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Les vraies raisons de la grève du 5 décembre, syndicat par syndicat
©Thierry Zoccolan / AFP

Faillite du dialogue social

Pour tous les chefs syndicaux, y compris ceux de la CFDT, « les grèves sont le seul moyen de faire bouger les choses en France ». Si le compromis est impossible, la grève montre que le modèle social français ne fonctionne plus.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Les syndicalistes sont résignés à aller dans la rue pour protester contre la réforme des retraites. Mais au-delà, on sent bien que la grève sert aussi de marqueur à l’opposition au gouvernement et à son incapacité de produire des compromis acceptables. Il existe certes un vrai problème de représentation des contrepouvoirs, mais il existe aussi un problème de méthode dans l’action du gouvernement.  

Pour beaucoup d’observateurs, les explications sur la réforme des retraites dénoncée par les syndicats pour justifier leur mouvement ne sont pas fondées. La protestation contre la réforme des retraites cache autre chose de plus profond.

Dans moins de 5 jours, la France sera semble-t-il paralysée par un mouvement social annoncé depuis début septembre. La grogne a eu le temps de monter et les mouvements de s’organiser. Les cheminots répondront présents mais aussi les conducteurs de métro et de bus, les routiers, les enseignants, le personnel au sol des compagnies aériennes, les contrôleurs aériens, les postiers, les magistrats et avocats et même des policiers. Des appels à la grève sont aussi apparus du côté de l’énergie ou des raffineries. Plusieurs millions de salariés du privé sont également appelés à la grève.

Si l’on demandait à quelques grands syndicats du pays l’objet réel de leurs revendications et si ces revendications avouées justifie l'ampleur des perturbations qu'elle risque de causer, leur réponse risque de surprendre.

La CGT veut utiliser la manière forte et affirme, par le biais de son porte-parole Benjamin Amar que la grève est  « le seul moyen d'obtenir le progrès social dans ce pays ».

On se souvient des grèves de 1995,  en partie œuvre de la CGT, lorsque le gouvernement de Jacques Chirac a tenté de faire adopter une autre réforme impopulaire des retraites. Ces grèves avaient réussi à faire plier le gouvernement au bout de trois semaines et la CGT veut se reposer sur cette victoire.

Avec comme refrain : "Macron est le président du patronat (les employeurs). La réforme est un cadeau déguisé" continue le porte-parole.

« Croyez-moi, nous préférerions nous asseoir autour d'une table si possible ». Oui, mais la concertation pour la réforme des retraites n’a pas débuté à l’automne, mais dure depuis 2018. Il a fallu 18 mois à Jean-Paul Delevoye pour écrire son rapport en rencontrant régulièrement les représentants des syndicats.

Du côté de FO, Force Ouvrière, officiellement troisième syndicat français, derrière la CGT et la CFDT (il s’agit d’ailleurs à l’origine d’une scission avec la CGT).

La revendication de FO, ce n’est pas " seulement de défendre les régimes spéciaux", a déclaré Yves Verrier, secrétaire général de FO.

"On parle beaucoup des cheminots, mais en réalité, la réforme aura un impact négatif sur l'ensemble de la population française." FO élargit le champ de la revendication .

Le Secrétaire général fait allusion au fait que la réforme prévoit, par l’universalité des régimes, la façon dont les pensions sont calculées pour certains régimes.

Mais cela justifie-t-il pour autant de paralyser tout le pays ? "Nous n'avons pas le choix. Ce n'est pas comme si nous aimions faire la grève", dit-il.

A l’UNSA - Union nationale des syndicats autonomes, l'un des plus grands syndicats d'enseignants du pays et un syndicat représentant une partie du système de transport de la RATP (UNSA-RATP), le constat est fataliste.

« C'est la France. Je préférerais vivre dans un pays où on n'a pas à faire la grève pour avoir des réponses du gouvernement » explique Dominique CORONA, secrétaire national UNSA.

Un autre Syndicat national des enseignants (Nuipp-FSU), le plus majoritaire dans le corps enseignant, déplore que "le problème en France, c'est que notre système est complètement vertical. Toutes les décisions viennent d'en haut ".

Du côté de la CFDT, la branche cheminote est la plus déterminée. L’ensemble de la CFDT très représentée dans le secteur privé, contrairement à tous les autres syndicats, est beaucoup plus prudent. Laurent Berger, certes, ne décolère pas, non pas contre la réforme des retraites, mais surtout contre l’incapacité du pouvoir à prendre en compte ses avertissements. Il avait prévenu de longue date que la réforme des retraites dont il approuve le principe général et la nécessité pour des raisons économiques, ne pouvait passer que si on prenait en compte les régimes spéciaux afin d’aménager les périodes de transition. Un peu comme on avait fait pour les changements de statut à France télécom, à la Poste ou à la Sncf.

Pour la CFDT, un avantage acquis ne se supprime pas, il se rachète ou il s’échange contre autre chose. Les avantages dont disposent certaines professions n‘ont pas été délivrés par hasard. Ils correspondaient à des situations particulières pour compenser des conditions de travail ou de salaires. Les situations ayant changé, les syndicats ne sont pas opposés à négocier des contreparties.

A quelques jours du risque de blocage, le président de la République a dit et redit que tout était ouvert, sauf la nécessité de trouver les conditions de l’équilibre financier. Edouard Philippe, lui qui a multiplié les négociations en recevant tout le monde, a admis qu‘il fallait trouver des périodes transitoires.

Tout cela veut dire que si la raison de la grève est effectivement dans une opposition à la réforme, cette raison n’est pas suffisante pour justifier un mouvement social qui paralyserait la France entière comme en 1995. Les temps ont changé. La conjoncture est différente et l’ampleur des chantiers ouverts par Alain Juppé était sans commune mesure avec celui qui oppose les syndicats au gouvernement actuellement. A l’époque, Alain Juppé voulait réformer les retraites, mais dans la foulée, il voulait aussi toucher aux statuts dans la fonction publique, au système de l’assurance maladie et au systeme de santé, à la Sncf et à  l’Education nationale. C’était beaucoup. D‘où l’overdose.

La situation est très différente aujourd‘hui. Les gilets jaunes ont bousculé le jeu social, ils ont obtenu (avec l’alliance des casseurs) une rallonge de pouvoir d’achat qui booste la consommation et donne de l’oxygène au systeme économique, et surtout la conjoncture est meilleure. La France est même le pays d’Europe à avoir le mieux amorti le ralentissement.

Il y a donc d’autres raisons que la perspective de la seule réforme des retraites. Il faut en retenir trois principales.

La première se cache dans la défaillance du dialogue social. On a discuté sur les retraites pendant plus d’un an on n’est pas parvenus à trouver un compromis. La méthode utilisée est donc mauvaise.

La deuxième raison se trouve dans l’absence des corps intermédiaires et le président de la République est très responsable. Il pensait inventer une nouvelle façon de faire de la politique. La représentation nationale toute neuve n’a pas su prendre la mesure des problèmes. On a aussi dépouillé des représentants locaux de beaucoup de leur moyen et de leur pouvoir. Le résultat est que le président de la République s’est retrouvé seul contre tous. Seul dans les grands débats, seul face aux maires, seul face aux gilets jaunes. Il continue d’être seul. Il est évidemment certains que jeudi 5, Emmanuel Macron sera la cible de la majorité des manifestants.

La troisième raison tient à l’affaiblissement des syndicats. Le mouvement des gilets jaunes s’est délité parce qu‘il n’a pas su s’organiser autour d’un corps de doctrine commune et de doléances. C’était confus et contradictoire. Mais l’ampleur des mouvements, au-delà même de l’aspect quantitatif qui restait modeste (le nombre des manifestants a rarement dépassé l’équivalent de ce que pouvait contenir le stade de France), l’ampleur du mouvement des gilets jaunes a souligné la faiblesse des syndicats.

Aujourd’hui, l’intérêt des syndicats est de reprendre le contrôle de la revendication sociale. C’est ce qu’ils vont essayer de faire jeudi prochain.

Aussi paradoxal que ça puisse paraître , le pouvoir politique a intérêt à ce que les syndicats réussissent leur démonstration. Tout le monde a intérêt dans ce pays à ce qu’ils retrouvent leur rôle plein et entier de contrepouvoir.

Les syndicats organisent et structuré sont indispensables au fonctionnement des logiques de compromis. Sinon, faute de compromis, on s’enfoncera à nouveau dans les logiques de conflit et de violence.

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