Loi Pacte : ce débat inutile et incontrôlable que va déclencher le gouvernement en voulant changer la définition de l’entreprise<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Loi Pacte : ce débat inutile et incontrôlable que va déclencher le gouvernement en voulant changer la définition de l’entreprise
©JEAN-PIERRE CLATOT / AFP

Atlantico Business

La loi Pacte préparée aux forceps par Bruno Le Maire veut inciter l’entreprise à prendre en compte des objectifs sociaux et environnementaux. Quels risques !

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

Voir la bio »

Quelle ambition que de toucher au Code civil ! En voulant modifier la raison sociale de l’entreprise, la loi Pacte s’attaque au plus solide monument juridique de l'administration française. Le Code civil, institué par Napoléon 1er, structure depuis le début du 19ème siècle le fonctionnement moderne de la société française. Dans tous les domaines à commencer par la sphère économique et sociale. 

Après un siècle des Lumières et une révolution libérale au 18ème siècle, le Code civil a définit l’entreprise comme un lieu de production de richesses dont l’objectif est avant tout de satisfaire les intérêts du (ou des propriétaires). Le Code civil a ainsi sacralisé le droit de propriété des actifs de production et donné au capitalisme l’outil juridique à partir duquel il pourra fonder son développement dans le monde entier. 

Parallèlement, le Code civil donne la responsabilité en dernier ressort de l’entreprise à ses propriétaires. 

En voulant élargir le champ de la raison sociale de l’entreprise aux contraintes sociales et environnementales, la réforme a provoqué un beau débat qui risque d’être assez incontrôlable. 

L‘idée d‘élargir la raison sociale ou la mission de l’entreprise à des objectifs sociaux et environnementaux est née auprès des syndicats, des think tank et des milieux patronaux. Beaucoup de patrons ont pressenti la difficulté que rencontraient beaucoup d’entreprises à faire accepter les évolutions modernes. La mondialisation et la financiarisation ont revêtu trop souvent un caractère anxiogène auprès des personnels et même des actionnaires, qu’il a souvent fallu multiplier les communications et amortir les dérives court-termistes. Ne parlons pas des dégâts sur l’environnement induits par une croissance trop rapide. 

En clair, pour beaucoup de patrons, la préservation de l’entreprise passait par des efforts pour se faire accepter. 

La plupart de ces patrons avaient raison. Mais de là à graver dans le marbre du Code civil, des engagements autres que l’optimisation ou l’équilibre financier pour le propriétaire responsable, il y avait une marge que la plupart ne voulaient pas sauter. Et pour cause, pas question d’ouvrir la porte à une multitude de recours ou de contentieux en cas de non respect des objectifs. Pas question de prendre le risque de « class-action » en rafale. C’était condamner l’entreprise. 

Ça revenait surtout à remettre en cause le sacro saint droit de propriété. Donc toute la structure de l’économie de marché. 

Bruno Le Maire a donc chargé deux personnalités de trouver un compromis acceptable pour éviter le psycho drame lors des discussions au parlement.

Un binôme complémentaire avec Nicole Notat (ex Cfdt et maintenant Vigeo Euris spécialisé dans l’évaluation sociale des entreprises) et Jean-Dominique Senard (président de Michelin, qui aurait voulu briguer la tête du Medef mais n’a pu faute de limite d’âge) ont donc auditionné des centaines d’acteurs du monde des affaires. Au bout du compte, ils ne suggèrent pas de toucher à l'article 1832 du Code civil, ils proposent de compléter l'article 1833 par une dimension « sociale et environnementale », qui n'y figurait pas jusqu'à présent.

En fait, le rapport n’évoque pas les « parties prenantes » dans le Code civil, ce qui aurait pu être effectivement dangereux sur le plan juridique. « Il n'y a pas de parties prenantes en général, mais des parties prenantes entreprise par entreprise », a expliqué Jean-Dominique Senard.  A chaque entreprise, donc, de définir quelles sont les parties prenantes qui sont les plus importantes pour elle. Ce sera donc au conseil d’administration de définir la « raison d'être de l'entreprise ».

L'intérêt de ce compromis est d'obliger le conseil d'administration à se prononcer sur les objectifs globaux poursuivis par l'entreprise, au-delà du seul profit donc, mais en laissant les membres du conseil choisir eux-mêmes quels types d'objectifs sont les plus pertinents. 

Avec une telle formule, on échappera sans doute à un débat quasi religieux (et bien inutile) sur la définition de l’entreprise puisque on renvoie le problème à la responsabilité du chef d’entreprise et de ses propriétaires.

Beaucoup de chefs d’entreprise considèrent que leur obligation est de marier les différents intérêts de ceux qui participent à la vie de l’entreprise. 

Le client doit être content. Il faut donc le servir. Les salariés doivent être contents, il faut donc que leur travail ait un sens et soit correctement rémunéré. Quant aux actionnaires, ils doivent eux aussi avoir les raisons de rester dans l’entreprise. Ces raisons sont financières mais pas seulement. On peut donner à des actionnaires la fierté d’appartenir à la communauté de l’entreprise. Ne parlons pas des contraintes environnementales. L’entreprise doit évidemment tenir compte de son empreinte écologique pour être tolérée et acceptée par son environnement. Les chefs d’entreprise qui réussissent savent en général trouver le bon compromis entre ces différents intérêts. C’est d’ailleurs l’intérêt de tout le monde que toutes les parties soient satisfaites. Donc c’est forcément l’intérêt de l’entreprise. 

Est-ce que de rendre obligatoire le respect des contraintes aurait changer l’ordre des choses? Sans doute, le caractère obligatoire aurait perturbé la vie de l’entreprise en lui imposant des contraintes qu’elle ne pouvait peut-être pas assumer. 

Par contre, le caractère optionnel a une vertu pédagogique. Le client qui achète, le salarié qui embauche ou l‘actionnaire qui investit auront tout le loisir de s’interroger sur les avantages et les déficits de telle ou telle entreprise. Le respect des contraintes sociales et environnementales apportera un plus au niveau de son image auquel il serait difficile de résister. 

La question sera cependant de savoir clairement ce qui est du ressort de l’entreprise et ce qui est du ressort de l’Etat. La loi Pacte, les dispositions obligatoires ou incitatrices ne doivent pas exonérer l’Etat de ses propres missions. C’est à l’Etat et pas au conseil d’administration de fixer des normes sociales, c’est à l'Etat de définir des chartes de qualité pour les produits. C’est à l’Etat d’imposer des normes environnementales et un prix du carbone par exemple. 

L’entreprise a besoin d’un Etat léger et souple, elle a aussi besoin d’un Etat libre, et courageux, clair dans sa régulation et simple dans son fonctionnement.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !