Les politiques veulent-ils la peau du dessin de presse ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le dessinateur Cabu, qui signait pour "Le Canard Enchaîné" et "Charlie Hebdo", dessine Coluche, François Mitterrand et Jack Lang. Fabienne Desseux, Cami et Urbs publient « Qui veut la peau du dessin de presse ? » aux éditions Eyrolles.
Le dessinateur Cabu, qui signait pour "Le Canard Enchaîné" et "Charlie Hebdo", dessine Coluche, François Mitterrand et Jack Lang. Fabienne Desseux, Cami et Urbs publient « Qui veut la peau du dessin de presse ? » aux éditions Eyrolles.
©JOEL SAGET / AFP

Bonnes feuilles

Fabienne Desseux, Cami et Urbs publient « Qui veut la peau du dessin de presse ? : Abédécaire critique pour défendre la liberté d'expression » aux éditions Eyrolles. Adoptant un angle critique, ce livre vient nourrir de façon constructive le débat public sur la liberté d'expression et les valeurs républicaines. Extrait 1/2.

Fabienne Desseux

Fabienne Desseux

Fabienne Desseux est journaliste. Elle ouvre un blog en 2016 pour raconter son chômage. Ses chroniques, associées à des dessins, révèlent une vraie connivence avec les dessinateurs de presse. Elle leur donnera par la suite la parole dans son livre "Traits engagés : les dessinateurs de presse parlent de leur métier", paru aux éditions Iconovox (finaliste du prix SoBD 2020). Elle est aussi l'auteure de plusieurs ouvrages, dont "Qui veut la peau du dessin de presse ?: Abédécaire critique pour défendre la liberté d'expression" publié aux éditions Eyrolles.

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Cami (Dessinatrice)

Cami (Dessinatrice)

Cami est dessinatrice de presse. Elle anime régulièrement des ateliers pédagogiques en milieu scolaire et carcéral, et collabore ponctuellement avec l'équipe de Cartooning for Peace. Elle a déjà signé avec Charline Vanhoenecker et Guillaume Meurice Le Cahier de vacances de Manu, paru aux éditions Flammarion. Son blog : camioups.canalblog.com

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Urbs (Dessinateur)

Urbs (Dessinateur)

Urbs est dessinateur de presse. Il travaille pour Le Canard enchaîné, Siné Mensuel, La Revue des deux mondes et Sud-Ouest. Claudia Courtois,dans le journal Le Monde, le qualifie de dessinateur « au coup de crayonreconnu et à l'humour tranchant ». Urbs est aussi libraire, cogérant de lalibrairie-galerie La MauvaiseRéputation à Bordeaux.

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Le dessin de presse et la politique sont indissociables. Reste à savoir, aujourd’hui, lequel se joue de l’autre

La presse satirique croque la politique et les politiques. C’est son carburant principal mais il est instable, la volonté d’influence des élus de la République sur les lignes éditoriales pouvant aller du négligeable au carrément nuisible. Mais les choix de Charlie Hebdo ont modifié la place du dessin de presse. Aujourd’hui, la caricature est passée de « regard critique extérieur » à « enjeu politique intérieur ».

Un dessin à charge peut déplaire à un personnage public au point d’aller à la plainte ou au procès. Mais il est aussi arrivé, de manière plus égocentrique, de voir un politique demander à un dessinateur pourquoi il le représente de telle ou telle façon. C’est le cas de Nicolas Sarkozy. En 2005, il est alors ministre de l’Intérieur, et décide d’envoyer un courrier à Plantu. Cela n’a rien d’une démarche officielle mais la lettre est portée à son destinataire par un motard en tenue. Dans cette missive, le ministre s’étonne de voir Plantu l’affubler d’une mouche. Insecte que le dessinateur réserve habituellement à Jean-Marie Le Pen. Bien sûr, Sarkozy ne fait pas pression sur le dessinateur pour modifier sa caricature. Mais cela démontre à quel point il est soucieux de la manière dont on le traite. Cabu a aussi eu affaire à son questionnement : « Un jour que j’étais à la buvette de l’Assemblée nationale, je vois Sarkozy foncer sur moi  : “Pourquoi vous me dessinez toujours avec deux petites cornes ?” Moi : “Parce que vous avez quelque chose de diabolique, Monsieur Sarkozy…” Je l’ai invité à prendre un café, mais il a tourné le dos… ». Ce genre de comportement ne porte pas à conséquence, hormis le risque, pour un politique trop indélicat, de se voir moqué encore davantage.

En revanche, il y eut par le passé des périodes où les politiques en voulaient à la presse satirique et se donnaient les moyens de l’attaquer. Novembre 1970. Juste après la mort du général de Gaulle et la Une de Hara-Kiri « Bal tragique à Colombey – un mort », le ministre de l’Intérieur Raymond Marcellin interdit la vente du journal aux mineurs et tout affichage publicitaire. Officiellement, la décision a été prise quelques jours avant et serait liée à la parution de dessins pornographiques dans les numéros précédents, mais personne n’est dupe. Cette interdiction peut être fatale à Hara-Kiri. Afin de contourner le problème, l’équipe de Cavanna et Choron fait paraître, en quelques jours, Charlie Hebdo, qui est censé être une déclinaison de Charlie que publie déjà les éditions du Square. C’est alors un mensuel dédié aux comic strips et à la BD, directement inspiré par le journal italien Linus ainsi nommé en référence à un personnage de Peanuts. Le nom Charlie Hebdo n’a donc rien à voir avec Charles de Gaulle mais bien avec Charlie Brown, meilleur ami de Linus dans le comic. En attendant, le ministre de l’Intérieur vient involontairement d’ouvrir la voie à la parution d’un journal qui ne fera aucun cadeau aux politiques durant les douze années suivantes.

Le Canard enchaîné, non plus, n’a pas vocation à leur faire du bien. Mais son angle d’attaque est très différent. Il n’est pas dans la contestation mais dans l’investigation. En 1972, le palmipède énerve grandement l’État en divulguant les feuilles d’impôt du Premier ministre, Jacques Chaban-Delmas. Qui sont les taupes qui donnent des informations aux journalistes ? Les Renseignements généraux font chou blanc. Raymond Marcellin demande alors à la Direction de la Surveillance du Territoire de reprendre le dossier. Cela donne lieu à la « Watergaffe », autrement appelée « l’affaire des plombiers ». « Le Canard déménage. […] La DST déguise une équipe de barbouzes en plombiers pour fignoler les travaux de réfection des locaux vides dans la nuit du 3 décembre 1973. Manque de pot pour les branquignols, le dessinateur André Escaro passe justement par là… Il voit de la lumière, à l’étage, et surprend les poseurs de micros. » Le Canard enchaîné porte plainte. De non-lieu en cassation, rien n’aboutira mais il y aura des répercussions concrètes. Au moment où il révèle l’affaire, Le Canard vend un million d’exemplaires contre 400 000 en moyenne. Le gouvernement Messmer doit être remanié en catastrophe, tandis que Marcellin est exfiltré du ministère de l’Intérieur et envoyé à l’Agriculture. Ce scandale a sans aucun doute donné un bon coup de pouce à l’élection de Valéry Giscard d’Estaing, qui interviendra quelques semaines après le remaniement, après la mort de Georges Pompidou. Tout comme celui des diamants de Bokassa –  lièvre soulevé aussi par Le Canard – pourrira la fin de mandat de VGE. Mais l’hebdo – contrairement à Charlie ou Siné – se veut au-dessus de la mêlée et se définit ainsi : « Le Canard n’est ni de gauche, ni de droite, il est d’opposition. » C’est pour cette raison qu’à l’inverse de Charlie Hebdo, qui n’a pas survécu à l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir, le volatile se porte comme un charme. Il dénonce les politiques scélérates mais n’est pas dans un débat idéologique frontal et attire des lecteurs de toutes sensibilités.

Aujourd’hui encore, Le Canard doit continuer à inquiéter. En 2021, il est révélé que, comme d’autres personnalités, Dominique Simonnot – ancienne journaliste de l’hebdo qu’elle a quitté fin 2020 – a été la cible du logiciel espion israélien Pegasus, déployé pour le compte d’une dizaine de gouvernements. Pour la seconde fois de son histoire, Le Canard enchaîné a porté plainte… Pour les élus de tous bords, l’hebdomadaire est un réel danger. Il n’y a qu’à demander son opinion à François Fillon sur ce sujet. Mais si Le Canard veille au comportement des représentants de la Nation, il n’attaque jamais gratuitement. Roger Fressoz, son directeur à partir des années 1970 et durant plus de vingt ans disait : « Au Canard, on ne veut pas la mort du pêcheur. » Et contrairement à la majorité de la presse satirique, il y a des tabous à ne pas transgresser. Cabu expliquait : « Le premier, c’est la mort. Si quelqu’un meurt, on n’en parle pas. Moi, je pense que même mort, une crapule reste une crapule. Au Canard, non : on est élégant, on passe sous silence… » Malgré cette retenue, il est clair que les politiciens dormiraient bien mieux si le palmipède n’était pas de ce monde.

Mais en 2006 – avec les caricatures du Prophète – le dessin de presse incarné par Charlie Hebdo est lui-même devenu un sujet politique. « C’est la première fois dans l’histoire de Charlie qu’un dessin se retrouve au centre de tous les débats », souligne Luz à ce moment-là. En réalité, sa ligne éditoriale a impacté les coulisses du pouvoir et les caricatures deviennent un enjeu dépassant la seule question de la liberté d’expression. C’est ce qu’explique Denis Jeambar, l’ex-directeur de la publication et de la rédaction de L’Express, cité comme témoin lors du procès des caricatures de Mahomet. Alors que L’Express est sous presse, Jeambar reçoit un coup de téléphone de Serge Dassault, actionnaire du journal : « Dans la soirée du mardi, alors que le journal était en cours d’impression […], il m’a demandé si je publiais les caricatures. Cela semblait soulever de l’inquiétude de sa part. Comme je lui répondais que c’était effectivement le cas, il m’a dit qu’il fallait arrêter cela. Je lui ai dit que je n’en avais pas l’intention, mais que j’étais prêt à lui communiquer les coordonnées de l’imprimeur s’il avait l’intention d’empêcher la parution du journal. Ce qu’il n’a pas  fait. » Le problème de Dassault, Denis Jeambar le comprend vite, c’est « le déplacement de Jacques Chirac, quinze  jours plus tard, en Arabie Saoudite ». Des contrats sont en négociations et l’actionnaire de L’Express, alors maire (UMP) de Corbeil-Essonnes et sénateur, est un proche du président de la République. Charlie n’en prend peut-être pas la mesure, mais il vient de s’imposer durablement à la table des politiciens et dirigeants du monde entier. Et pas uniquement dans les coulisses du pouvoir.

Extrait du livre de Fabienne Desseux, Cami et Urbs, « Qui veut la peau du dessin de presse ? : Abédécaire critique pour défendre la liberté d'expression », publié aux éditions Eyrolles

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