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Londonistan : Comment la police britannique s’est attaquée
aux réseaux islamistes
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London(istan) calling

Vendredi, la police française a lancé une vague d'arrestations contre des militants islamistes radicalisés. Une réaction policière forte dans la continuité de la tuerie de Toulouse. Comment les forces de sécurité britanniques avaient-elles réagi suite aux attentats de Londres, en 2005 ? Retour sur deux cultures policières et politiques face à l'islam radical.

Dominique Thomas

Dominique Thomas

Dominique Thomas est chercheur à l'Ehess, spécialiste des mouvements islamistes.

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Atlantico : En 2005, suite à la vague d’attentats qui a frappé Londres, les autorités britanniques ont-elles fait preuve de la même intransigeance au sein des milieux islamistes radicalisés que la France aujourd’hui, suite au drame de Toulouse ?

Dominique Thomas : Les Britanniques ont réagi progressivement depuis 1998. Les premières arrestations qui ont frappé les milieux islamistes radicaux de Londres faisaient suite à une enquête qui avait remonté des réseaux d’Al Qaïda responsables des attentats de Nairobi et Dar-es-Salam.

Il y a eu une réforme du Terrorism Act Order comprenant l’ajout de plusieurs groupes islamistes. Tout élément appartenant à l’une de ces organisations était passible d’être arrêté. Progressivement, après 2001, ils ont ajouté des pouvoirs accrus pour la police en termes de garde à vue et d’arrestations préventives qui ont entraîné un certain nombre d’actions hostiles de la part de la communauté musulmane de Grande-Bretagne. Un renforcement de la législation qui a atteint son sommet juste après 2005.

Au fil des années, des prédicateurs se sont vus interdits de prêche pour incitation à la haine raciale. Des mosquées ont été fermées. Des prêcheurs comme Abou Qatada et Omar Abou Hamza ont été incarcérés suite à différentes affaires en cours sur cette période.

Au fur et à mesure, les Britanniques se sont impliqués dans ces différentes lois. Ils ont pris des mesures contre les mouvements islamistes qu’ils estimaient être à la marge de l’espace de liberté qu’ils leur avaient accordé.

2005 a changé quelque chose dans l’imaginaire et dans la symbolique. Ces actions ont été commises par des gens qui étaient nés en Grande-Bretagne ou qui vivaient sur le sol britannique.C’était des British muslims, des voisins qui ne venaient pas de l’extérieur. Ils ont découvert des vidéos enregistrées au Pakistan et en Grande-Bretagne par un prédicateur à l’accent du Yorkshire, revendiquant les attentats et stigmatisant l’action des soldats en Irak.

L’opinion britannique est alors choquée : la menace vient de l’intérieur. Les regards se sont portés sur tous ces mouvements qu’ils avaient laissé émerger. Mais tous n’étaient pas inscrits dans la violence. Il y a eu un important travail de contact, de dialogue, totalement différent de l’approche française qui reste imprégnée de laïcité. Les Britanniques n’éprouvent aucune gêne vis-à-vis de l’islam. Ils ont cherché à lutter contre la radicalisation en s’appuyant sur la communauté et sur les imams.

Qu'est ce qui caractérise la réaction britannique suite à ces attentats de 2005 ?

Depuis la fin des années 1970, il existe en Grande-Bretagne un muslim council (conseil musulman) qui servait de relais, de lien entre la société musulmane et les autorités britanniques. En France, le Conseil français du culte musulman (CFCM) a du mal à être représentatif et écouté.

2005 n’a pas amené les Britanniques à repenser leur fonctionnement mais à le renforcer. Ils ont voulu améliorer les liens avec la population musulmane pour identifier et isoler les éléments qui pouvaient se radicaliser et devenir dangereux. C’est aussi pour cette raison que les mouvements les plus radicalisés ont été dissous, changeant de nom plusieurs fois, jusqu’à devenir aujourd’hui Sharia4UK (Charia pour la Grande-Bretagne) qui est l’héritier des individus les plus extrémistes.

La démarche britannique est l’inverse de celle de la France qui a interdit à certains prédicateurs invités au meeting de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) au Bourget. Parmi ces prédicateurs, un seul a été interdit de séjour en Grande-Bretagne. Tariq Ramadan, par exemple, est tout juste toléré en France alors qu’il est titulaire d’une chaire  à l’université de Cambridge.

En 2005, au-delà de la perception populaire, les autorités britanniques ont-elles fait un lien entre les attentats et la tolérance qu’elles avaient envers les discours les plus radicaux ?

C’est surtout sur la seconde tentative de juillet, manquée, qu’il y a eu une mise en avant de réseaux. Les auteurs de cet attentat avorté ont été clairement reliés à la mosquée de Findsburry park. Dans le cas du premier groupe, la radicalisation ne s’est pas faite à l’intérieur du Londonistan. Elle s’est faite à la marge, probablement hors du territoire, via des réseaux pakistanais.

Pour la seconde vague, donc, les auteurs étaient des réfugiés originaires d’Afrique de l’est : Erythréens, Somaliens ou Ethiopiens. Ils avaient été en contact avec certains prédicateurs de la mosquée de Findsburry park. Ils suivaient les « supporters de la charia » dans le nord de Londres. De là, les autorités britanniques ont décidé de fermer cette mosquée et d’écarter tous les individus les plus radicalisés. Il convient d’ailleurs de noter que la plupart des personnes qui fréquentaient ce lieu de culte se regroupaient déjà à l’extérieur, l’accès à la mosquée étant interdit. Ils priaient autour de la mosquée. En 2005, tout le site a été transformé et transmis à des autorités religieuses du Conseil des musulmans.

Les autorités britanniques ont préféré transmettre le contrôle de la mosquée de Findsburry Park des mains des islamistes à celles d’une institution qui est pourtant proche des Frères musulmans. Une stratégie qui serait totalement inenvisageable en France.

Aujourd’hui, en Grande-Bretagne, tous les propos encourageant la violence, la haine raciale ou menaçant la sécurité nationale sont totalement proscrits. Pourtant, l’analyse de ces propos reste subjective et est soumise à des procédures judiciaires qui peuvent être longues. Des personnes radicalisées ont donc pu continuer à prospérer en toute tranquillité. Les efforts se sont surtout concentrés sur les réseaux qui étaient considérés comme potentiellement violents.

Les islamistes radicaux qui militent toujours en Grande-Bretagne, au sein du groupe Sharia4UK, sont-ils comparables à leurs homologues français de Forsane Alizza ?

Ils sont très différents. Sharia4UK est composé de gens dont les origines se situent au Pakistan, en Inde et au Bengladesh. Ils sont imprégnés par l’islam depuis leur naissance. Cet islam, ils l’ont cultivé dans la rupture avec la génération précédente, considérant que la pratique de leurs parents était trop légère. Au sein de ces populations, la religion est structurante. Identitairement, elle les différencie du reste des habitants de leurs pays d’origines. Pour les populations françaises originaires d’Afrique du nord, c’est différent, l’islam est moins fondateur.

Par contre, on trouve certaines similitudes. Les âges de ces activistes sont les mêmes : ils sont très jeunes, entre 15 et 25 ans. On trouve dans les deux groupes un nombre importants de natifs convertis. En Grande-Bretagne, on évoque beaucoup les « black muslims » originaires de quartiers où résident beaucoup de gens originaires de Jamaïque, par exemple.

On y trouve des prédicateurs radicaux comme le fameux Omar Brooks, connu aussi sous le nom d’Abu Izzadeen, qui est un converti à l’islam condamné à plusieurs reprises. Beaucoup des membres de ces groupes sont des gens qui ne sont pas spécialement exclus socialement. Ils travaillent et vivent dans des quartiers où le niveau de chômage n’est pas excessivement élevé. La jeunesse est en quête d’une identité au sein d’une société britannique au travers de laquelle elle ne se reconnaît pas.

Il y a eu des éléments communs au travers des deux groupes. Ils sont cependant beaucoup plus structurés du côté britannique. Il y a eu des contacts. Anjem Choudary, le leader de Sharia4UK, a eu des contacts avec Forsane Alizza. Il a été invité par ces derniers mais s’est vu refuser l’accès au territoire français. Il a d’ailleurs bien dû se rendre compte qu’il était face à des gens qui étaient en train de se former et qu’il fallait parfaire.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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