Les secrets de l'attraction pour Donald Trump (et pourquoi le syndrome guette aussi l'Europe)<!-- --> | Atlantico.fr
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Donald Trump a secoué le débat politique américain par la sortie de phrases provocantes, choquantes, voire grotesques.
Donald Trump a secoué le débat politique américain par la sortie de phrases provocantes, choquantes, voire grotesques.
©Reuters

Politiquement incorrect

Provocations, scandales, phrases chocs : Donald Trump n'est pas le seul politique à briser les barrières du politiquement correct. Et si intégrer un bon sens populaire peut se révéler bénéfique pour la politique, il comporte aussi un risque de nocivité.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Olivier Rouquan

Olivier Rouquan

Olivier Rouquan est docteur en science politique. Il est chargé de cours au Centre National de la Fonction Publique Territoriale, et à l’Institut Supérieur de Management Public et Politique.  Il a publié en 2010 Culture Territoriale chez Gualino Editeur,  Droit constitutionnel et gouvernances politiques, chez Gualino, septembre 2014, Développement durable des territoires, (Gualino) en 2016, Culture territoriale, (Gualino) 2016 et En finir avec le Président, (Editions François Bourin) en 2017.

 

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Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Atlantico : Depuis plusieurs mois, Donald Trump a secoué le débat politique américain par la sortie de phrases provocantes, choquantes, voire grotesques. Alors que ses opposants pensaient qu'il perdrait en crédibilité, les sondages ont montré qu'à chacune de ses sorties, Trump gagnait en popularité. De manière plus générale, pourquoi, ces personnes qui s'expriment avec franc parlé ont-ils un vrai succès ? Qu'est-ce qui, dans leur discours ou leur manière de s'exprimer séduit ou touche les électeurs ?

Christophe de Voogd : N’oublions pas d’abord qu’il s’agit partout de très bons orateurs qui connaissent toutes les ressources de la rhétorique pour toucher le public et en particulier le pathos : thèmes complotistes, nationalisme, xénophobie etc. Une réponse très simple à votre question est donc la suivante : les leaders populistes actuels sont tous simplement meilleurs "techniciens" de la parole que leurs concurrents. Les deux Le Pen –et même les 3 avec la très prometteuse Marion- sans oublier l’excellent Collard n’ont de vrais rivaux que Christiane Taubira et, quand il est inspiré, Nicolas Sarkozy. Certes François Hollande est capable de très bons discours comme il l’a montré au Bourget mais, depuis, pas un seul discours mémorable… même au Panthéon ! Manuel Valls peut bien faire, comme il l’a démontré au Parlement mais son registre est trop limité sur le fond comme dans l’expression. Les deux pratiquent ce que j’appelle une rhétorique circulaire, typique du hollandisme, faites de balancements  ("d’un côté, de l’autre", "il faut faire ceci, sans oublier cela" etc.. ; la tribune de Manuel Valls dans les Echos d’hier est un modèle du genre. Au total, " so what ?", comme disent les Américains : le message est tout sauf clair. Et il l’est à dessein, contraintes politiques à gauche obligent. Mais c’est le plus sûr moyen de perdre non seulement la confiance mais l’écoute populaire. A cet égard nous avons le quinquennat le plus médiocre de la V° République, avec celui de Jacques Chirac, sur le plan de la rhétorique politique. Pour dire un mot des Etats-Unis, l’on assiste justement à l’ascension de Trump parce que les grands prétendants à la présidence, d’Hillary Clinton à J. Bush sont de médiocres orateurs. Obama, le meilleur orateur mondial de sa génération, ou, chez les Républicains, un Reagan, n’auraient fait qu’une bouchée de Trump !

Mais il y a plus : ces leaders jouent évidemment sur les graves faiblesses politiques que traduit la rhétorique dominante : truismes ("on est attaqués, il faut donc se protéger") : déni des réalités ("la croissance est là"), minimisation ("la délinquance n’est pas historiquement élevée") : le gouvernement actuel a franchi un pas à cet égard : non seulement le non-respect des promesses (qui ne dépendent pas de soi), ni même des engagements (qui dépendent de soi), mais des contre-vérités factuelles (les mots disent le contraire du réel). Même relayé par de grands médias, surtout audiovisuels, la posture n’est pas tenable, notamment avec l’essor des réseaux sociaux. De ces énoncés incorrects, les populistes vont savamment user et abuser et leur substituer des énoncés opposés (tout aussi incorrects). Exemple : contre le slogan encore dominant à gauche "l’immigration est une chance pour la France" ils vont affirmer "l’immigration est le problème de la France" ; entre les deux, on oublie que d’autres énoncés sont possibles (qui d’ailleurs diffèrent l’un de l’autre) : " il y un problème d’immigration en France" (énoncé modéré) ou "la France a un problème d’immigration" (énoncé plus radical). 

Olivier Rouquan : Dans le cadre désormais ancien de l’information télévisuelle ou de l’internet en continu, pour marquer les mémoires, pour être identifié, pour obtenir une notoriété, il faut choquer. Le flux a un tel débit, que pour buzzer, le politicien doit inventer et se réinventer en permanence. Les candidats marginaux peuvent donc utiliser voire abuser de tactiques consistant à tenir des propos ou des figurations (silhouette, habits, parutions événementielles) qui heurtent et déchirent les conventions. Ils peuvent d’autant mieux s’engager dans une telle stratégie, qu’elle est conforme à leur position au début du jeu, soit une position marginale. Il y a quelques années, la posture était plus difficile à tenir pour un candidat “institutionnel”; elle introduisait un paradoxe entre communication et identité.

Mais si le cadre est posé depuis longtemps, la conjoncture renforce l’emprise d’une dérive ludique et provocatrice du débat public. Si bien que des candidats jugés crédibles se risquent aussi à des énormités. En effet, le discrédit d’un politique impuissant à régler les problèmes ou à développer des politiques lisibles répondant aux préoccupations et aux défis; la lassitude d’une grande partie des opinions et des citoyens, faisant le constat à tort ou à raison que les politiciens constituent une caste défendant d’abord les intérêts les plus forts; tout ceci renforce le côté caricatural et clivé du débat public, offrant un espace aux outrances verbales ou aux parutions indicielles grotesques, parfois faussement contestataires - car dénonciatrices de l’ordre établi, qu’en fait elles renforcent.

Enfin, structurellement, sur le plan éthique, la fin parfois revendiquée de la coupure entre privé et public, qui vaut pour tout un chacun via les réseaux sociaux, mais aussi pour les politiques en mal de stratégies de “pipolisation”, aggrave la simplification de la communication politique; c’est carnaval, surtout en période électorale !

Christophe Bouillaud : D’abord, il existe une simple réalité linguistique. Ces leaders ont découvert, ou plus exactement redécouvert, l’une des bases de la bonne communication politique : pour être compris d’un très large public, il faut s’exprimer avec une langue simple et claire. Même si tous les politiciens prétendent maîtriser cet exercice de la parole compréhensible par tous, il n’est pas en réalité si facile que cela. Par exemple, l’ancien Président du Conseil italien, Silvio Berlusconi, qui constitue un modèle de ce genre de politiciens pour les années 1990-2000, était au faite de sa gloire immédiatement compréhensible par tout un chacun lorsqu’il s’exprimait à la télévision ou lors d’un meeting politique. Par comparaison avec ses concurrents, une grande partie de son succès auprès des électeurs tenait à son italien apte à être compris de tous. Ensuite, ces politiciens tentent d’aborder de front les problèmes irrésolus de longue date de la société à laquelle ils s’adressent.Ils partent souvent d’une réalité dérangeante, bloquée, et ils prétendent avoir la solution.Ils font vivre ainsi le mythe de la volonté politique. Selon eux, avec leur arrivée au pouvoir, tout va enfin changer. Ils radicalisent en fait le discours ordinaire de tous les politiciens qui prétendent que leur présence au pouvoir peut changer la société.

Par ailleurs, que D.Trump soit un entrepreneur, comme S. Berlusconi d’ailleurs, joue en sa faveur, puisqu’il a déjà démontré dans sa vie professionnelle qu’il a pu changer la réalité par la seule force de ses décisions. Enfin, tous ces politiciens racontent ce que l’opinion publique a très envie d’entendre, or ce que l’opinion publique veut ou peut entendre dépend largement de la manière dont les médias dominants ont présenté la réalité du pays dans les années précédentes. On a pu dire ainsi que S. Berlusconi a eu du succès comme homme politique en Italie dans les années 1990, parce que ses propres télévisions commerciales ont formaté l’esprit des Italiens dans les années 1970. De fait, ces politiciens s’appuient sur les idées dominantes et au moins banales. Rejeter la faute de la situation d’un pays sur les étrangers qui y vivent est pour le moins une idée basique, mais elle est souvent bien diffusée par les médias. En Italie, dans les années précédant l’arrivée de Berlusconi au pouvoir, le lecteur de la presse pouvait avoir l’impression que tous les accidents de la route sans exception étaient provoqués par des Albanais. C’était faux évidemment, mais cela nourrissait un schéma mental chez les Italiens selon lequel les étrangers étaient les grands responsables des maux italiens, et pas eux-mêmes bien sûr. 

En quoi ces candidats peuvent-ils être le reflet des électeurs qui ne comprennent plus les élites déconnectées de la société ? Leur présence pourrait-elle combler un manque de la part des élites, qui, à force d'être prisonnières d’un système complexe, sont déconnectées de la société et n'arrivent plus à communiquer avec elle ?

Christophe de Voogd : La rhétorique ne fait pas tout : remarquons un point commun fondamental, d’ordre électoral : tous ces leaders populistes prospèrent en priorité dans l’électorat populaire "blanc» (aux USA) ou "de souche" (en Europe) (encore des mots sensibles !). Je préfère donc parler plutôt de classes populaires rétives à la mondialisation dont elles sont en partie victimes, face à des élites à l’aise dans la mondialisation. Je crois que le fond du divorce est là : on le voit bien à travers les deux enjeux majeurs que sont les délocalisations et l’immigration, les deux chevaux de bataille d’un Donald Trump comme d’une Marine Le Pen. C’est moins vrai en Europe du Nord qui n’a pas de problème avec la mondialisation en soi et où le débat tourne surtout autour de l’Islam. La France est à cet égard un mixte entre les deux paradigmes. Là-dessus s’ajoutent en effet, comme dit plus haut, les effets de langage : mais là, il y a une spécificité française en Europe : la political correctness, encore très dominante chez nous est de plus en plus battue en brèche partout ailleurs, y compris dans les grands médias. Le cas des Pays-Bas est à cet égard spectaculaire : pays très "à cheval sur les mots" il y a encore 15 ans, et où la parole s’est "libérée" comme on dit, au risque de devenir hystérique…

Olivier Rouquan : Il est délicat de tenir un propos général, valant en tout et pour tout. Disons qu’intuitivement et intellectuellement, en France, il semble que les cadres dirigeants parviennent moins à susciter l’adhésion, car leurs programmes ou projets sont peu lisibles. A force d’avancer masqués, les décideurs ne sont plus compris. Ils font de la tactique et ont perdu le sens stratégique ou ne l’explicitent pas, ce qui en démocratie, ne peut pas fonctionner. Par ailleurs, le principe de responsabilité semble parfois valoir surtout pour les autres - comportement “choquant” de certains - rémunérations, frais divers, etc. Enfin, la sélection des hauts dirigeants est trop fermée, les modes de promotion bloqués. Il manque de la fluidité, qui loin de porter préjudice aux grands corps installés, offrirait des opportunités et limiterait l’énorme rancœur qui s’est emparée des classes moyennes et moyennes supérieures ayant financé les longues études universitaires de leurs enfants, pour les voir adultes et parfois adultes avancés, précarisés ou stagner dans l’échelle sociale. Le pire dans notre démocratie actuelle est que l’alternance politique n’y change plus rien.

Christophe Bouillaud :  Ce n’est pas tant les élites qui sont déconnectées de la société au sens qu’elle vivraient hors sol, que le fait que ces élites n’arrivent plus à expliciter clairement le comment et le pourquoi des politiques publiques au grand public. Elles n’arrivent pas à le faire, d’une part parce que les mécanismes institutionnels de ces politiques publiques sont devenus très compliqués pour la plupart d’entre elles qui s’appuient souvent sur quelques siècles d’accumulation normative, d’autre part parce que les politiques publiques s’appuient sur des visions de la réalité qu’il est difficile d’expliciter pour le grand public, qui peut être heurté dans ses a priori ou qui est profondément divisé sur ce point.

Plus grave sans doute, les élites mènent souvent des politiques publiques inavouables qu’elles considèrent pourtant comme nécessaires : par exemple, en France, actuellement la hausse du chômage, qui modère les prétentions salariales de l’ensemble des salariés, s’inscrit parfaitement dans le cadre de la "dévaluation interne" en cours destiné à compenser la perte de compétitivité de la France. Comme le gouvernement n’ose pas avouer devant l’opinion cette politique qui suppose de laisser filer le chômage, il est obligé de biaiser, et il finit par être si peu crédible qu’il peine à trouver un volontaire pour être le ministre du travail destiné à continuer à entretenir l’illusion. F. Hollande aurait annoncé dès le début du quinquennat que tous les salaires devaient rester bloqués à leur niveau de 2012 pendant une bonne dizaine d’années pour regagner de la compétitivité dans le cadre de la zone euro, l’éducation des esprits par le chômage de masse aurait été moins utile. Certes, il y aurait eu alors l’obligation d’un débat public sur les tenants et les aboutissants de ce choix de politique économique

Enfin, et c’est sans doute le plus grave, les politiciens contemporains sont soumis à deux maîtres : leurs électeurs, et aussi les groupes de pression. La tragique et coûteuse saga de l’écotaxe peut être une illustration de ce dernier point. Une grande partie du malentendu entre électeurs et élus tient largement à ce fait : la démocratie représentative est aussi une démocratie des groupes de pression.

Si nous prenons le cas de la France, par exemple, la plupart des votants FN cherche à travers le scrutin à exprimer leur mécontentement et leur rejet du système, en espérant un vrai changement, sans pour autant défendre les valeurs prônées par le parti. De manière plus générale, que cherchent les sympathisants de ces personnes ? Soutiennent-ils réellement les idées et le discours, ou est-ce un vote contre le système ? Que se passerait-il si un d'eux est élu ?

Olivier Rouquan : Pour vous répondre, il faut faire une analyse sociologique approfondie au cœur de ce parti, par ailleurs traversé par des clivages générationnels et idéels. Certains spécialistes proposent des travaux qui permettent de dire que la plupart, mais pas la totalité des sympathisants et électeurs du FN votent pour ses candidats afin de protester. Mais, ils soulignent aussi que c’est plus compliqué : une fraction qui semble croître de ce noyau est non seulement écœurée par le “système” comme vous dites, mais de fait, accepte de désigner des boucs émissaires (les immigrés), veut des mesures autoritaires pour sanctionner certains publics et partage une idéologie identitaire ; c’est grosso modo ce que l’on désigne par populisme. Du fait de sa longévité, le FN est donc en partie devenu un mouvement d’adhésion. Il est néanmoins peut être en ce moment confronté à un paradoxe rendant son développement fragile; le bricolage idéel et sociologique qui le caractérise semble monstrueux, pour partie alimenté par l’extrême-droite élitiste et néolibérale, pour partie nourri par le soutien d’électeurs peu favorisés aspirant à un des politiques protectrices et à un renouvellement social. Ce n’est pas nouveau, mais cela pourrait confiner au hiatus.

Christophe Bouillaud : D’après ce que montrent les sondages, les électeurs penchent pour le politicien qui tient le discours le plus proche de leurs valeurs. La plus grande partie des électeurs du FN se distinguent des autres électeurs français justement par leur grande préoccupation sur l’immigration, sur la sécurité publique, et par leur pessimisme accentué sur la situation du pays. Ce n’est pas différent dans les autres pays : on ne vote pas pour un tel politicienanti-système particulier par hasard. Il existe en effet toujours dans les démocraties occidentales plusieurs offres partisanes anti-système, or on vote pour celle qui se trouve la plus proche de nos valeurs.

Pour ce qui est de savoir ce qui se passe après l’élection, en cas de victoire électorale, il existe quatre options lorsque le parti n’est pas bloqué dans ses ambitions.

Première option, le parti outsider accepte de rentrer comme junior partner dans une coalition gouvernementale formée avec un ou plusieurs des anciens partis de gouvernement. Là en général, c’est rapidement le désastre pour lui : il doit abandonner des points essentiels de sa doctrine pour accéder au pouvoir et n’obtient pas les politiques publiques voulues, il apparait comme inexpérimenté, et donne l’impression d’être simplement allé à la soupe. Il déçoit ses électeurs, et il périt ou peu s’en faut à la prochaine élection. Ce fut le cas pour le FPÖ en Autriche en 2000-01.

Seconde option, le parti outsider, plus subtil, se contente de rester en dehors du gouvernement et soutient au coup par le coup un gouvernement en échange de mesures très ciblées qui plaisent à son électorat, et là cela peut changer beaucoup les choses dans le pays. C’est le choix du DFP au Danemark, qui a échangé son soutien parlementaire contre des lois anti-immigration. Il n’a pas pu interdire toutefois toute immigration non-européenne dans le pays.

Troisième option, il y a le cas du parti outsider qui prend le pouvoir avec des alliés, parfois fort radicaux, mais qui s’est lui-mêmedéradicalisé avant d’arriver au pouvoir et qui finalement ne va pas changer grand-chose à la vie politique du pays. C’est le cas de S. Berlusconi lors de son retour au pouvoir en 2001 en Italie, il a alors l’onction du PPE (Parti populaire européen) qu’il n’avait pas en 1994, et il a des alliés à sa droite et à sa gauche.

Quatrième et dernière option, il existe le cas du parti qui prend le pouvoir seul (ou presque) avec une majorité lui permettant de changer la constitution à son profit. Le seul cas récent connu dans l’Union européenne est celui du leader hongrois actuel, Viktor Orban. Lors de son retour au pouvoir en 2010 avec le Fidesz,V. Orbandispose d’une majorité parlementaire lui permettant de changer la constitution hongroise. C’est le cas contraire de S. Berlusconi, qui reste pris dans les rets de la Constitution italienne de 1948 et dans les jeux de coalition qu’elle induit. V. Orban vogue depuis lors dans des eaux bien trop proches de celles précédant l’établissement d’une dictature à la Poutine, et il ne semble guère disposé à perdre une élection nationale à l’avenir.

Notons que, dans les quatre cas de figure, le parti outsider cherche à réaliser son programme, et qu’il se maintient d’autant mieux électoralement qu’il réussit d’une manière ou d’une autre à le faire. Les électeurs des partis outsider attendent vraiment que ces derniers aillent dans la direction promise. En résumé, tout dépend de l’ampleur de la victoire électorale et des pouvoirs institutionnels que conquiert ainsi le parti outsider pour réaliser ce programme qui plait à ses électeurs. Un Donald Trump President of the United States serait a priori plus effrayant, car doté de plus de pouvoirs institutionnels, que ne le fut Silvio Berlusconi Presidente del Consiglio, mais moins que ne le serait une Marine Le Pen élue présidente de la République française, disposant de ce fait de l’article 16 de notre Constitution.

En quoi ces candidats peuvent-ils ramener l'ensemble du débat politique à des considérations plus concrètes et être salvateurs pour le débat public de fond ? Ne peuvent-ils pas permettre de ramener l'ensemble des partis politiques vers les vraies préoccupations des électeurs ? Ou au contraire participent-ils à parasiter le débat public ?

Christophe de Voogd :Je ne suis pas sûr de partager l’optimisme sous-jacent à votre question, car j’ai bien peur que les caricatures et les approximations ne l’emportent en raison de l’alliance objective du politiquement correct et de la rhétorique extrémiste : "soit vous êtes dans l’un, soit vous êtes dans l’autre", nous répète-t-on à longueur de débats. A quoi s’ajoute l’imprécision croissante du vocabulaire et de la syntaxe de nombreux médias.

Mais admettons : je crois qu’une nouvelle génération est en train de monter qui a compris deux choses : 1/le temps du déni est révolu : le bon sens élémentaire –eh oui cela existe !- doit être respecté. Pensons au non-sens pur et simple de la polémique actuelle sur la "discrimination" liée à la fouille des bagages dans les trains : comme si un policier ne devait pas faire (il ne ferait tout simplement pas son travail) de distinction (donc de "discrimination" au sens premier du terme) entre un barbu de 25 ans en jellabah avec gros sac de sport et une petite mamie avec sac à main ! 2/ le temps d’une parole ferme et claire, parfois complexe mais jamais compliquée, est advenu. Reprenons le thème de l’immigration : ne pourrait-on pas dire : "il n’y a des immigrations, familiale, de travail, d’asile, européenne, extra-européenne etc. qui appellent des réponses différentes". La population ne comprendrait-elle pas parfaitement un tel langage, encore une fois complexe mais non compliqué ? C’est une telle parole qui a fait gagner Reagan, Blair, Merkel, Obama etc… C’est ce qui avait fait le succès de Nicolas Sarkozy en 2007 ; la "suite rhétorique" a été plus décevante avec des changements de cap à vue et des paroles en décalage de plus en plus fréquent avec les actes.

Je vois à gauche les prémices d’une telle rhétorique chez Manuel Valls ou Jean-Marie Le Guen (quand ils ne sont pas pris par le "balancement hollandiste" !) ; et à droite chez Xavier Bertrand, Valérie Pécresse et surtout Bruno Le Maire, même s’ils peuvent encore beaucoup progresser dans la modulation de leur expression, encore trop monotone, et leur "body language", encore trop raide.

Olivier Rouquan : Les candidats au parler vrai et crédibles sont rares et peu récompensés : P. Mendès-France, R. Barre, M. Rocard, L. Jospin, etc. en ont souffert. Quelle avalanche de critiques s’est abattu sur ce dernier lorsqu’il a concédé que l’Etat ne pouvait pas tout (en 1999), ce qui rétrospectivement est devenu trop évident... Les exemples abondent. L’équilibre entre idées réalistes et lisibles, incarnation suscitant intérêt et sympathie (il faut raconter un roman à la fois personnel et national, comme F. Mitterrand savait si bien le faire), et force politique (tenir fermement ses soutiens) est désormais difficilement réalisé. En conséquence, le leadership est devenu labile, presque liquide.

Son rétablissement est l’une des conditions pour renouer le dialogue. Il passe par un renouvellement complet des partis politiques, qui doivent laisser plus de place à l’innovation sociale (aux process participatifs notamment) et accepter de faire très rapidement émerger de nouvelles élites. C’est l’une des fonctions de Podemos en Espagne en ce moment. Si le PS et les Républicains ne s’ouvrent pas, la crise politique persistera.

Christophe Bouillaud : Clairement, quoiqu’on les qualifie le plus souvent de populistes pour minimiser la portée de leur discours, ces partis sont toujours l’expression de préoccupations bien réelles de certains électeurs. En général, ces partis disparaissent lorsque cette préoccupation disparait ou bien que le groupe social qui exprimait ainsi sa préoccupation disparait lui-même.

Pour prendre un exemple, avant l’entrée de la Pologne dans l’Union européenne, des partis ont fortement mobilisé les paysans polonais, très inquiets de leur sort. Une fois que la réalité de la PAC (Politique agricole commune) a été mise en place, la protestation s’est calmée, à la fois parce qu’une grande partie des agriculteurs polonais ont profité de la PAC et parce qu’une autre partie a sombré économiquement et n’a donc plus été en état de protester. En tout cas, il n’existe pas de solutions uniquement « verbales » aux préoccupations des électeurs, il ne suffit pas de promettre qu’on va s’occuper du problème, ce n’est que si la situation change de manière tangible et durable que les partis de gouvernement peuvent espérer contrer les partis outsiders.

Propos recueillis par Cécile Picco

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