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Loi alimentation : pourquoi le texte pour l’équilibre des relations commerciales ne va rien arranger pour l’agriculture
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

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Très mal défendue par le ministre de l’Agriculture lui-même, la loi « pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable » dont l’examen a démarré hier à l’Assemblée nationale part avec un lourd handicap : toutes ses devancières n’ont eu que des résultats relatifs, en tout cas pour les agriculteurs.

Antoine Jeandey

Antoine Jeandey

Antoine Jeandey est journaliste et auteur de « Tu m’as laissée en vie, suicide paysan veuve à 24 ans ».

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WikiAgri est un pôle multimédia agricole composé d’un magazine trimestriel et d’un site internet avec sa newsletter d’information. Il a pour philosophie de partager, avec les agriculteurs, les informations et les réflexions sur l’agriculture. Les articles partagés sur Atlantico sont accessibles au grand public, d'autres informations plus spécialisées figurent sur wikiagri.fr

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Stéphane Travert, dans la vidéo institutionnelle du ministère de l’Agriculture censée expliquer les tenants et les aboutissants de la loi, est incapable de l’évoquer sans lire ostensiblement son texte. Regardez vous-même :

Cette loi représente pourtant, en principe, le point fort de la politique du gouvernement Macron / Philippe pour l’agriculture. Bien menée, elle doit réussir un tour de force : inverser la construction du prix, c’est-à-dire que le prix payé par le consommateur ne serait plus fixé par les grandes surfaces avec ensuite compression des marges de tous les intermédiaires jusqu’à l’agriculteur en amont, mais par l’agriculteur (afin de lui préserver un revenu). Plus exactement, le prix serait construit en partant du coût de revient de l’agriculteur. Et nous constatons tous, donc, que le ministre en exercice est incapable d’être suffisamment passionné par son contenu pour l’expliquer sans lire un texte… Ça commence bien !

Début janvier, WikiAgri avait ouvert ses colonnes à Xavier Hollandts, professeur en sciences de gestion à Kedges Business School, et cet éminent économiste posait alors la question essentielle : après les états généraux de l’alimentation, les agriculteurs pourront-ils enfin vivre décemment de leur travail ? (lire ici) Il se demandait alors comment, en pratique, pourrait s’opérer cette inversion des prix, et si vraiment l’agriculteur au final en profiterait. En effet, établir un coût de revient moyen, cela équivaut à léser ceux qui sont en-dessous de ce seuil, il faut donc aussi prévoir des mécanismes pour eux… Au moment où le texte, nanti de 17 articles avec 2600 amendements à discuter, arrive à l’Assemblée nationale, la question reste entière. D’autant que les amendements en question vont dans tous les sens (par exemple, faut-il préserver les publicités pour les produits phytosanitaires dans la presse agricole spécialisée, une mesure qui, si elle était adoptée remettrait en cause l’existence des ressources publicitaires pour ces supports, et donc leur survie, mais qui surtout n’apporterait rien de plus au revenu agricole). Bref, il est impossible aujourd’hui, avant la fin des débats, de savoir réellement où ira cette loi, comment va s’opérer cette fameuse inversion du prix, qui en définitive en profitera…

Sur son blog personnel, Michel-Edouard Leclerc se dit persuadé que la loi va entrainer une hausse des prix pour les consommateurs, mais que les agriculteurs n’en profiteront pas. Il écrit ainsi (source ici) : « Comme si la limitation des promos sur le Nutella et l'augmentation jusqu’à 10 % du Coca ou du Fanta allait ruisseler vers les producteurs agricoles français »

Autre aspect, si l’on regarde l’histoire des lois qui ont tenté de réguler le prix entre les grandes surfaces et leurs fournisseurs, on constate que jamais leur résultat n’est allé dans le sens d’une protection d’un revenu minimum pour le producteur de base. L’une a autorisé l’élaboration de marges arrière, la suivante les a interdites, mais sans aller au-delà en faveur du producteur… L’histoire ne plaide pas en faveur d’une loi qui aide concrètement les agriculteurs à préserver un revenu décent.

Plus qu’une loi, c’est un état d’esprit qu’il faudrait changer. L’acte de production (et pas seulement dans le domaine alimentaire d’ailleurs…) crée une richesse appelée à devenir nulle si ses acteurs ne survivent pas. Cette richesse nourrit du monde, toute une chaine d’intermédiaires. L’agriculture française s’est d’ailleurs longtemps enorgueillie du nombre éloquent de personnes vivant, directement ou indirectement, de son travail. Mais aujourd’hui, elle en souffre. Car les structures se sont alourdies, y compris celles qui dépendent du monde agricole, et lorsque tous les intermédiaires s’étoffent et prennent davantage de part de la richesse, celle-ci s’amoindrit de fait, jusqu’à mettre en danger le producteur initial. C’est donc dans l’intérêt de tout le monde de préserver ce producteur… Mais aussi de le pressuriser jusqu’à la limite du possible ! (à lire sur ce dernier point cet article paru sur WikiAgri) La loi peut-elle tracer cette limite et contenter tout le monde ? Pour que ce soit possible, il faut des interlocuteurs qui acceptent tous de revoir leur façon de fonctionner… Mais si tel était le cas, il n’y aurait plus besoin de loi, n’est-ce pas ?

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