés que cette gauche sociétale a raison : n'oublions pas que Jacques Chirac n’a jamais été qu’une sorte de radical-socialiste - et les « bébés Chirac » sont toujours dans cette ligne -, ou que les centristes ne se sont retrouvés poussés à droite au fil du temps que par l'apparition de nouveaux partis de gauche plus radicaux, mais qu’ils viennent de cette gauche. Facile alors d’épouser les lubies sociétales en protégeant ses acquis sociaux, et d’autant plus facile que la gauche fit le chemin inverse, renonçant aux réformes sociales pour réserver son indignation au sociétal. Bien sûr, il y eut à droite des résistants qui tentèrent de faire valoir des idées et de s’opposer à la dérive, Marie-France Garaud ou Philippe Seguin pour prendre des exemples anciens, mais ils furent minoritaires et ostracisés. Bien sûr aussi, dans le vrac de ce qu’est aujourd’hui LR, tout n’est pas libéral-libertaire, mais ceux qui tentent d’imposer une autre ligne peinent à se faire entendre.

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Cette défaite en rase campagne devant les bataillons « intellectuels » de gauche passe avant tout, plus encore que par le vote de ces textes qui, fil après fil, défont la trame de notre nation, ou que par le respect jusqu’à l’absurde de ce « cordon sanitaire » qui aura incapacité politiquement cette droite depuis que François Mitterrand fit monter le Front national, par l’abandon dans son discours de tout concept sur lequel la gauche a un jour jeté son interdit. On sent chez ces élus la peur panique de se voir tancés pour un mot, pour une formule, une peur qui n’est d’ailleurs pas sans raisons, puisque la mort sociale et politique peut être la conséquence d’une banale plaisanterie montée en épingle par les ligues de vertu gardiennes du Vrai, du Bien, du Beau et du Juste. Mais la politique est un combat où l’on ne peut pas se permettre de lutter avec une main attachée dans le dos, et un monde dans lequel la maîtrise du vocabulaire est essentielle.

Cet espace libre a-t-il contribué à laisser Éric Zemmour prospérer ? Les Républicains alternent-ils entre rejet et mimétisme sans compréhension des vrais enjeux de cette pré-campagne ?

Bien sûr, la place ainsi laissée libre par une droite qui ne s’assumait pas en tant que telle, dénonçant dans nombre de ses discours le conservatisme ou la réaction, ouvre grand l’espace à un discours que l'on peut qualifier de « discours de rupture », de « discours clivant » tant il choque par rapport au triste et nauséeux écoulement verbal du politiquement correct, mais qui, en fait, consiste simplement pour son auteur à dire… ce qu’il voit. Le discours d'Éric Zemmour, qui rompt justement avec un certain nombre de ces tabous portant sur le vocabulaire, remettant à l’honneur des concepts oubliés, posant des questions interdites, est un discours à la fois oublié et attendu, comme celui qu’avait tenu – quoiqu’évitant certaines des thématiques de Zemmour - Nicolas Sarkozy en 2007. Oublié et attendu parce que nombre de Français ne supportent plus les euphémisations, les non-dits, les circonvolutions ou les mensonges qui forment le bruit de fond des médias mainstream. « On ne peut plus rien dire » ; « il dit tout haut ce que tout le monde pense », il y a une véritable libération de la parole, que l’on peut retrouver aussi sur les réseaux sociaux.

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Et LR ? Une fois que le discours de rupture (et/ou de vérité) a été tenu, une fois que le premier a couru le risque de transgresser le tabou, ceux qui ne l'ont pas osé auparavant se trouvent de facto totalement dépassés. Que peuvent-ils faire ? S’excuser de leurs petites lâchetés, plaider leur incompréhension du problème ne les grandira pas. Il leur reste, et je reprendrais volontiers les deux termes que vous donnez, « rejet et mimétisme ». Le rejet, d’abord, d’une part pour ne pas s’attirer les critiques de cette gauche intellectuelle encore bien présente et tant redoutée, et, d’autre part, pour tenter de circonscrire un territoire qui soit le leur, un lieu d’où parler. Mais le mimétisme ensuite, prouvant que la politique sait aboutir aux mêmes merveilles que la nature. On connaît en effet, que ce soit pour éviter des prédateurs ou, au contraire, attirer leurs proies, ces mouches qui se déguisent en guêpes, ces papillons en serpents, ces mantes religieuses en fleurs. Comme dans les meilleurs reportages nature de la BBC, voici maintenant Michel Barnier dénonçant le pouvoir de l'Union européenne, Xavier Bertrand et Valérie Pécresse bientôt plus sécuritaires en France que Duterte aux Philippines, les trois n’ayant que le mot referendum à la bouche quand ils se sont fort bien accommodés de l’escroquerie sarkozienne d’un traité de Lisbonne écartant le « non » des Français au référendum de 2005… Et ce n’est pas fini, puisque leur combat de titans continue au sein de LR, et qu’ils ont de nombreux retours d’une base qui est très largement en accord avec le discours d’Éric Zemmour. Il n’est pas certain pourtant que ce soit aussi payant pour eux que pour les animaux évoqués : on connaît l’adage selon lequel on préfère l’original à la copie.

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La question est en fait ici celle de la crédibilité de tel ou tel pour tenir ce discours « déterminé ». Ce que l’on peut noter, c’est qu’Éric Zemmour le tient depuis quelques dizaines d'années maintenant, sans avoir vraiment varié. Il l’a tenu et maintenu sur les plateaux de télévision ou dans ses écrits, malgré les menaces et les attaques, malgré les procès, en sorcellerie… ou en justice. Cela suffit à la distinguer de nombre des LR qui prennent aujourd’hui une telle position. Il a aussi cette particularité, rigidifiant même parfois de manière un peu excessive sa posture, de refuser de faire la moindre concession, non seulement à la doxa progressiste et à ses grands-prêtres, mais aussi à ce sentimentalisme bêlant et lacrymal qui envahit la politique autour d’émouvantes historiettes personnelles et devant lequel la raison d’État est censée céder. Là encore, il est bien le seul.

Que reste-t-il aux LR ? À manger leur chapeau en public ? Ils le mastiquent tous les jours avec un bel entrain, nous le disions, mais les électeurs y verront-ils l’effet d’une conversion mystique ou d’une simple manœuvre ? Rien n’est dit, rien n’est joué, une grande partie de la réponse tenant aussi dans la capacité qu’aura Éric Zemmour de toucher une France périphérique qui a fait le choix de l’abstention pour la ramener aux urnes derrière un idéal fédérateur. Mais si les choses continuent à ce rythme, LR sera bientôt pris en sandwich entre Horizons, le parti créé par Édouard Philippe, qui peut assez facilement sans doute récupérer une part non négligeable de ses cadres de sensibilité centriste, éventuellement macrono-compatibles, et un éventuel parti qui serait créé pour assurer aux législatives la suite de la candidature d'Éric Zemmour à la présidentielle, et qui prendrait place entre LR et le RN, empruntant certainement des électeurs aux deux.

Se rallier alors, comme l’ont fait certains LR derrière Emmanuel Macron 2017 ? Un tel ralliement serait surtout un risque… pour Éric Zemmour. En effet, en dehors du fait, et on l’a bien vu avec LREM, qu’il est finalement peu utile d’accepter dans ses rangs des seconds couteaux analphabètes ou des traîtres patentés quand on veut créer une vraie force politique, et même s'il est exact qu'il faudra des appuis locaux, une candidature hors-normes comme celle de celui… qui n’est d’ailleurs pas encore candidat, une candidature « de rupture » en tout cas, peut difficilement s’accommoder du soutien de politiques trop ouvertement parties prenantes du système dénoncé. Il y a là une vraie question.

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