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Lobby de gauche, réalisme de droite : qui gagnera la bataille de la volonté présidentielle sur les prisons ?
©PATRICK KOVARIK / AFP

Alea jacta est

Ce président de la République est agaçant qui ne nous permet jamais de l'approuver totalement ou de le désapprouver absolument.

Philippe Bilger

Philippe Bilger

Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.

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Invité à l'émission "24h Pujadas" sur LCI, j'ai éprouvé, malgré sa parfaite animation, comme un sentiment d'inachevé au fond facilement explicable. Nous ne connaissions pas le détail du discours prononcé par le président de la République à Agen ni l'ensemble des mesures projetées.
De sorte que nous nous sommes focalisés sur la suppression des peines inférieures ou égales à un mois et sur la possibilité d'aménagement de toute peine inférieure ou égale à six mois d'emprisonnement. Avec la volonté présidentielle de développer les peines alternatives, bracelets électroniques et travaux d'intérêt général (L'Obs).
La résolution de faire de toute sanction prononcée une sanction exécutée ne peut qu'être louée mais elle fait partie depuis toujours du fond convenu des propos présidentiels et ne garantit pas que pour cette fois le concret sera au bout de la parole.
Emmanuel Macron a décidé de lutter contre la surpopulation carcérale à sa manière. En interdisant la prison ici, en ne la conseillant pas là et en cherchant à persuader l'opinion que l'exécution de certaines peines en quelque sorte à l'air libre et avec des modalités assouplies aura le même effet punitif et dissuasif qu'un enfermement de courte durée. Celui-ci serait paraît-il préjudiciable au condamné et à la société à protéger de ses agissements (Le Figaro).
Ce qui me gêne sur ce plan est la contamination de l'intelligence présidentielle par le lobby de gauche anti-prisons. Je regrette qu'Emmanuel Macron qui se pique de liberté et s'efforce d'ouvrir autant qu'il le peut des chemins nouveaux soit incurablement, pour la prison et dans la philosophie qu'il développe à son sujet, dans un progressisme convenu, dans une attitude qui confond l'humanisme avec une mansuétude compassionnelle et caricaturale sur les méfaits de l'enfermement et la honte que représenterait celui-ci. Comme si la prison qui préserve était responsable des délits et des crimes alors qu'une conviction authentiquement humaniste devrait accepter de créditer les délinquants incarcérés de l'honneur de leur responsabilité et de leur libre arbitre.
Il y a quelque chose d'angoissant dans cette obsession des peines alternatives qui, pour certains, pourraient aisément se substituer à la prison, sans qu'on se soit suffisamment interrogé sur la capacité de celles-ci à relever le défi de certaines infractions et à répondre à leur gravité, dès lors qu'on exclurait par principe la sévérité de l'enfermement.
Emmanuel Macron et le lobby de gauche.
Mais Emmanuel Macron et le réalisme de droite.
Il y a des pistes qui, en effet, montrent un président de la République dégagé de certaines vieilles lunes. Je n'évoque pas les banalités obligatoires qui manifestent une volonté et du bon sens : la moindre des choses est au moins de prétendre que l'exécution des peines doit être effective.
Mais il y a bien plus.
J'apprécie qu'Emmanuel Macron ait dénoncé l'absurdité d'un système où les jugements d'un tribunal correctionnel dans leur rigueur peuvent être immédiatement dénaturés et aménagés de sorte que l'autorité judiciaire est réduite à quasiment
Je valide cette audace de confier à la juridiction le soin de proposer les modalités d'exécution de la peine, ce qui conduira à diminuer le rôle et l'importance du juge de l'application des peines avec les conséquences positives qui en résulteront sur le plan de la cohérence.
Comment ne pas applaudir cette limitation des aménagements de peine pour tous ceux qui se sont vus infliger une peine égale ou inférieure à un an d'emprisonnement alors qu'auparavant le quantum s'élevait à deux ans ?
Malgré le discours stéréotypé sur la prison - en dépit du fait que la France n'est de loin pas le pays qui incarcère le plus en Europe -, je retiens cependant que le président de la République a réaffirmé sa volonté de faire construire de nouvelles places de prison, ce qui est en effet un moyen plus efficace pour lutter contre la surpopulation carcérale que le décret visant à interdire la prison pour qui la mériterait. Même si, par rapport à ses engagements initiaux, il se situe en baisse.
Je récuse qu'Emmanuel Macron soit dans dans la continuité de Christiane Taubira. Il n'est pas, comme celle-ci, dans l'idéologie et si son pragmatisme peut s'égarer, il n'en constitue pas moins une approche au moins partiellement plus lucide du monde pénitentiaire.
Entre lobby et réalisme, le président conserve et décape.
Pour provoquer, je ne suis pas effondré par l'opposition sans nuance du syndicalisme judiciaire : le contraire m'aurait fait douter de la part positive du projet présidentiel.
J'espère seulement que demain, notre pays ne sera pas confronté, pour la délinquance au quotidien, faute de moyens, à des drames que l'emprisonnement honni aurait empêchés.
Parce qu'il y a deux manières de mythifier la prison ; en la diabolisant ou en l'exaltant. Alors qu'elle est simplement nécessaire pour un certain nombre de délits et pour les crimes.
De grâce, qu'on ne lui demande pas d'éduquer ce qui a été manqué en amont et qu'on ne lui impute pas les récidives de l'aval. Il ne faut pas oublier ce détail que le condamné est vivant avec ses forces, ses faiblesses, sa volonté et sa liberté.
Emmanuel Macron est un président agaçant qui n'a ni tout à fait tort ni tout à fait raison.rien.

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