Logement : pourquoi les prix ne baisseront pas avant 2014<!-- --> | Atlantico.fr
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Sur une période allant d'avril à juin, la construction de nouveaux logements a plongé de 14% par rapport à la même période en 2011.
Sur une période allant d'avril à juin, la construction de nouveaux logements a plongé de 14% par rapport à la même période en 2011.
©Flickr / Images_of_Money

A la rue

La chute du nombre de constructions de logements neufs se poursuit au deuxième semestre 2012. Alors que l'Etat n'a plus les moyens de maintenir les dispositifs de soutien de la demande, la pénurie perdure et s'aggrave, ce qui expliquerait une hausse des prix. Pour y répondre, le décret d'encadrement des loyers entre en vigueur ce mercredi. Suffisant ?

Michel Mouillart

Michel Mouillart

Michel Mouillart est professeur d'économie à l'Université Paris X, spécialiste de l'immobilier et du logement.

Il est le co-auteur de La modernité des HLM : Quatre-vingt-dix ans de construction et d'innovations (La Découverte, 2003).

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Atlantico :  Sur une période allant d'avril à juin, la construction de nouveaux logements a plongé de 14% par rapport à la même période en 2011. Quant au nombre de permis de construire accordés, il a chuté de 1,9% sur un an. Comment l’expliquer ?

Michel Mouillart : Trois causes alimentent cette chute :

Tout d’abord, la crise de la dette souveraine et les conséquences macroéconomiques pèsent énormément. D’une part sur le pouvoir d’achat des ménages, mais aussi sur la situation du marché de l’emploi. La remontée du chômage en est une des illustrations. Aussi la demande de logements a-t-elle fortement fléchi, les ménages ont renoncé à leurs projets, autant pour l’accession à la propriété que pour l’investissement locatif.

Ensuite, cette crise de la dette souveraine a provoqué un défaut dans le financement général de l’économie par les difficultés d’accès aux ressources de financement pour les établissements de crédits. Pour les ménages, cela se traduit par une raréfaction des prêts accordés. Et comme les autorités monétaires ont persévéré dans leur  volonté de mettre en œuvre les ratios de Bâle III, en plus de la raréfaction des ressources, cela se traduit par une diminution des durées des prêts qui sont accordés et une augmentation des apports personnels demandés. Les établissements de crédit essaient bien de préserver le marché au maximum, et les baisses de taux d’intérêt sur les crédits immobiliers que l’on constate depuis le mois de février le montrent bien. Mais au total, le volume des crédits qui permet de financer le secteur de la construction est en recul de l’ordre de près d’un quart par rapport au second semestre de 2011.

Enfin, la troisième cause est la situation budgétaire, qui a conduit les pouvoir publics, à la fin de l’année 2011, à revenir sur les dispositifs de soutien de la demande. C’est le cas du  dispositif Scellier en faveur de l’investissement locatif privé ; et du prêt à taux zéro, qui vient en appui de la demande des primo-accédants.

Sans surprise, quand on met tout cela bout à bout, on a ce résultat : sur le deuxième trimestre 2012, la construction neuve a chuté de 14% par rapport à la même date un an auparavant. Pour le premier semestre de l’année, comparé aux six premiers mois en 2011, la chute a été comparable : 13,4%. La chute n’est donc pas nouvelle. Elle s’est amorcée au début de l’année 2012 et elle est encore plus forte que par rapport au deuxième semestre de 2011 et de l’ordre de 25%.

Quel lien entre la construction locative sociale et cette crise ?  Construit-on assez de logements sociaux par rapport à la demande ?

Dans le paysage que nous avons décrit pour le premier semestre 2012, la baisse de la construction est portée, pour les 2/3, par le recul de l’accession à la propriété et par le recul de l’investissement locatif privé, pour 1/3.

Il est clair que la construction locative sociale n’a pas encore amorcé le fort recul attendu. En 2011, le niveau de la construction locative sociale a été de 105 000 logements mis en chantier, ce qui un des chiffres les plus élevés depuis les 30 dernières années. Compte tenu des projets, on aura une centaine de milliers de mise en chantier en 2012.

Le grand recul n’est donc pas encore là. Mais on constate une panne. Mécaniquement, le recul va s’accélérer en 2013. Et les dispositions publiques nouvelles ne viendront pas modifier cette tendance tout de suite, il faut attendre un an et demi ou deux ans. Donc la baisse de la construction locative sociale est bien devant nous.

Derrière cette baisse sont effectivement à l’œuvre des causes diverses : la situation budgétaire de l’Etat, des collectivités locales et du 1% logement rendent la mobilisation des ressources de plus en plus difficile. Faute de ces subventions, il est difficile de construire plus de logements locatifs sociaux que ce qu’on fait actuellement. Ce n’est pas un problème de financement par le livret A puisque les ressources de livret A sont suffisantes, c’est un problème de niveau des subventions.

Jean-Marc Ayrault a renouvelé l'engagement de relever le seuil de logements sociaux pour les villes de plus de 3500 habitants de 20% à à 25%. Est-ce une mesure positive pour la crise du logement ?

S’il n’y a pas suffisamment de subventions, la recette pour accroître le niveau de la construction locative sociale consiste à augmenter le pourcentage de logements locatifs sociaux nécessaires pour respecter la loi. Elle va obliger les collectivités locales, même si leurs capacités de financement ne leur permettent pas, à s’engager dans des programmes de constructions supplémentaires. Donc a priori, on peut estimer que c’est une réponse à l’une des causes du manque de constructions en 2013 et 2014.

Mais souvenons-nous que ce sont 100 000 logements locatifs sociaux en chantier en 2012 sur 360 000 logements attendus au total. Donc forcément, ce n’est pas uniquement par la construction locative sociale qu’on répondra au besoin de construction qui existe partout. Et justement, ce « partout » pose une question : passer à 25% de logements locatifs sociaux ne fera pas venir les constructions locatives sociales sur les territoires des communes rurales ou des petites villes de province où il n’y a pas de logements locatifs sociaux aujourd’hui. Or la demande de ce type de logements est partout, sur l’ensemble du territoire, y compris dans les communes rurales.

On comprend donc qu’il puisse y avoir une disposition d’urgence, mais ce n’est peut-être pas celle-ci qui, en soi, viendra solutionner le problème que nous connaissons aujourd’hui.

On a besoin, de toute façon, de construire 450 000 voire 500 000 logements locatifs sociaux par an. C’est reconnu par à peu près tout le monde. Cette année, nous en ferons un peu plus de 350 000, comme l’année prochaine. Donc, déjà sur deux ans du quinquennat, 300 000 logements n’auront pas été construits par rapport à l’objectif des 500 000.

Donc, si l'on veut élever le nombre de constructions rapidement, il est positif de jouer sur la construction locative sociale, dont on a besoin, mais l’essentiel est l’accession à la propriété. Et il n’y a pas que les ménages riches qui accèdent à la propriété. 1/3 d’entre eux dans le neuf viennent originellement d’un logement locatif social. Ce sont donc des ménages modestes qui libèrent des logements locatifs sociaux.

Cette crise quantitative du logement se traduit par une rareté des logements et donc, a priori, par une hausse de leur prix. Le décret prévoyant l'encadrement des loyers, qui entre en vigueur ce mercredi, peut-il répondre à ce problème ?

Dans un univers de rareté, où on s’accorde à dire qu’il manque 800 à 900 000 logements en France, un dispositif d’encadrement des loyers ne fera pas sortir des logements supplémentaires. La demande sera toujours très largement supérieure à l’offre.

Et souvenons-nous que là où les loyers sont les plus élevés, on a insuffisamment construit. L’Ile-de-France et Paris en sont de parfaites illustrations.

Le problème quantitatif domine donc largement. Tant qu’il ne sera pas réglé, tant qu’on aura pas, partout en France, construit suffisamment et pendant suffisamment longtemps, on ne pourra pas imaginer un assagissement dans les prix.

Si tant est que cet assagissement soit nécessaire : depuis 2006, les loyers dans le secteur privé progressent moins vite que l’inflation et moins vite que les loyers des logements locatifs sociaux.

Comment sortir de cette « crise du logement » ?

Il faut construire. Partout. De tout, aussi bien pour des ménages modestes que pour des ménages à revenus moyens ou élevés.

De toute façon, toutes les dispositions publiques qui pourront être prises seront les bienvenues pour relancer le niveau de la construction. Sachant que leurs effets se feront attendre jusqu’au second semestre 2013, ou pour 2014.

Quelles sont les perspectives pour le futur ?

On a construit un peu plus de 420 000 logements en 2011. On en construira 360 000 au maximum cette année. Et en 2013, on en fera 350 000 compte tenu des autorisations de permis de construire. Il y aura donc une très forte aggravation de la crise quantitative du logement.

Au mieux, on peut espérer un début de relèvement pour 2014. D’où le diagnostic de gravité de la situation.

Qu’en est-il dans les pays comparables à la France ?

Sans être un village gaulois, nous avons une spécificité qui nous a toujours démarqués. Nous ne sommes pas effondrés comme les autres, nous nous sommes relevés plus vite que d’autres en matière de construction. Ce qu’il se passe là est typiquement français. 

Propos recueillis par Ania Nussbaum

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