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Les mille et un visages du libéralisme politique expliqués à la jeunesse
©JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

Bonnes feuilles

Alain Policar publie "Le libéralisme politique expliqué aux jeunes gens" aux éditions Le Bord de l’eau. Dans cet ouvrage, il dénonce les idées reçues sur le libéralisme politique. Contrairement à de nombreux auteurs, Alain Policar refuse de se plier à l'injonction de ne pas séparer le libéralisme politique du libéralisme économique. Extrait 1/2.

Alain  Policar

Alain Policar

Agrégé de sciences sociales, docteur en science politique (IEP de Paris), Alain Policar a accompli l'essentiel de sa carrière à la faculté de droit et des sciences économiques de Limoges. Il est actuellement chercheur associé au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof).

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J’ai appris au lycée que les libéraux défendaient la liberté contre toutes sortes de pouvoirs. On a l’impression aujourd’hui qu’ils ne la défendent qu’au profit des plus forts. Peux-tu rendre les choses un peu plus claires ? 

Je vais essayer. Il faut en premier lieu noter le refus assez généralisé de distinguer, notamment en France, le libéralisme politique du libéralisme économique. En langue italienne, entre liberismo (en français libérisme), qui désigne le libéralisme économique, et liberalismo, qui signifie libéralisme politique, la distinction est particulièrement claire. Bien entendu, il est possible d’être à la fois un libéral sur le plan économique et sur le plan politique. Certains auteurs pensent même que l’on ne peut légitimement dissocier les deux. Mais c’est l’observation de la réalité, celle du passé comme celle du présent, qui autorise la dissociation. 

Le libéralisme politique est fondé sur la préservation des libertés individuelles, l’expression des droits politiques, le pluralisme et la limitation réciproque des pouvoirs, alors que le libéralisme économique considère la régulation par le marché comme ultime horizon d’un fonctionnement libre. C’est précisément ce lien nécessaire entre l’économie de marché et le libéralisme politique qui doit être dénoué afin de permettre à la gauche de se réapproprier les ressources intellectuelles de la philosophie libérale. 

Je ne suis pas certaine que ton explication permette de comprendre pourquoi le mot est très souvent utilisé comme un repoussoir. Il ne devrait pas être très difficile d’admettre que les libéraux visent à protéger les libertés individuelles et non à les restreindre. 

C’est tout à fait vrai. Mais il existe une telle diversité de courants parmi les libéraux politiques qu’il n’est guère difficile de trouver des exemples d’auteurs qui, s’en réclamant, ont pris des engagements politiques non seulement différents, mais opposés. Comment distinguer les revendications légitimes de celles qui, à nos yeux, le sont moins ? Dans nos entretiens, j’exprimerai donc un parti pris ou, pour le dire autrement, des préférences à propos de ce que le libéralisme politique doit impérativement prendre en compte s’il se veut fidèle, à la fois, à ses engagements originels et aux réalités de notre temps. 

Partons de cette méfiance généralisée, voire de cette condamnation sans procès du libéralisme. L’une de ses raisons est probablement le fait qu’il est avant tout une représentation intellectuelle, une vision du monde. Ses aspects politiques et économiques, au fond, ne sont que des élaborations du libéralisme philosophique. C’est important de souligner ce point parce que la philosophie libérale a subi les assauts de courants de pensée qui rejetaient ses fondements mêmes, ceux que l’on a nommé les « penseurs du soupçon ». 

Alors, là, tu nous égares. Que faut-il entendre par « penseurs du soupçon » ?

Nous avons connu une époque, pas si lointaine (les années 1970) et qui, à de nombreux égards, dure encore (même si son influence est moindre), durant laquelle on privilégiait dans l’explication du comportement des individus des explications « souterraines ». Il ne fallait pas se fier aux explications que nous donnions pour éclairer nos actes, mais il fallait, au contraire, ne pas se laisser duper par les apparences (notez bien que cette attitude donne le sentiment à celui qui l’adopte d’échapper à l’aveuglement de ses contemporains). On savait bien, contrairement aux naïfs, que des forces obscures dictent nos actions. On n’accordait alors qu’une place limitée aux contingences, aux zones d’incertitude. 

Ces penseurs du soupçon (disons quelques-uns des héritiers de Nietzsche, mais aussi de Marx et de Freud) étaient rejoints par ceux qui défendent l’idée que la science doit s’en tenir à l’observable et donc ignorer les états de conscience individuels. Nous n’étions plus que les produits de notre conditionnement culturel. Tout cela s’oppose frontalement à la philosophie libérale qui voit dans la raison, propriété fondamentale de l’homme, ce qui nous permet de nous hisser au-dessus de nos appartenances socioculturelles. 

Mais cela suffit-il à expliquer la condamnation du libéralisme ?

Non, bien sûr. Il existe également une autre piste explicative. On peut la trouver dans la tension entre démocratie et libéralisme. En effet, dans une société démocratique, les individus vouent un véritable culte à l’égalité, qui constitue une passion dominante, comme l’avait souligné Tocqueville, dès le XIXe siècle. On a fini par croire que toutes les opinions doivent être traitées sur une base égalitaire, voire considérées comme équivalentes. On a ainsi relayé au second plan des idéaux tels que la quête de vérité et l’exigence d’objectivité. 

Et ces idéaux appartiennent à la philosophie libérale ? 

Oui, si l’on comprend, j’en reparlerai, qu’elle est une rupture avec l’ordre institué par la religion, ordre dans lequel vérité et objectivité concernent principalement la théologie. Seule la connaissance de Dieu, de sa véritable nature, est requise. 

J’ajoute un autre élément pour justifier l’insuffisante considération accordée à la pensée libérale. Sous l’influence du marxisme vulgaire, on a en effet donné la préférence aux explications monocausales, c’est-à-dire à l’explication des phénomènes à l’aide d’un seul facteur, au détriment de tous les autres, ce facteur étant très généralement le facteur économique. C’est quelque peu asséchant pour l’intelligence. 

Bon, disons que c’est plus clair désormais. Mais, au fond, tu ne nous dis pas vraiment comment définir le libéralisme.

Vous avez raison. Je vais essayer, et cette tentative passe par l’histoire. Si le terme date du XIXe siècle, où il désigne une doctrine favorable au développement des libertés, il est largement précédé par la revendication de liberté, présente depuis la Renaissance et la Réforme, et que l’on trouve chez Nicolas Machiavel (1469-1527), chez Thomas Hobbes (1588-1679), même si l’on voit surtout dans ce dernier un défenseur de l’absolutisme, et surtout chez John Locke (1632-1704) ou encore David Hume (1711-1776). La liberté, on le sait, sera la revendication prioritaire de la Révolution française, même si elle laissera une œuvre inachevée en ne donnant pas aux classes défavorisées les moyens de s’organiser. La Révolution exprime une aspiration de liberté politique, commune à l’Europe entière et qui, le plus souvent, se conjugue avec la conquête de la liberté économique. Ce mouvement d’émancipation par rapport aux traditions ne se limite d’ailleurs pas à la sphère politique ou à l’activité économique. On rencontre, par exemple, des protestants ou des catholiques libéraux, ces derniers s’opposant à la tradition monarchique du catholicisme romain. 

Donc, on peut être croyant et libéral ? 

Bien sûr ! La religion est même l’un des rares domaines où le terme de libéral est vécu positivement. Au sein du judaïsme, par exemple, il existe un courant libéral (opposé à orthodoxe) qui est favorable aux conquêtes républicaines, comme la laïcité, qui prône l’égalité entre les sexes, et qui, dans le culte, ne sépare pas femmes et hommes. 

Mais je reviens à l’histoire, c’est toujours nécessaire. Durant les trois premières décennies du XIXe siècle, le libéralisme est le nom donné aux mouvements d’opposition au passéisme et au conservatisme. D’ailleurs libéral est souvent utilisé avec condescendance, notamment par les conservateurs du XIXe siècle, pour désigner l’« homme de progrès », porteur des idées nouvelles. On sait qu’il a gardé une connotation progressiste, voire de gauche, aux États-Unis. C’est ce qui autorise la plupart des commentateurs à considérer le philosophe John Rawls, auteur en 1971 d’un livre fondamental, A Theory of Justice, comme un libéral. 

Au-delà de la diversité spatio-temporelle, le libéral désigne celui qui décèle une égale dignité humaine chez tous les hommes, et qui refuse par conséquent la perpétuation de l’oppression et de la misère. C’est au fond une définition modeste, ce qui éloigne le libéralisme de toute forme de dogme. On peut ajouter, de nombreux auteurs l’ont souligné, que le libéralisme est un système de séparations : entre l’Église et l’État, l’État et la société, ou encore la science et la foi. J’aurai l’occasion de le redire, parce que la liberté ne va pas sans mettre en place ses propres limites.

Extrait du livre d’Alain Policar, "Le libéralisme politique expliqué aux jeunes gens", publié aux éditions Le Bord de l’eau

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