Les milliardaires et les puissants de Davos au chevet des inégalités au moment où elles n’ont jamais autant diminué : les batailles déjà gagnées (si, si) et celles qui restent à mener <!-- --> | Atlantico.fr
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Le Forum économique mondial de Davos débute ce mercredi.
Le Forum économique mondial de Davos débute ce mercredi.
©Reuters

Captation des richesses

Les inégalités de revenus constituent le risque économique le plus probable et l'un des plus préoccupants des dix prochaines années, selon le Forum économique mondial de Davos qui s'ouvre aujourd'hui. Un mal difficile à combattre, étant donné la multitude de facteurs qui le sous-tendent.

Atlantico : Quel constat en matière d'inégalités de revenu les organisateurs du forum économique mondial dressent-ils et quelles pistes de réflexion avancent-ils ?

Nicolas Goetzmann : Le constat de Davos, appuyé par la recherche effectuée par Oxfam, est que les 85 personnes les plus riches du monde concentrent autant de richesse que les 3.5 milliards de personnes les plus pauvres, soit 50 % de la population mondiale. C’est aussi le constat que la très grande partie des revenus  ont été capté par les 1 % les plus riches depuis 30 ans. Cette situation de concentration extrême est la base de la conclusion de Davos, qui rejoint la déclaration d’Obama « les inégalités sont le plus grand défi de notre temps » ; il s’agit désormais de la priorité des priorités.

Oxfam pointe quelques pistes de réflexion, le démantèlement des paradis fiscaux, lutter contre le pouvoir politique détenu par « les riches » afin de sécuriser leurs revenus, la mise en place de fiscalités progressives à travers le monde etc….

Mais il me semble que cette vision du monde, à travers le prisme des inégalités, est profondément viciée. Car l’objectif ultime est de réduire le niveau de pauvreté, et l’intégralité de ces mesures ne sont pas des réformes permettant de lutter contre la pauvreté, mais de lutter contre les riches. Cela laisse entendre que les pauvres sont les victimes des riches, que les pauvres sont volés. Cela donne une vision figé d’un système qui est dynamique. Et cette vision du monde rate totalement sa cible à mon sens. Elle détourne l’attention des dirigeants pour mettre en  place des mesures qui n’auront que des effets marginaux sur la réduction de la pauvreté. Le constat est réel, la vision est imparfaite.

Quand il est question d'inégalités, de quoi parle-t-on au juste ? Toutes les inégalités doivent-elles être considérées sur le même plan ? Certaines sont-elles plus dangereuses que d'autres ? Que disent les dernières théories disponibles et étayées sur la nature des inégalités et les risques qu'elles représentent ?

Nicolas Goetzmann : Le risque principal est celui de la cohésion sociale, un monde injuste et profondément inégal est un monde instable par nature. Il est évident que le processus en cours depuis 30 ans n’est pas soutenable. Le risque secondaire qui est pointé régulièrement est le poids que représentent ces inégalités sur la croissance. Mais à mon sens, nous touchons ici un point sensible. C’est précisément la trop faible croissance qui est à l’origine des inégalités et non l’inverse.

Selon Oxfam, aux Etats Unis « les 1 % les plus riches ont confisqué 95 % de la croissance post-crise financière depuis 2009, tandis que les 90 % les moins riches se sont appauvris ».

Deux phénomènes peuvent expliquer ce processus, dont le plus important ne fait pas réellement débat : l’adoption par la majorité des grandes économies de politiques à tendance désinflationniste, c’est-à-dire ayant pour objectif de contenir les salaires afin de lutter contre l’inflation. Si notre but en 1980 a été de contenir les salaires, il est un peu étonnant de se réveiller aujourd’hui pour dénoncer les inégalités. Mais la fin des années 70 n’est pas un point de départ satisfaisant, car justement l’inflation était forte et la part des salaires dans les revenus rendait la croissance non soutenable pour le capital. L’exact opposé de la situation actuelle. Nous n’avons pas encore trouvé le juste milieu, mais la réflexion universitaire est en train d’assimiler cette situation. Le vent tourne. Le second point touche à la fiscalité. En France, par exemple, le niveau d’inégalités est contenu par un niveau important de redistribution, mais qui a également pour conséquence de freiner la croissance. Le résultat est que nous avons moins de riches, mais nous n’avons pas moins de pauvres, et que notre revenu par habitant est plus faible qu’aux Etats Unis alors qu’il était comparable voici 30 ans.

Que sait-on des mécanismes à l'origine des inégalités ?

Nicolas Goetzmann : Je reprends et je cite Steve Waldman « Ce qui est immoral c’est de cacher ce qui peut être démontré comme étant le plus grand programme d’assurance sociale derrière la phrase technocratique de “stabilité des prix”. C’est un schéma qui force les membres les plus précaires de notre société à assurer le pouvoir d’achat des plus sécurisés, et ce, sans aucune limite ou  même comptabilité de l’échelle de ce transfert ». Voici en résumé la conséquence d’un système de pure stabilité des prix, c’est-à-dire de notre système monétaire, sans aucune considération pour l’emploi. Si une crise survient, il ne faut surtout pas d’inflation, donc nous aurons plus de chômeurs. C’est une préférence, un choix, inacceptable. Ce choix n’était pas délibéré au moment où il a été fait, mais il devient insupportable de le laisser en place encore aujourd’hui où ses conséquences ne font plus de doute. Il s’agit du grand combat des années à venir pour les banques centrales.

Comment la situation a-t-elle évolué ces dernières années sur le front des inégalités (creusement ou amélioration) ? Et sous quelles impulsions ?

Nicolas Goetzmann : Le processus est complexe en ceci que les inégalités mondiales se réduisent alors que les inégalités locales s’aggravent. Je m’explique. Un détenteur de capitaux aux Etats-Unis peut faire le choix d’investir en Chine et d’y monter des usines. Le paysan chinois va trouver un emploi dans cette usine et son niveau de revenus va progresser. Le détenteur de capitaux américain s’enrichit, l’ouvrier chinois sort de la pauvreté et l’ouvrier américain se retrouve au chômage. Globalement les inégalités se réduisent car le plus pauvre améliore sa condition, mais au niveau local américain, les inégalités se creusent. Mais on ne peut pas oublier non plus que 700 millions de chinois sont sortis du seuil d’extrême pauvreté au cours des 15 dernières années.

La mondialisation permet ce phénomène car les capitaux sont d’une parfaite mobilité, le travail, non.

Ce sont les personnes les moins qualifiées qui sont les premières victimes de ce phénomène. Voilà pourquoi le niveau d’éducation, de formation joue un rôle majeur dans le processus.

En 2000, l'ONU a fixé 8 Objectifs du millénaire pour le développement. Où en sommes-nous ? Qu'est-ce qui a fonctionné, qu'est-ce qui ne fonctionne pas, et pourquoi ?

François Bourguignon : Dans les objectifs du Millénaire, le premier d'entre eux, qui était de diviser par deux la pauvreté d'ici à 2015, a été une réussite totale dans la mesure où la pauvreté mondiale évaluée par les Nations Unies l'a d'ores et déjà été de plus de moitié. Cependant, cette réussite est dans une large mesure due à un seul pays dans le monde, la Chine. Sur la diminution de 700 millions de pauvres en 20 ans, presque 500 millions sont essentiellement dus à la Chine ! La pauvreté reste donc un problème majeur dans la péninsule indienne et dans les pays africains. Et avec les taux de croissance actuels, à l'horizon 2030 - 2040, la pauvreté dans le monde sera de plus en plus un problème africain. On peut donc dire que ces objectifs ont été atteint de façon déséquilibrée.

En ce qui concerne les autres objectifs, en matière d'éducation notamment, des progrès significatifs ont là aussi été constatés. Cependant, les objectifs définissaient des buts en termes de scolarisation, mais pas de résultats. Les performances de lecture, de compréhension ou de calcul restent donc encore médiocres dans beaucoup de pays, là encore souvent africains. Peut-être ces objectifs ont-ils été trop modestes. En matière de santé enfin, les résultats semblent encore loin du compte.

Tout cela monte qu'un progrès a été réalisé dans la répartition des niveaux de vie au niveau mondial, dans une large mesure lié aux performances des pays émergents. Mais subsistent encore néanmoins d'importantes inégalités. Il reste encore énormément à faire.

Quels enseignements peut-on tirer de cette expérience en matière d'efficacité des politiques déployées ? Aide au développement, micro-crédit, marché... quelles solutions ont fait leurs preuves ?

Nicolas Goetzmann : La solution c’est la croissance, le plein emploi. Les inégalités seront toujours présentes, mais c’est le seul moyen de faire progresser le niveau de revenus des plus fragiles. Du moins, c’est le moyen le plus efficace, et de loin.

François Bourguignon : Les mauvais résultats découlent souvent d'un manque d'infrastructure, en matière de santé ou d'éducation notamment, dans de nombreux pays, ainsi que de problèmes de gouvernance, de corruption ou d'inefficacité des services publics. Par ailleurs, au début des années 2000, la croissance dans beaucoup de ces pays-là était insuffisante. Elle s'est accélérée de façon important à partir des années 2004 - 2005, notamment sous l'effet de l'augmentation de la valeur des matières premières. Mais cette croissance ne s'est pas nécessairement traduite en une diminution aussi rapide de la pauvreté. Les gouvernements de ces pays n'ont donc pas été capables de transformer les aides reçues ou les revenus additionnels issus de leurs ressources naturelles en des gains pour la partie la plus pauvre de leur population.

Beaucoup d'initiatives ont été prises, comme le micro crédit ou les actions de nombreuses ONG qui ont permis d'améliorer localement les services de santé ou d'éducation. Ces initiatives peuvent donner des résultats intéressants. Mais si on veut véritablement diminuer la pauvreté il ne faut pas seulement des initiatives micro-économiques, mais surtout une croissance de l'emploi, et une capacité par le marché à générer des revenus pour les catégories les plus pauvres de la population. Les recettes impliquent à la fois une meilleure mobilisation des ressources locales, une meilleure gouvernance et une gestion, au niveau local mais aussi au niveau macro-économique des politiques de développement pour qu'elles profitent aux plus pauvres. Le véritable problème que l'on a constaté dans beaucoup de pays ayant été que la croissance ne s'est pas traduite par une réduction de la pauvreté.

Imaginer un monde où il n'y aurait que des gagnants semble à la fois naïf et illusoire. Vers quel équilibre doit-on tendre ?

François Bourguignon : On peut dire que ces dernières années, malgré la crise des pays développés, on est dans un monde de gagnants ! Entre 2004 et 2008, l'économie mondiale n'a fait que des gagnants. Tous les gens, dans tous les pays ont obtenu une hausse de leur pouvoir d'achat. Et même jusqu'à aujourd'hui, le niveau de vie a progressé par rapport à 2004 dans pratiquement tous les pays, et ce, pour la plupart des catégories de population.

Maintenant, il faut être conscient que certains ont gagné beaucoup plus que d'autres. Aux Etats-Unis par exemple, le niveau de vie de la moitié la moins aisée de la population n'a pas bougé depuis trente ans, alors que celui des plus riches a énormément progressé. Mais dans le monde et dans les pays moins développés en particulier, le partage des gains a été plus satisfaisant, car plus orienté en direction des moins favorisés, qui ont gagné plus.

Nicolas Goetzmann : L’équilibre doit être monétaire en premier lieu. C’est-à-dire que les banques centrales doivent réellement lutter avec la même hargne contre les niveaux de chômage que ce qu’elles ont fait contre l’inflation pendant 30 ans. Les banques centrales doivent chercher, et trouver le point de rupture de la croissance. C’est-à-dire de soutenir la croissance aussi loin que possible avant de toucher le point d’inflexion ou la croissance ne progresse plus, et ou seule l’inflation accélère. Ce point de rupture, c’est le plein emploi.

Ensuite, le point le plus important, au-delà de la fiscalité, est l’éducation. Car le diplôme reste un facteur décisif dans le niveau de revenus. Et si nous voulons avoir des politiques de redistribution pouvant soutenir les plus fragiles, nous devons accepter un cout du travail élevé, ce qui implique un niveau de formation élevé. Alourdir le coût du travail et ne pas donner de formation aux gens, c’est leur donner un passeport définitif pour le chômage. C’est une condamnation.

Le niveau de redistribution peut être important dans un pays, mais la croissance en pâtira. Il faut le savoir et en accepter les conséquences. Cela peut être un choix, mais il convient tout de même de rappeler que dans une économie globalisée comme la nôtre, les pays les plus dynamiques entraînent les autres derrière eux. C’est-à-dire que, par exemple, les pays nordiques ont pu mettre en place des politiques plus égalitaires justement parce que ces pays bénéficiaient des retombées de croissance générées par exemple par les Etats-Unis. D’une certaine façon, l’inégalité américaine a permis l’égalité nordique.

Propos recueillis par Pierre Havez

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